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par Monica Jornet (Gruppo Errico Malatesta - FAI - Napoli) • le 20 mars 2018
Indépendance de la Catalogne : OUI, NON
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Article extrait du « Monde libertaire » n° 1791 de janvier 2018
Mon nom est catalan, je suis de famille basque et catalane (exilée en France pendant le franquisme), de langue maternelle espagnole (castillan), je travaille à Paris et je suis chez moi à Naples. Comme Errico Malatesta, je ne hais pas les patries, je hais les patriotismes. Il existe des nations au sens de communautés culturelles, nous construisons également nos patries à partir de la langue, des lectures, des amitiés, du vécu, du cœur, du hasard. Mes patries n’ont rien à voir avec les frontières, avec une carte d’identité, avec une résidence ou un travail… Ni espagnoliste, ni catalaniste : internationaliste !
Déclaration de 2017
L’indépendance de la Catalogne a été proclamée ce soir (10 octobre) et immédiatement suspendue… Le président de la Communauté autonome de Catalogne, Carles Puigdemont, comparaissait au Parlement (Parlement autonomique catalan) le 10 octobre 2017, à 18 heures. On s’attendait à ce que, dans le respect de la loi de référendum catalane (suspendue par le Tribunal constitutionnel) et au vu des résultats, il proclame la Déclaration unilatérale d’indépendance de la Catalogne (DIU). A 19 h 35, sous un tonnerre d’applaudissements, il déclarait : « Parvenus à ce moment historique, et en tant que président de la Generalitat, j’assume, en présentant les résultats du référendum devant le Parlement et nos concitoyens, le mandat du peuple pour que la Catalogne devienne un État indépendant sous la forme d’une république. » Pour ajouter ensuite, à la surprise générale : « Et c’est avec la même solennité que je propose, au nom du govern, que le Parlament suspende les effets de la déclaration d’indépendance, afin que dans les prochaines heures puisse s’établir un dialogue sans lequel il n’est pas possible de parvenir à une solution négociée. »
Ce n’était pas la première déclaration unilatérale de création d’un État catalan, on doit rappeler les dates de 1931 et 1934 mais, dans les deux cas, on en resta là. La première fois tout fut « résolu » par la cession à la Catalogne de son autonomie et, la seconde fois, par la répression. Mais en réalité rien n’avait été résolu, puisque la situation est aujourd’hui la même et la même question se pose : comment répondra le gouvernement espagnol ? Cherchera-t-il à résoudre le conflit en acceptant de négocier comme en 1931 ? Peut-être avec une cession fiscale de 100 %, au lieu des 50 % actuels d’autonomie fiscale (ce « pacte fiscal » serait l’équivalent du Concert économique en vigueur au Pays Basque et en Catalogne en vertu de leurs anciens fueros) ou voudra-t-il imposer la loi par la force publique, comme en 1934, en suspendant l’autonomie de la Catalogne et en jugeant pour rébellion à l’État des autonomies ? Et le roi Felipe VI ? Enverra-t-il les chars en tant que chef des armées qu’il passe en revue tous les ans lors de la Pascua Militar ? Si le président catalan veut, par son discours additionnel après la déclaration, une troisième voie inédite, à savoir négocier pour obtenir l’indépendance de la Catalogne et non pour y renoncer, il me semble qu’il ne réussira pas. S’il veut simplement avoir déclaré l’indépendance pour ne pas faire piètre figure en se déjugeant (parce qu’il n’est pas en mesure d’affronter les chars de l’État espagnol et la ruine économique provoquée par l’appareil financier européen (inconvénient également dû au fait qu’il veut faire partie de ce système capitaliste) mais qu’il a en réalité l’intention d’obtenir le pacte fiscal, il pourrait réussir mais peut-être pas parce que le président espagnol a été clair : il n’y a rien à négocier. Sans compter, bien entendu, que Rajoy prendra certainement mal qu’il veuille négocier après ce qui a été très clairement une déclaration unilatérale d’indépendance.
