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Chroniques du temps réel
par Philippe P. • le 2 novembre 2024
UNE PETITE MANIPULATION CLIMATÉRIQUE
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NB : Par « climatérisme », comprenons le discours qui se focalise sur le climat au détriment de la météorologie proprement dite (pas la même échelle de temps ou d’espace) et au détriment de la multiplicité des facteurs (car il n’y a pas que le « temps qu’il fait » — ou weather en anglais — dans la problématique environnementale).
Entendu au « Bulletin Météo-Climat » de France 2 du jeudi 24 octobre 2024 : (la speakerine) « Intéressons-nous à présent à l’érosion de nos côtes ; il est vrai que nos littoraux ne sont pas figés dans un contexte de changement climatique ; l’érosion s’aggrave à cause de la montée des eaux, (est) notamment en cause la hausse des températures qui dilate l’eau de nos océans. Et ce n’est pas sans conséquence que ce phénomène entraîne un recul du trait de côte ».
Ce propos semble anodin. Il est en tous les cas main stream et familier aux oreilles du public. Mais le diable se nichant dans les détails, il n’est pas inutile, pour la pensée libre et la lutte contre le capitalisme vert, d’en reprendre quelques éléments.
Voyons point par point.
Le « niveau des mers » : eustatisme et hydrodynamisme, à ne pas confondre
« Nos littoraux ne sont pas figés ». Certes, c’est un constat évident. Ce phénomène est, par exemple, familier aux habitants d’Aigues-Mortes dont la cité fut située au bord de la mer, du temps où les Chrétiens allaient chasser les Musulmans en Terre Sainte via les Croisades, et qui s’en trouve désormais à six kilomètres.
C’est le résultat d’un millénaire d’alluvions apportées par le Rhône et ses affluents jusqu’à son delta de Camargue. Les conditions strictement météorologiques ne constituent d’ailleurs qu’un facteur parmi d’autres dans cette avancée des terres.
Je mets de côté le fait que l’évolution actuelle du trait de côte en Camargue est complexe, entre avancée et recul en fonction du Rhône et de la dérive littorale (mais tel est le destin géographique d’un delta), suivant les décennies.
« L’érosion s’aggrave à cause de la montée des eaux » : cette affirmation est largement incomplète dans sa généralisation puisqu’elle confond eustatisme et hydrodynamisme. L’eustatisme désigne la variation en hauteur du niveau océanique, tandis que l’hydrodynamisme désigne le phénomène d’avancée des eaux océaniques proprement dites (par la houle, les marées, les tempêtes…).
Quel amaigrissement des plages ?
Les deux phénomènes peuvent se conjuguer, mais pas nécessairement. L’évolution du trait de côte atlantique entre le marais Poitevin et le pays Basque, par exemple, est largement dû à l’affaiblissement demi-séculaire de l’apport en sédiments, lesquels sont retenus par des barrages en amont sur la Garonne, la Dordogne et leurs affluents.
Il a bien fallu un demi-siècle pour se rendre compte des effets à long terme de ce type d’aménagement, que l’on constate aussi par ailleurs (le Nil depuis la construction du barrage d’Assouan, exemple le plus connu). Cela ne veut pas dire que les barrages soient systématiquement inutiles (les crues, les inondations, l’approvisionnement en eau…), mais tout n’est pas dû au « climat », ou à la mer.
L’amaigrissement des plages — phénomène bien connu des géographes qui travaillent sur les littoraux (cf. les travaux de Roland Paskoff) — favorise bien évidemment l’hydrodynamisme sans qu’intervienne forcément l’eustatisme. Il peut d’ailleurs survenir très rapidement lorsque des jetées ou des digues sont construites sans respecter la dérive littorale.
Quant aux côtes strictement rocheuses dans l’Hexagone, il faut distinguer ce qui relève de la mer ou bien de la géologie proprement dite. Il n’est pas sûr que la côte rocheuse de l’Estérel, pour prendre une région touchée par de fortes précipitations, évolue beaucoup.
Marégraphe de Brest et rocher de Celsius
Est « notamment en cause la hausse des températures qui dilate l’eau de nos océans » précise le bulletin. Or cette dilation est variable suivant les espaces et les saisons. Elle est d’ailleurs difficile à observer sur un temps long, surtout avant l’arrivée des mesures satellitaires.
L’un des plus anciens marégraphes de France, celui de Brest (trois siècles), ne signale pas d’évolution extraordinaire du niveau de la mer dans cette région (thèse de Nicolas Pouvreau, 2018). Ne parlons pas du rocher de Celsius qui montre que le niveau de la mer Baltique « descend » (en fait, c’est le socle hercynien qui « remonte » par effet rebond post-glaciaire), ou de son équivalent en baie d’Hudson au Canada.
Ces quelques remarques montrent déjà la faiblesse scientifique de ce « Bulletin Météo-Climat ». Mais ce n’est pas tout. C’est même la suite qui est la plus intéressante. Car il ne suffit pas de lancer des paroles, il faut démontrer les arguments et les illustrer par une étude de cas. Images à l’appui.
Le camping de Quiberville sur-Mer
Le reportage qui suit se tourne alors vers Quiberville-sur-Mer. Car « dans cette petite commune de Normandie se joue un exemple d’adaptation au changement climatique (avec) le déménagement d’un camping pour échapper à la montée des eaux, un projet indispensable selon le maire ».
Très bien, pense-t-on. Mais restons attentifs.
