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par Azelma Sigaux • le 8 avril 2019
Le Jaune, le Bleu et le Truand
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Article extrait du Monde libertaire n°1804 de mars 2019
Cela faisait des lustres que le Truand truandait. Mais cette évidence n’apparaissait pas comme telle pour tout le monde. Il faut dire que le Truand avait lui-même succédé à un autre truand. Un truand à visage découvert. Celui-là, à l’inverse, avançait masqué. Grimé derrière une définition qu’il brandissait comme un étendard sanglant d’imposture : « démocratie ».
Oui, sanglant. Car cette démocratie n’en arborait que la dénomination. Le sens, lui, passait progressivement à la trappe, dans l’urne. Le « pouvoir au peuple » s’illustrait principalement par un nom sélectionné dans un isoloir, une fois tous les cinq ans. Ce patronyme résultait en fait d’un choix restreint, parmi une liste d’individus bien éloignés du quotidien lambda. Les candidats les moins privilégiés, les plus honnêtes, se faisaient éliminer d’office par la Bien-Pensance. Un combo offert par Sa Majesté la Presse et Sir Sondage. Et si par hasard le Bon passait au travers des obstacles, le pouvoir concentré le métamorphosait immédiatement en Truand.
L’escroquerie de la démocratie, aussi grosse était-elle, fonctionna tout de même. Suffisamment, en tout cas, pour perdurer. Quelques révoltes éclatèrent bien sûr, çà et là, sans jamais complètement dissoudre le mal grandissant. Tout au plus, elles l’effritèrent, l’ébranlèrent très légèrement. Mais chaque fois, la Truanderie réussissait à redorer son blason. L’étendard sanglant demeurait brandi, chanté et applaudi.
Jusqu’au jour où le Jaune se souleva. Le Jaune, c’était le nouveau pauvre. Celui qui, à l’inverse de ses prédécesseurs, était condamné à choisir entre les trajets coûteux et le bidonville insalubre. Celui qui, après avoir travaillé toute sa vie, devait encore fournir l’ultime effort pour ne pas succomber définitivement sous le poids des dettes. Celui qui, avant même d’entamer la carrière pour laquelle il était fraîchement diplômé, devait se faire exploiter pour égaler le SMIC. Celui qui, après avoir déboursé toutes ses économies et signé un pacte avec le diable banquier, devait encore payer une taxe sur la pierre qui lui appartenait.
Car le Jaune n’était pas un, mais plusieurs. Plusieurs étaient le Jaune. Il pouvait donc être né dans la pauvreté ou y avoir été convié. Mais il pouvait aussi ne manquer de rien et se jaunir par solidarité. Oui, parce qu’en plus d’être plusieurs, le Jaune arborait souvent un comportement fraternel. Pour couronner le tout, il refusait d’obéir à un chef. Dès lors, il ne se soumettait ni au Truand, ni à celui qui, déguisé en Jaune, prétendait être son leader. La cause de la couleur des blés ne se dirigeait que par sa diversité.
Afin de faire face à cette bête ingérable, le Truand fit donc appel au Bleu. Le Bleu, qu’on se le dise, n’était pas toujours bleu. Mais même sobre, il se montrait redoutable. Il servait principalement à faire diversion, au sens propre comme au figuré. Protégé, armé jusqu’aux dents, face au Jaune, le Bleu obtint presque tous les droits. Lui-même maltraité, sous tension, il n’hésita pas longtemps à faire usage de la force, ni à faire fi de la morale. Ainsi, le Jaune, privé de toute protection, perdit une poignée de membres, quelques yeux, mais gagna en ambition. Et comme le Jaune était plusieurs, il se relaya. S’auto-motiva. Si bien que le Bleu et le Jaune s’affrontèrent, semaine après semaine, permettant au Truand de continuer ses petites affaires en toute impunité.
Pendant ce temps, la division populaire, bien qu’impopulaire, se multiplia. Tels des cellules, les citoyens se scindèrent, se dispersèrent. Au Jaune et au Bleu s’ajouta bientôt le Rouge, reportant sa colère pécuniaire sur le Jaune. Puis le Vert, considérant sa lutte antinomique à celle des trois premiers. Puis vint la Violette, ségréguant ainsi ses propres revendications, pourtant anti-ségrégations. Rapidement, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, éparpillées, « succédées », alternées, s’étalèrent sur le bitume, face aux boucliers et aux matraques du Bleu foncé.
Pendant ce temps, dans son obscur palais, le Truand se frottait les mains. Il célébrait l’oubli commun à toutes les couleurs citoyennes. Un oubli fort regrettable pour les uns, bien heureux pour l’autre. Le Truand n’était autre que la source de chacun des maux, aussi variés étaient-ils, et cela échappait aux esprits les plus performants.