Déclaration de 1931
Ezquerra Republicana de Catalunya, parti fondé en 1931 pour concourir aux élections municipales en tant que premier parti républicain, laïque, de gauche, réussit à briser l’abstentionnisme anarchiste ouvrier et fut le parti en tête en Catalogne. En conséquence de quoi, Alphonse XIII prit le chemin de l’exil et la Seconde République espagnole fut proclamée le 14 avril 1931. Francesc Macià proclama le jour même la République catalane comme « État membre de la Fédération ibérique ». Trois jours plus tard, il renonçait à l’indépendance en échange de la rédaction d’un projet de statut d’autonomie. C’est à ce moment que fut décidée la création d’une institution de gouvernement propre, la Generalitat de Catalunya, constituée d’un gouvernement présidé par Macià et d’une assemblée provisoire.
Déclaration de 1934
La révolution des Asturies menée par les paysans et ouvriers éclate après la répression au printemps, par le gouvernement de droite, d’une grève générale appelée par le syndicat socialiste UGT. Le Parti nationaliste basque (PNV), de droite, catholique et localiste, ne soutint pas la révolution ouvrière qui fut étouffée en quelques jours en Biscaye, pays de hauts fourneaux. En Catalogne, à la mort de Francesc Macià en 1933, Lluís Companys (ERC), lui avait succédé à la présidence de la Generalitat. Il y eut un affrontement entre le gouvernement central de droite (élu en 1934) et la Generalitat de gauche à l’occasion de l’approbation par le Parlament de la loi de contrats agricoles, favorable aux paysans louant des terres. La très conservatrice et nationaliste Lliga Catalana présenta un recours en défense des propriétaires terriens et la loi fut déclarée inconstitutionnelle. C’est pourquoi la révolution éclata aussi à Barcelone : Lluís Companys proclama l’État catalan au sein de la République fédérale le 6 octobre 1934. La Generalitat fut bombardée le jour-même. Companys et tout le gouvernement furent accusés du délit de rébellion et, en juin 1935, condamnés à trente-cinq ans de prison. Le statut d’autonomie resta suspendu jusqu’à la victoire du Front populaire en 1936, année où Companys retrouva la présidence de la Generalitat.
Le référendum légal de 1931 en Catalogne
La Constitution de 1931, approuvée le 9 décembre par le Parlement de la IIe République, instaurait un « État intégral » dans lequel « une ou plusieurs provinces limitrophes » pouvaient « s’organiser en région autonome pour construire un noyau politico-administratif au sein de l’État espagnol » (et ce afin de concilier les positions des unionistes et des fédéralistes après l’échec de la Ie République (1873-1874) qui se termina par le coup d’État du général Manuel Pavía et la restauration de la monarchie). Une commission dirigée par ERC se réunit à Núria pour rédiger un statut d’autonomie pour la Catalogne. Le statut de Núria qui définissait la Catalogne comme un « État autonome au sein de la République espagnole » fut approuvé en août 1932 par 99 % des suffrages lors d’un référendum en Catalogne. Le Parlement l’approuva en septembre, malgré une intense campagne contre le « séparatisme catalan » mais après l’élimination dans le texte du droit d’autodétermination ainsi que des articles souverainistes (création d’une citoyenneté catalane, droit d’incorporer de nouveaux territoires, le catalan comme seule langue officielle). La Catalogne devenait dans le texte définitif une « région autonome au sein de l’État espagnol » avec deux langues officielles. En novembre 1932 eurent lieu les premières élections de la Communauté autonome de Catalogne.
