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par Pierret Sommermeyer • le 28 septembre 2018
Anarchistes et juifs, la Palestine entre les deux guerres
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Après « Anarchistes et juifs entre les deux guerres », Pierre Sommermeyer ouvre une nouvelle page d’histoire.
Article extrait du Monde libertaire n°1797 de juillet-août 2018
Depuis le début des années 20 des communautés juives s’installent, en plus grand nombre, en Palestine fortement influencées par les idées anarchistes. Avant de rendre compte d’une publication récente il est bon d’aller faire un tour de nouveau dans l’Encyclopédie anarchiste.
Dans l’article consacré au Ghetto J. Chazoff, aborde cette question. Il reconnaît que quantité de révolutionnaires militent en faveur de la réalisation d’un foyer juif. Faisant référence aux malheurs qui frappent depuis des siècles le peuple juif, il dit « Nous comprenons le sentiment honorable qui anime certains propagandistes du sionisme mais ils ne sont pas les seuls dans ce cas ». Chazoff ajoute « est-ce vraiment l’époque de fonder une nation, alors que tout nous appelle à l’internationalisme au sens le plus complet de ce mot ? […] Que les prolétaires juifs viennent avec nous, ils nous aideront et nous les aiderons. […] Que les Juifs opprimés sortent de leurs ghettos. La Révolution ne leur offre pas la Palestine, elle leur offre le monde libéré. »
Une autre opinion s’exprime quand arrive la question des colonies sionistes qui vont, pendant au moins un demi-siècle, séduire les anarchistes comme étant une réalisation d’une société sans classe. L’article sur le sionisme écrit par E. Armand s’arrête sur ces communautés qui vont croître après la guerre de 14/18. Il remarque tout de suite que le mode de propriété collective utilisé par ces colonies, renoue avec les principes tirés de l’Ancien Testament « les terres ne se vendront pas à perpétuité, car la terre est à moi, dit l’Éternel », la terre doit rester commune « à tous les enfants de Dieu », elle ne peut être ni objet de vente ni objet d’achat ». Armand ajoute « Mais si toutes les terres sont constituées en propriété nationale, c’est dans le but que toute la Palestine revienne un jour aux Israélites et que soit reconstitué le Royaume d’Israël. »
Il remarque que le sort fait aux femmes dans ces communautés n’a rien de semblable à celui qu’elles avaient dans la société juive traditionnelle. Il cite une communauté où l’on pratique le communisme, Nuris. Pour lui « la colonisation juive présente des exemples d’énergie qui méritent d’attirer l’attention ». Mais E. Armand est conscient de ce qui se prépare : Les Arabes ne sont pas disposés à céder leur place, d’où des heurts, qui peuvent dégénérer parfois en massacres entre Juifs et Arabes (et même chrétiens indigènes). D’autre part, la superficie restreinte de la Palestine empêche l’expansion des colonies ». Il annonce en même temps qu’une phase nouvelle s’annonce par suite des persécutions moyenâgeuses dont les Israélites sont l’objet, actuellement, en Allemagne (1933).
Un ouvrage est sorti au début de l‘année 2018 consacré à ces colonies intitulé Le mouvement des Kibboutz et l’anarchie . Son auteur James Horrox aborde l’évolution des colonies juives comme une recherche d’une société plus juste. Il va y avoir plusieurs alya c’est-à-dire plusieurs périodes d’arrivée des migrants juifs vers la Palestine. Le premier établissement collectif date de 1910. Il est le fait de jeunes Russes. L’un d’eux racontera ainsi son désir d’une vie harmonieuse : « Nous nous rendions compte de plus en plus que les usages en vigueur dans les anciennes colonies ne nous convenaient pas [...] En tout cas, nous estimions qu’il ne devrait y avoir ni employeurs, ni employés. Nous voulions une vie "heureuse pour tous" ».