La mémoire retrouvée, le spectre populaire n’aurait pourtant qu’à unir ses forces, rassembler ses tons, ses nuances, ses carnations et ses demi-teintes, pour enfin triompher. Une fois fusionnés sur la palette des colères nationales, le Jaune, le Bleu, le Rouge et leurs pairs verraient aussitôt naître dans le ciel le faisceau blanc de l’Espoir.
Oui, sanglant. Car cette démocratie n’en arborait que la dénomination. Le sens, lui, passait progressivement à la trappe, dans l’urne. Le « pouvoir au peuple » s’illustrait principalement par un nom sélectionné dans un isoloir, une fois tous les cinq ans. Ce patronyme résultait en fait d’un choix restreint, parmi une liste d’individus bien éloignés du quotidien lambda. Les candidats les moins privilégiés, les plus honnêtes, se faisaient éliminer d’office par la Bien-Pensance. Un combo offert par Sa Majesté la Presse et Sir Sondage. Et si par hasard le Bon passait au travers des obstacles, le pouvoir concentré le métamorphosait immédiatement en Truand.
L’escroquerie de la démocratie, aussi grosse était-elle, fonctionna tout de même. Suffisamment, en tout cas, pour perdurer. Quelques révoltes éclatèrent bien sûr, çà et là, sans jamais complètement dissoudre le mal grandissant. Tout au plus, elles l’effritèrent, l’ébranlèrent très légèrement. Mais chaque fois, la Truanderie réussissait à redorer son blason. L’étendard sanglant demeurait brandi, chanté et applaudi.
Jusqu’au jour où le Jaune se souleva. Le Jaune, c’était le nouveau pauvre. Celui qui, à l’inverse de ses prédécesseurs, était condamné à choisir entre les trajets coûteux et le bidonville insalubre. Celui qui, après avoir travaillé toute sa vie, devait encore fournir l’ultime effort pour ne pas succomber définitivement sous le poids des dettes. Celui qui, avant même d’entamer la carrière pour laquelle il était fraîchement diplômé, devait se faire exploiter pour égaler le SMIC. Celui qui, après avoir déboursé toutes ses économies et signé un pacte avec le diable banquier, devait encore payer une taxe sur la pierre qui lui appartenait.
Car le Jaune n’était pas un, mais plusieurs. Plusieurs étaient le Jaune. Il pouvait donc être né dans la pauvreté ou y avoir été convié. Mais il pouvait aussi ne manquer de rien et se jaunir par solidarité. Oui, parce qu’en plus d’être plusieurs, le Jaune arborait souvent un comportement fraternel. Pour couronner le tout, il refusait d’obéir à un chef. Dès lors, il ne se soumettait ni au Truand, ni à celui qui, déguisé en Jaune, prétendait être son leader. La cause de la couleur des blés ne se dirigeait que par sa diversité.
Afin de faire face à cette bête ingérable, le Truand fit donc appel au Bleu. Le Bleu, qu’on se le dise, n’était pas toujours bleu. Mais même sobre, il se montrait redoutable. Il servait principalement à faire diversion, au sens propre comme au figuré. Protégé, armé jusqu’aux dents, face au Jaune, le Bleu obtint presque tous les droits. Lui-même maltraité, sous tension, il n’hésita pas longtemps à faire usage de la force, ni à faire fi de la morale. Ainsi, le Jaune, privé de toute protection, perdit une poignée de membres, quelques yeux, mais gagna en ambition. Et comme le Jaune était plusieurs, il se relaya. S’auto-motiva. Si bien que le Bleu et le Jaune s’affrontèrent, semaine après semaine, permettant au Truand de continuer ses petites affaires en toute impunité.
Pendant ce temps, la division populaire, bien qu’impopulaire, se multiplia. Tels des cellules, les citoyens se scindèrent, se dispersèrent. Au Jaune et au Bleu s’ajouta bientôt le Rouge, reportant sa colère pécuniaire sur le Jaune. Puis le Vert, considérant sa lutte antinomique à celle des trois premiers. Puis vint la Violette, ségréguant ainsi ses propres revendications, pourtant anti-ségrégations. Rapidement, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, éparpillées, « succédées », alternées, s’étalèrent sur le bitume, face aux boucliers et aux matraques du Bleu foncé.
Pendant ce temps, dans son obscur palais, le Truand se frottait les mains. Il célébrait l’oubli commun à toutes les couleurs citoyennes. Un oubli fort regrettable pour les uns, bien heureux pour l’autre. Le Truand n’était autre que la source de chacun des maux, aussi variés étaient-ils, et cela échappait aux esprits les plus performants.
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PAR : Azelma Sigaux
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1 |
le 9 avril 2019 12:23:27 par Eric |
J’adore, le texte me laisse sans voix
2 |
le 11 avril 2019 13:34:19 par Lydie |
Éblouie par tant de lucidte
3 |
le 8 mai 2019 14:49:17 par Bernard comcom |
magnifique texte,vraiment plein de souffle