Le référendum légal de 1979 en Catalogne
La Constitution de 1978 qui instituait la monarchie parlementaire, après la mort du dictateur fasciste, le général Francisco Franco, en novembre 1975, poussa encore un peu plus loin le processus en créant l’État des autonomies (toutes les provinces devaient se regrouper en communautés autonomes) mais toujours au sein d’une « patrie commune et indivisible de tous les Espagnols » exigeant à la fois le « droit à l’autonomie des “nationalités” et régions qui la composent » et « la solidarité entre elles ». L’État a la compétence exclusive en matière d’intérêt général ou débordant du territoire de la communauté autonome ainsi qu’en matière de législation basique. L’État est autorisé à céder des pouvoirs (compétences) aux communautés autonomes le souhaitant mais aucune de façon exclusive, seulement des modalités de déroulement et d’application. Chaque communauté autonome a ainsi aujourd’hui son propre gouvernement autonomique ou govern en catalan (la Generalitat) avec un président (president), des conseillers (consellers) qui sont l’équivalent des ministres. Le Tribunal supérieur de justice dépend du Tribunal suprême. Le statut de Sau fut approuvé par référendum en Catalogne le 25 octobre 1979 avec 88,14 % des suffrages et par le Parlement espagnol en décembre mais avec des amendements, qui sont cependant un pas en arrière par rapport au statut de Núria : par exemple la création d’un délégué du gouvernement dans chaque communauté autonome. La compétence d’éducation auparavant exclusive devenait seulement « pleine ».
Le référendum légal de 2006 en Catalogne désavoué
Un quart de siècle après, la réalité de l’application des principes constitutionnels de création des communautés autonomes imposa la nécessité pour chaque communauté autonome de réformer les statuts d’autonomie. C’est ainsi que le statut catalan réformé fut approuvé par le Parlament en septembre 2005, avec la seule opposition du PP (Parti populaire, de droite). Il mentionnait le « développement d’un État plurinational » en référence à l’Espagne et déclarait dans son art. 1 : « La Catalogne est une nation », un terme réservé exclusivement à l’Espagne dans la Constitution. Après amendement de la commission constitutionnelle du Parlement, le préambule du statut réformé affirma à titre de description (et non de définition) que le « Parlement de Catalogne a défini la Catalogne comme une nation » mais seuls les articles ayant force de loi, l’article premier ne change pas par rapport au statut de 1979 : « La Catalogne, en tant que nationalité, exerce son gouvernement autonome en se constituant en communauté autonome, conformément à la Constitution et à ce statut. » La cession fiscale passait à 50 %.
Le Parlement approuva le statut réformé le 31 mars 2006 avec les voix contre du PP ainsi que d’EA et ERC qui refusaient les amendements). Néanmoins, l’art. 3 proclamait : « La Generalitat est État » ; l’art. 5, « le gouvernement autonome de la Catalogne est basé sur des droits historiques du peuple catalan » ; l’art. 6, sur les langues officielles, « le droit et le devoir de les connaître » (tandis que, auparavant, ce devoir ne concernait que le castillan). L’art. 8 enfin introduisait le terme « nationaux » : « La Catalogne, définie comme nationalité dans l’art. 1, a pour symboles nationaux son drapeau, sa fête et son hymne. » C’est pourquoi le PP présenta un recours devant le Tribunal constitutionnel. Lors du référendum de juin 2006 en Catalogne, le « oui » l’emporta avec 73,9 % des suffrages (20,76 % de « non »).
Consultations illégales en Catalogne dans diverses villes depuis 2007
La longue attente de la sentence du Tribunal constitutionnel, accompagnée de vifs débats, favorisa l’essor du nationalisme. Nous en citerons quelques exemples. En mars 2007, ERC proposa un référendum d’autodétermination pour le 27 mai, jour des élections municipales. Il voulait ainsi démontrer que sa participation à un gouvernement non nationaliste (celui du socialiste…) n’entamait pas son « catalanisme » et ne pas perdre les électeurs nationalistes au profit de CIU, le parti nationaliste démocrate-chrétien désireux de revenir au pouvoir, car il se retrouvait pour la première fois dans l’opposition. Le 3 septembre 2007 le maire de la petite localité de Arenys de Munt (8 000 habitants) organisa une consultation sur l’indépendance qui l’emporta avec 96 % des suffrages. Une consultation similaire eut lieu le 13 décembre 2009 dans 161 municipalités dont une capitale de province (Girona), toujours organisée par des associations et non des partis, et sans accès aux registres électoraux. Toutes ces consultations n’ayant pas force de loi permettaient un vote sentimental et donnaient un avertissement au Tribunal constitutionnel. Lors d’une consultation à Barcelone, le 10 avril 2011, 257 645 citoyens votèrent pour ou contre l’indépendance (participation de 21 %) et le « oui » l’emporta avec 91 % des suffrages.
