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par Stéphane L. Polsky le 6 juin 2021

Sortez, monsieur !

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Article extrait du Monde libertaire n°1829 de juin 2021

Suite à une erreur de manipulation, l’article "Sortez monsieur !" paru dans le Monde libertaire de juin a été tronqué de sa conclusion forcément nécessaire. Voici donc l’article dans son intégralité. Le CRML



S’occuper de ses affaires, cela peut consister à faire passer l’engagement politique avant le confort nécessaire – serait-il financier – qu’on tire d’un statut, d’une situation. Par exemple, en tant que simple employé, pourquoi ne pas mettre à la porte un salaud de capitaliste, lui voler dans les plumes, lui exploser à la figure ? Le témoignage suivant, recueilli par la liaison William Morris de la Fédération Anarchiste, en propose un exemple édifiant. Mais laissons la parole à notre interlocuteur, qui pour des raisons évidentes a préféré garder l’anonymat…

Vous viendrez me voir à 11h
Le 27 mai 2018, les intervenants externes de l’école privée parisienne en redressement judiciaire où j’officiais comme enseignant étaient exaspérés. En cause : les découverts bancaires, l’hypothèque de la vie quotidienne, le mépris et la manipulation morale et psychologique pratiqués par la gérante de l’école, qui, tout en réglant au compte-goutte les factures d’honoraires des intervenants, évoquait à n’en plus finir le pouvoir financier d’hypothétiques repreneurs, avant d’ajouter sournoisement : « Mais je comprendrais que vous partiez. »
Le lendemain, alors que mes élèves et moi-même nous trouvions en plein cours, une personne entrouvre sans frapper la porte de la salle de classe.
– Monsieur X. ?
– Oui, bonjour.
– Vous viendrez me voir à 11h.
– Qui êtes-vous, madame ?
– La nouvelle directrice de l’école…
Je reconnais alors cette personne qui depuis plusieurs mois déjà visite les lieux, les locaux dirons-nous plutôt, accompagnée de son époux, sans jamais saluer aucun des professeurs ; cette personne dont il se dit qu’elle est cette « repreneuse » susceptible d’apurer les comptes déficitaires de l’école, mais qui se récuse néanmoins quant à la possibilité, avant l’adoption officielle d’un quelconque plan de reprise, de verser de quoi soulager la situation financière difficile des intervenants externes, et d’acheter du papier A4 pour la machine à photocopier, et des feutres de couleur pour les tableaux des salles de classe, et du papier hygiénique pour les toilettes…



Pièce « Boulevard du boulevard du boulevard » au Théâztre du Rond-Point.

Sortez, monsieur !
Alors, à ce moment-là, en plein cours :
– Qui êtes-vous, madame ?
– La nouvelle directrice de l’école. Vous viendrez me voir à 11h.
– Non.
Et le ton est monté, et l’échange s’est envenimé. La nouvelle directrice de l’école a insisté, j’ai persisté moi-même et, comme je lui demandais de nous laisser travailler, elle m’a sommé de sortir, de la salle de classe d’abord, puis de l’établissement : « Je ne faisais plus partie de l’équipe. »
Comme je m’étais levé pour aller refermer la porte, tout en en serrant fort la poignée : « Paul ! Paul ! se met-elle alors à crier. Le monsieur veut me frapper ! »
Le temps que l’appelé Paul arrive, mes élèves se sont indignés contre cette fausse accusation. C’est son époux. « Qu’est-ce qu’il se passe, ici ? » demande-t-il d’une voix théâtrale. S’ensuivent des répliques telles que : « Bien sûr que je suis la directrice de l’école ! J’ai acheté une action ! » Ou bien, d’une voix forte et à plusieurs reprises, tout en cherchant à m’impressionner physiquement : « Sortez, monsieur ! Quittez l’établissement ! »
Je réclame alors en vain l’argent qui m’est dû à la nouvelle directrice de l’école (les factures d’honoraires en retard des intervenants externes seront réglées l’été suivant) ; et après un bref passage dans le bureau du directeur, où tandis que le mari hurlait en frappant des deux mains à plat sur le bureau, la femme (qui n’avait donc encore signé aucun plan de reprise officielle, on l’aura compris) me filmait avec son smartphone, je sors de scène. Un vrai cirque.

Par ici, la sortie
Une demi-heure après, au café situé à l’angle de la rue du Bac et de la rue de l’Université, la police ayant été appelée, elle a constaté : l’attachement pour moi de mes élèves, avec lesquels j’entretenais une relation intellectuelle de respect et d’attachement mutuel ; les injures du futur repreneur à mon encontre (« Sale petit con ! ») ; la violence du futur repreneur en direction de mon épouse, elle-même intervenante à l’école : « Vous ne faites plus partie de l’équipe non plus ! » répétait-il, le doigt pointé vers elle, sans savoir qu’il parlait de lui-même ; la conduite injurieuse de la nouvelle directrice de l’école à mon endroit : « Je vais déposer plainte pour agression physique… » – ce à quoi l’une de mes élèves (de quinze ans) n’a pu faire autrement que de lui rétorquer en riant (amèrement, certes) : « Vous êtes une sale menteuse, madame ! »
Cinq jours plus tard, ceux que nous appelions déjà les « ex-futurs directeurs de l’école » retiraient leur offre de rachat. Un autre repreneur l’emportera ensuite. C’est un bon capitaliste aussi, il fait partie d’un groupe, mais au moins il respecte l’histoire de l’école et l’enseignement spécialisé qu’on y prodigue, quand les autres programmaient de supprimer des classes et des niveaux, de mettre un terme à l’alternance, et, bien sûr, d’augmenter les frais d’inscription…

Stéphane L. Polsky,
Liaison William Morris (Paris) de la Fédération Anarchiste
PAR : Stéphane L. Polsky
Liaison William Morris (Paris) de la Fédération Anarchiste
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