Aaron David Gordon
Un homme, venu lui aussi de Russie, va marquer profondément cette génération de migrants. Il s’appelle Aaron David Gordon. S’il se considérait sans aucun doute, selon Horrox, comme un sioniste, c’était cependant sur des bases pacifistes et antimilitaristes. Il voyait « les Arabes comme un exemple d’une nation organique vivant en harmonie avec la terre que les Juifs devraient prendre pour modèle. En revanche, il était loin d’être naïf à l’égard de la résistance arabe au sionisme, qu’il considérait comme une réaction tout à fait compréhensible au mode de vie occidentalisé et déraciné des Juifs. Ainsi pouvait-il concevoir les relations judéo-arabes au mieux comme une compétition pacifique — du moins jusqu’à ce que les Juifs parviennent à renouveler leur connexion avec la terre et gagnent le respect et la coopération de leurs voisins ». Il se disait aussi opposé au « socialisme » c’est à dire au marxisme qui mettait en avant les luttes de classes comme moyen de transformer la société. Gordon va être par la suite et encore maintenant l’objet de querelles visant à savoir quelle importance avait sa « religiosité sans la foi en Dieu ». Pour Zeev Sternhell, historien et penseur politique israélien, la position de Gordon « trahit une certaine consonance entre sa vision du monde et celle du nationalisme intégral européen, qui considérait également la religion, la tradition et le rituel comme des ingrédients essentiels de l’identité nationale ». Selon l’auteur de cet ouvrage, Gordon avait été formé aux mêmes sources que Bakounine, Rocker et Landauer, celles de la gauche völkish-romantique. Il déclarera même avoir retrouvé certaines de ses idées dans les écrits de Landauer.
Le kibboutz de Gordon était fondé sur de solides principes anarcho-socialistes et écologistes. Il peut être considéré comme un précurseur de l’éco-anarchisme contemporain.
Les années 1918-1920 voient les pogroms se multiplier à nouveau au cours de la guerre soviéto-polonaise. Quelques années auparavant la Déclaration Balfour avait ouvert aux juifs un nouvel horizon. Il s’agissait d’une déclaration d’intention émise par le ministre des affaires étrangères britannique à l’intention de Lord Rothschild déclarant : Le Gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine. A partir de là, le nombre de juifs émigrant en Palestine augmenta de façon importante. Entre 1919 et 1923, la majorité des émigrants venaient de Russie et de Pologne. Le souvenir des moments révolutionnaires qui avaient secoué l’Europe de la fin de la guerre était très vivace dans les mémoires de ces nouveaux arrivants.
Gustav Landauer et Martin Buber
Arrêtons-nous sur le rôle de Martin Buber (1878-1965) dans la transmission de l’idéal anarchiste en Palestine. Il avait été un ami proche de Gustav Landauer (1870-1919) qui avait été assassiné quelques années plus tôt lors de la République des conseils bavaroise. Horrox rappelle avec raison que Landauer avait toujours été méfiant par rapport au sionisme politique. Il entrevoyait les tendances étatistes présentes chez beaucoup de sionistes. Il pensait que la vocation historique des juifs était d’aider à construire des communautés socialistes, autonomes de l’état.
Pour Landauer, dont l’influence a été importante dans l’anarchisme allemand contrairement aux pays latins, ce projet qu’il soit politique ou culturel ne semblait être que secondaire. Son engagement dans l’aventure bavaroise montre bien s’il en était nécessaire qu’un projet « juif » lui était étranger.
Horrox reprend à son compte l’avis d’une biographe de Landauer, Ruth Link-Salinger, qui illustre bien cette distance entre la vision de Landauer et le projet sioniste. L’utopie dont rêvaient ces intellectuels socialistes sionistes avait de profondes affinités avec les constructions sociales auxquelles on associait le nom de Landauer. Ce dernier avait écrit un hymne à la colonie paysanne, telle qu’elle fut incarnée par les Kibboutz . On retrouvera dans les pages de l’Arbeit l’organe germanophone du parti sioniste-socialiste Hapoel Hatzaïr cet appel : « Seuls quelques-uns parmi nous, ayant décidé de vivre une vie à la campagne, peuvent réaliser l’idée de la colonie agricole telle que l’envisageait Landauer en son temps. Les autres, nombreux, dont la vie est liée à la ville, apporteront leur contribution à la réalisation des enseignements de Gustav Landauer en aidant à former les “colonies citadines” qui naîtront un jour des foyers communautaires. »
Ce dernier, dans son « discours programmatique » énoncé quelques jours avant la proclamation de la République des conseils, avait formulé ainsi son espoir, aux accents juifs incontestables : « Il nous faut la trompette de Moïse, l’homme de Dieu, qui de temps en temps annonce la grande année jubilaire, il nous faut le printemps, l’illusion et l’ivresse et la folie, il nous faut – encore et encore et encore – la révolution, il nous faut le poète. ».
Pierre Sommermeyer
Ibid. La colonie - 1909-1910
Ibid. Gustav Landauer et le Mouvement d’implantation communautaire
Dans le même livre, texte de Walter Fähnders
PAR : Pierret Sommermeyer
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