Le 9 novembre 2014, le gouvernement catalan présidé par Artur Mas posait en catalan et en castillan deux questions pour une « consultation sur l’avenir politique de la Catalogne » : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État ? » et, « si la réponse est affirmative, voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant ? » (avec deux réponses possibles : « oui » ou « non » pour qui répondait « oui » à la première question sur la partie gauche du bulletin).
Le 1er octobre 2017, le gouvernement catalan présidé par Carles Puigdemont posait une question en catalan, castillan et aranais (langue occitane parlée dans le val d’Aran, à la frontière de la France et de l’Aragon, protégée par le statut d’autonomie de la Catalogne depuis 1979 et déclarée langue officielle en Catalogne en 2006) pour un référendum d’autodétermination de la Catalogne (convoqué en juin) : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? » (avec deux réponses possibles : « oui » ou « non »).
En 2014, lors de cette consultation (qui, par définition n’avait pas force de loi contrairement à un référendum), tous les Catalans de plus de 16 ans ayant leur résidence en Catalogne, y compris les résidents à l’étranger et les migrants ayant leur permis de séjour, étaient appelés à voter. En 2017, la loi de référendum approuvée par le Parlement catalan (avec la volonté de faire force de loi) est plus restrictive puisqu’elle appelait à voter tous les Catalans ayant le droit de vote, ce qui exclut donc les migrants et les mineurs. En 2014, la participation des municipalités fut très élevée, 942 sur 947 communes catalanes y participèrent. En 2017, seuls 720 communes, 74 % de l’ensemble des municipalités. En 2014, la participation a été de 2 344 828 personnes. 90 % de votes « oui »-« oui », 10,02 % de « oui »-« non » et 4,49 % de « non ». La participation en 2017 a été de 2 262 424 personnes, soit un hypothétique 37,8 % des inscrits sur les listes électorales. Le « oui » à l’indépendance obtient 90 % des voix (2 020 144), le « non » 7 % (176 666), 0,89 % de votes nuls et 2 % de blancs. L’ex-président de la Generalitat, Artur Mas avait insisté sur l’importance cruciale d’une participation plus élevée en 2017 qu’en 2014 ; cela n’a pas été le cas. Il est également vrai qu’à cause de la fermeture de certains collèges électoraux par les forces de l’ordre, près de 670 000 inscrits n’auraient pas pu voter mais aucune certitude à ce sujet car les gens pouvaient voter quasiment sans aucun contrôle et même plusieurs fois. De fait, d’après la Generalitat elle-même, 96 % des bureaux étaient ouverts. La difficulté d’interprétation des résultats de 2017 vient aussi de ce qu’il n’y avait pas la garantie des registres électoraux, mais on peut au moins en conclure que se sont mobilisés massivement dans les deux cas ceux qui voulaient l’indépendance, notamment en 2017 pour un référendum ayant force de loi pour le gouvernement catalan même s’il se tenait dans l’illégalité pour le gouvernement espagnol.
On peut observer que la double formulation de 2014 permettait l’expression aussi bien de ceux qui voulaient un statut autre que l’indépendance pour le nouvel État catalan par rapport à l’Espagne (par exemple un État libre associé comme Porto Rico par rapport aux États-Unis ou un État fédéraliste, etc.), que de ceux qui voulait directement l’indépendance de la Catalogne. En 2017, en revanche, aucun autre choix n’est proposé que de répondre directement à la question de l’indépendance. Ce référendum de 2017 va également plus loin que la consultation de 2014, puisqu’il propose un changement de régime de la monarchie à la république en cas d’indépendance. Mais voulons-nous aller encore plus loin ? En 2014, la partie droite du bulletin électoral ne comprenait pas de case pour répondre à la deuxième question, donc on ne pouvait que répondre « oui »-« oui » ou « oui »-« non » ou bien un simple « non ». Cependant les anarchistes firent campagne pour la voie révolutionnaire du « non »-« oui ». « Non » à un nouvel État, « oui » à un pays d’assemblées confédérées. Voir le bulletin de vote alternatif diffusé par les anarchistes en 2014. La réponse des anarchistes à la question posée au référendum de 2017 fut la même : nous voulons l’indépendance mais pour un pays d’assemblées populaires confédérées.