Voici ce que dit le maire : « Si demain la mer débordait, oui, vous aviez un endroit très dangereux, et si vous aviez des inondations venant du fleuve côtier, c’était toujours très dangereux, la preuve en 99, il existait à soixante mètres d’ici, et donc cent caravanes flottaient ». Le « si » est très important, et peut être bénéfique si l’on se place dans une perspective de « prévision » et donc de « gestion du risque ».
Mais il est « ici » très ambigu, car il se réfère tantôt à une éventualité (future), tantôt à un événement accompli (passé). Très bien dira-t-on encore. L’utilisation baroque de la concordance des temps interpelle néanmoins, en mettant même de côté qu’il n’est pas facile de s’exprimer à vif devant un micro et une caméra.
Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit. Car l’événement passé qui est supposé nous donner l’avenir par rapport au trait de côte n’a rien à voir. Le maire le dit lui-même : le camping était en zone inondable et s’il a été inondé en 1999, ce n’est pas du tout à cause de la mer, mais à cause de l’inondation du cours d’eau qui s’y jette, la Saâne. Cette inondation a été provoquée par le blocage de l’évacuation de ses eaux à cause de leur passage sous-dimensionné sous le pont où passe la route littorale. Les eaux se sont accumulées, ont été refoulées et ont inondé.
C’est pratiquement le même phénomène que le Limony bloqué par un embâcle les 17 et 18 octobre dernier en Ardèche (sauf que ce n’était pas des caravanes qui ont été touchées, mais des pavillons…).
La rhétorique du sous-entendu
La mer n’est donc strictement pour rien dans cette inondation à Quiberville, à moins que, indirectement, il y ait eu une marée à fort coefficient qui se soit ajoutée pour freiner l’écoulement. Mais cela, le reportage ne nous le dit pas.
De même qu’il n’évoque pas le fameux camping de La Faute-sur-Mer installé sur une zone inondable et dévasté par la tempête Xynthia en février 2010 (cf. la notice « Xynthia » dans le Dictionnaire critique de l’anthropocène).
Au passage, soulignons l’ambiguïté du propos qui parle du « déménagement d’un camping pour échapper à la montée des eaux », sans préciser de quelles eaux il s’agit : celles du fleuve ou celles de la mer ?
Sauf que la succession du contenu laisse entendre qu’il s’agit de la mer. Manipulation quasi imparable, sauf vigilance.
Et surtout ne pas parler de la délivrance des permis de construire.
Et la biodiversité arrive
Mais ce n’est pas fini.
Le nouvel aménagement — élargissement du passage sous le pont, suppression du camping — a en effet deux objectifs : « limiter les risques d’inondation et favoriser le retour de la biodiversité » nous dit un expert interrogé. La biodiversité : c’est-à-dire des poissons qui remontent le cours (saumon, truite de mer), des anguilles, de la végétation.
Très bien… mais où est le rapport avec le climat, ou, plus précisément, l’érosion des côtes et le niveau de a mer (sujet, rappelons-le du Bulletin Météo-Climat du 24 octobre)?
L’évolution météorologique peut affecter l’évolution des écosystèmes, mais les espèces vivent selon différents milieux, croissent, régressent, s’adaptent selon le temps qu’il fait…
En réalité, on mélange tout. C’est le grand fourre-tout intellectuel et… politique. Car lutter « contre le climat » et pour « la biodiversité » relève du même mantra. Il faut agir, mais, en sous-texte, pas n’importe quelle action : il faut la « décarbonation », donc promouvoir l’électrique, donc le tout-électrique, donc la relance de l’électro-nucléaire. C’est l’agenda du capitalisme vert.
La résilience des assurances
J’exagère ? Revenons au « si ». Le lendemain même, sur une autre chaîne du « service public », le journal de 13 h de France Inter, nous avons droit à une interview complaisante du directeur d’Axa-Climat. Oui, Axa, la compagnie d’assurance. Et qui s’intéresse au « climat ». Propos particulièrement édifiant, car le directeur s’est systématiquement placé dans le « si » de la prospective, le futur, mais devenu chez lui du « quasi sûr ». Les catastrophes climatiques vont fatalement augmenter, nous dit-il, donc les dégâts…
Et, là, chère lectrice et cher lecteur, vous allez ajouter logiquement que « le montant des primes d’assurance vont également augmenter ». Mais non, pas un mot ! Car nous sommes entre gens de bonne compagnie, n’est-ce pas. Chut sur ce qui fâcherait !
Au moment où la sphère politico-médiatique française glose sur « l’adoption du budget » et « les impôts », pas question d’évoquer ces basses questions d’argent. Surtout si ce sont les poches du citoyen lambda qui vont être touchées. On a déjà donné avec les gilets jaunes, on ne va pas refaire la même erreur politico-médiatique. On va donc gloser sur ce qu’il faudrait généreusement faire en réaménagement du territoire.
Et enchaînement logique du journal de France Inter : on va parler du Fonds Barnier d’indemnisation ! Lequel Barnier se trouve au même moment en déplacement sur la zone commerciale de Givors, là où les grandes enseignes de la « distribution » (lire : du « grand commerce ») se sont installées n’importe comment (pas de noms de marque : vous les connaissez déjà, vous pouvez toutes les énumérer).
Inondés à cause de leur impéritie, leurs bâtiments viennent de l’être. Et devinez qui va payer ?
Ah, le « changement climatique », s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer…
Philippe P., le 25 octobre 2024.
PAR : Philippe P.
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