En juin 2010, le Tribunal constitutionnel rendit son verdict d’inconstitutionnalité de quatorze articles du statut catalan concernant notamment la « nation » catalane, la préférence et l’obligation de la langue catalane, le pouvoir judiciaire catalan, une nouvelle relation de caractère « bilatéral » Generalitat - gouvernement central. Les Catalans n’acceptèrent pas que l’on puisse invalider un statut approuvé par le Parlement puis par référendum en Catalogne, en toute légalité. N’affirme-t-on pas — dans la farce démocratique du moins —, que là réside la souveraineté du peuple ? LE CEO dans son baromètre du mois d’octobre indiqua que l’indépendantisme avait atteint le record de 25 % d’opinions favorables. En conséquence, le parti démocrate-chrétien CiU retrouva la présidence de la Generalitat lors des élections autonomiques de 2010. Le president Artur Mas (CiU) promit alors un référendum de sécession à long terme et le pacte fiscal à court terme. Le Parlament proclama en mars 2011 un droit non négociable à l’autodétermination avec l’opposition du PSC et du PP, et les votes pour de ERC, ICV, CIU – le front nationaliste s’était reformé. Le parti de gouvernement CDC (dans la coalition CiU) fixa lors de son congrès de mars 2012 l’objectif pour la Catalogne d’avoir son « propre État ». Toujours ce mot « État » qui revient. Le 11 septembre, jour de la Diada, fête de la communauté autonome, le traditionnel défilé nationaliste festif se mua en une immense marche pour l’indépendance. Le 17 septembre, la commune de Vic approuva une motion présentée par Esquerra Republicana (ERC), Candidatura d’Unitat Popular (CUP), Iniciativa-Esquerra Unida et Solidaritat (SI), et se déclara « territoire catalan libre et souverain » avec le soutien de conseillers municipaux de CiU.
Le president Artur Mas annonça le 25 septembre au Parlament, des élections anticipées au 25 novembre 2012, et lança le défi inouï de proposer au cours de son mandat la convocation d’une consultation pour que les Catalans décident s’ils veulent constituer leur « propre État » au sein de l’Union européenne : « Si on peut le faire par référendum parce que le gouvernement l’autorise, tant mieux, autrement on le fait quand même. » Et le 27, le Parlament approuva la proposition de CiU et ERC d’une consultation sur l’autodétermination à organiser « en priorité » pendant la législature à venir avec les voix de CiU, ICV, ERC et Solidaritat, l’abstention du PSC, et les voix contre des partis de droite espagnoliste, PP et Ciutadans (C’S). Artur Mas renouvela son mandat de président dans un gouvernement de coalition CiU - ERC dont le référendum d’autodétermination au plus tard en 2014 était la condition. La CUP, indépendantiste et anticapitaliste, obtint pour la première fois une représentation au Parlament.
Le 23 janvier 2013, le Parlement approuva que la Catalogne fût « sujet politique et souverain » (alors que la souveraineté réside dans le peuple espagnol, pour : CiU, ERC, ICV, CUP, contre : PSC, PP et C’S. Cinq PSC préférèrent s’absenter. En février 2013, quatorze députés socialistes catalans au Parlement désobéirent pour la première fois à la consigne de leur parti PSC et approuvèrent la motion de CiU (et celle de ICV), demandant au gouvernement de négocier avec la Generalitat une consultation populaire d’autodétermination. La loi catalane de consultations populaires, à l’initiative du govern en 2013, approuvée par le Parlament, fut déclarée inconstitutionnelle après le recours du président Zapatero. Et nous arrivons à la consultation de 2014… Puis il y eut des élections autonomiques en septembre 2015, que le govern annonça comme devant être plébiscitaires pour l’indépendance par un vote massif pour la coalition nationaliste Junts pel Sí (PDeCAtT héritier de CiU, ERC et indépendants) qui forme avec la CUP une coalition pour gouverner en obtenant une majorité de sièges (72) mais les nationalistes perdent le plébiscite (47,7 % des suffrages). Carles Puigdemont est investi president avec Oriol Junqueras de ERC comme vice-président. LA CYP est un parti anticapitaliste qui aspire à l’indépendance des països catalans (un sujet qui serait à creuser car les zones catalanophones (catalan ou dialecte du catalan, Aragon, Baléares, val d’Aran, mais aussi Valence qui défend que le valencien soit une langue), dénoncent un impérialisme territorial. De plus être nationaliste et de gauche me semble contradictoire et j’en veux pour preuve les tensions internes quand il s’agir de voter le budget au Parlament…
Un parcours historique à prendre « avec des pincettes »
Le préambule du statut réformé de 2006 parlait de droits historiques : « Depuis 1714, il y a eu plusieurs tentatives de récupération de nos institutions de gouvernement. Des jalons de cet itinéraire historique sont, en autres, la Mancomunidad de 1914, le rétablissement de la Generalitat, le statut de 1932 et celui de 1979. » Durant la guerre de Succession d’Espagne (suite à la mort sans descendance en 1700 du roi Carlos II de Austria, branche espagnole des Habsbourg), toute la couronne d’Aragon prit parti pour le candidat de l’Alliance de La Haye, constituée en Europe pour chasser du trône hispanique, à l’époque le plus grand empire du monde, Philippe d’Anjou (Felipe V de Borbón, premier Bourbon à régner en Espagne donc), petit-fils de Louis XIV, car les Bourbons étaient beaucoup plus centralistes que les Habsbourg. Après la signature du traité d’Utrecht, elle resta seule face à l’armée franco-castillane. Barcelone se rendit aux troupes de Felipe V, le 11 septembre 1714, après un long siège (symbole de résistance, la date est devenue la Diada, fête de la Catalogne) et les décrets de Nueva Planta supprimèrent le gouvernement, les institutions et les administrations de la couronne d’Aragon ainsi que ses privilèges, les royaumes d’Aragon et de Valence en 1714, de Mallorca en 1715 et la principauté de Catalogne en 1716. Tous catalanophones.
Le bilan pour la Catalogne fut la perte de sa relative souveraineté ainsi que l’usage du catalan. En revanche la Navarre et les provinces basques qui étaient restées fidèles à Felipe V conservèrent leurs privilèges (fueros) reconnus aujourd’hui par la Constitution, sous forme d’autonomie fiscale complète… C’était sous Felipe V et aujourd’hui c’est Felipe VI, donc de droite comme de gauche, on trouve difficilement des Catalans soutenant la monarchie. Je partage cependant le sentiment antimonarchique des Catalans, mais pour d’autres raisons, presque toutes exprimées par Bakounine dans État et anarchisme : « Que l’État porte le nom de monarchie ou de république, le crime sera toujours nécessaire pour conserver le pouvoir et pour triompher. » « Cela ne nous intéresse pas beaucoup que l’autorité se nomme Eglise, monarchie, république bourgeoise ou dictature révolutionnaire. » Mais tout ne se vaut pas car Bakounine pense que certains régimes sont moins oppresseurs et la participation du peuple plus élevée : « Que personne ne croie qu’en critiquant les gouvernements démocratiques, nous exprimons une préférence pour la monarchie. Nous sommes fermement convaincus que la plus imparfaite des républiques vaut mieux que la plus éclairée des monarchies. »
Un nationalisme progressiste à examiner à la loupe
C’est seulement parce que la République espagnole de 1931 a concédé des statuts d’autonomie qu’un parti aussi conservateur que le PNV (Parti nationaliste basque) (1), fondé en 1895 avec la devise « Dieu et anciennes lois », par le raciste xénophobe Sabino Arana, de famille carliste, qui préférait un Basque ne parlant pas le basque à un non-Basque de culture basque, ait été républicain et pas monarchiste. Quant à la Lliga catalanista, le parti catalan le plus important jusqu’en 1923, conservateur, catholique et bourgeois, son projet de loi pour créer une entité administrative intégrée par les quatre provinces catalanes s’appela Mancomunidad, fut adopté en 1914. La Mancomunidad favorisa la culture catalane ainsi que les infrastructures et les routes. L’objectif était un gouvernement propre à la Catalogne pour mieux faire des affaires au bénéfice seul de la bourgeoise catalane, mais elle alla loin en soutenant le coup d’État de Miguel Primo de Rivera (ce dictateur est tout simplement le père de José Antonio, idéologue du fascisme espagnol et fondateur de la Phalange en 1933, idole franquiste fusillée au début de la guerre civile) en échange d’une politique protectionniste pour la Catalogne (dont il était le capitaine général) et de la répression de la CNT dont le succès allait croissant.
Pas de chance, Primo de Riovera interdit le catalan en public et dissout la Mancomunidad en 1925 avec l’entrée en vigueur du statut provincial pour toute l’Espagne. Cela signifia la fin de la Lliga qui, après la chute de la dictature en 1930, fut détrônée par un nouveau catalanisme, Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), de gauche républicaine. Et c’est seulement le centralisme de la droite républicaine espagnole, qui était unioniste, qui explique les alliances tactiques du nationalisme catalan et basque avec la gauche alors qu’elle était fédéraliste. Mais certainement pas avec les anarchistes qui étaient internationalistes. De fait, la CNT ne soutint pas la proclamation de la République catalane. Autrement dit, je suis en train de vous donner une grande nouvelle : le nationalisme n’est pas progressiste ! Mais cette alliance perdura car le général Franco, en instaurant sa dictature fasciste après avoir remporté la guerre civile (1936-1939), suspendit les statuts d’autonomie obtenus par la Catalogne, le Pays Basque et la Galice sous la IIe République. De sorte qu’aujourd’hui, rien d’étonnant à ce que tous les partis nationalistes soient aussi républicains. Quand Franco interdit les langues régionales au profit du castillan, son nationalisme « espagnoliste » exclusif alimenta le nationalisme régionaliste. Nationalistes, main dans la main avec socialistes et communistes luttèrent ensemble dans la clandestinité et l’exil contre le franquisme et connurent les mêmes prisons. C’est pourquoi être nationaliste et agiter l’ikurriña (drapeau basque) ou la senyera (drapeau catalan) apparaît toujours comme progressiste tandis qu’être espagnoliste (nationaliste espagnol) et agiter le drapeau de l’Espagne (qui n’est plus rouge et or avec l’aigle de Saint-Jean comme sous Franco, mais rouge et or quand même et avec l’écusson des Bourbons, sans compter que les Bourbons sont revenus parce que le dictateur a désigné en 1969 pour lui succéder Juan Carlos, le petit-fils d’Alfonso XIII et non son fils Juan dans la ligne de succession. Ah bon, vous y croyez, vous qu’il a permis la restauration de la démocratie ? Il a permis la restauration de la monarchie, seul fait avéré) veut encore dire être un facho de centraliste comme Franco. Le drapeau de la République, pour mémoire, a la troisième bande violette.
Le nationalisme catalan au pouvoir en Catalogne a toujours été de droite, l’hégémonie de CiU à la Generalitat depuis 1980 n’a été interrompue que par le Tripartito, un front de gauche de gauche ERC, ICV, PSC avec présidence socialiste (PSC) en 2006-2010. CiU, cette plateforme démocrate chrérienne créée en 2001 (Unió Democràtica de Catalunya, 1931, et Convergència Democràtica De Catalunya, 1976) a occupé la présidence de la Generalitat depuis les premières élections autonomiques de 1980 : il avait l’appui de ERC, mais aussi celui d’un parti centriste aujourd’hui disparu, l’UCD d’Adolfo Suárez, président du gouvernement qui conduisit la prétendue « transition démocratique », mais on le dit rarement, également ancien secrétaire général du Mouvement en 1975, parti unique de Franco et ancien directeur de la télévision TVE entre 1969 et 1973. CiU eu la majorité absolue en 1984, 1988 et 1992. En 1995 et 1999 il gouverna avec les voix des parlementaires autonomiques du PP, en 2003 en coalition avec ERC et IU même si le PSC était arrivé en tête. Petits jeux politiciens de majorités parlementaires. Notons que la majorité absolue prolongée favorisa la corruption, le scandale le plus retentissant étant la commission de 3 % sur les chantiers publics. Notons également que cela ne l’a pas dérangé tant que ça de gouverner avec le soutien du PP qu’il se plaît tant à critiquer et que ce PP (Partido Popular) n’est autre que la refondation, en 1989, de AP (Alianza Popular, fondée en 1976 par des ex-franquistes) mais il est également vrai qu’ils sont tous deux de droite et dans l’Internationale démocrate-chrétienne.
Et le nationalisme n’est pas seulement toujours de droite, il est aussi toujours l’allié de l’Église (celle-là-même dont les évêques émirent une lettre de soutien à Franco au début de la guerre civile). Lors du référendum du 1er octobre 2017, 400 prêtres signèrent un manifeste appelant à voter. Le jour du vote, les paroisses catholiques ont participé à la résistance contre l’intervention de la police pour empêcher le vote en cachant des urnes dans les églises ou en organisant des bureaux de vote ou encore en bloquant le passage ou en transmettant des informations sur les nouveaux lieux de vote !
La journée électorale du 1er octobre
A 8 h 30, la police nationale et la garde civile commencèrent à évacuer les bureaux de vote à peine ouverts en en fermant 319 des 2 316 prévus. Ils employèrent la force pour rompre les chaînes humaines, provoquant de nombreux blessés, quelques 800, et contusionnés, dont deux hospitalisés. Une semaine auparavant le Tribunal supérieur de justice de Catalogne avait donné l’ordre aux Mossos d’Esquadra (police autonomique) d’empêcher le vote, mais ils n’ont pas bougé arguant du fait qu’ils avaient quand même fermé 225 bureaux de vote sans user de violence contre des citoyens qui désobéissaient pacifiquement. Police d’État répressive versus police autonomique catalane non répressive, super ! Sauf qu’il est également bon de se souvenir avec quelle violence ces mêmes Mossos d’Esquadra ont chargé les Indignés, eux aussi pacifiques, pour les déloger de la place de Catalogne en 2011 ? Causant 33 blessés et arrêtant 20 personnes. Alors, ne la jouons pas « gentilles forces de l’ordre catalanes contre méchantes forces de l’ordre du pouvoir central ». La très modérée Association professionnelle indépendante de procureurs a accusé les Mossos de mettre en péril l’État de droit. En fait, ils se sont surtout comportés comme une police politique !
Prises de position le 2 octobre
Le lendemain, le 2 octobre, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, du PP, a convoqué ses deux associés du front commun contre le « souverainisme », le socialiste Pedro Sanchez, secrétaire général du du PSOE, et le conservateur Albert Rivera, président de Ciudadanos. Un front, soit-dit en passant, aussi divers politiquement que le front nationaliste ce qui, à mon sens, est tout à fait révélateur de la place prioritaire prise par le nationalisme, qu’il soit espagnol ou catalan dans la vie politique espagnole (et la vie politique catalane ne s’en démarque pas plus), et c’est bien dommage pour les partis de gauche… Idem au Parlament, les quatre groupes d’opposition au govern (Ciudadanos, PSC, Catalunya Sí que es Pot – Podemos – et PP) ont des propositions différentes. Le PSC veut réformer la Constitution, Ciudadanos ne veut rien changer, Catalunya Sí que es Pot veut négocier un référendum légal d’autodétermination, quitte ensuite pour beaucoup à voter contre, il y a des dissensions, mais la tendance est au fédéralisme. IU (coordination fondée en 1986, regroupe le PCE, les écologistes et des socialistes dissidents, c’est pourquoi les Espagnols l’appellent la pastèque) est fédéraliste républicain et déclara qu’il ne participerait pas à ce référendum qui ne résolvait pas le problème et ne présentait pas de garanties suffisantes.
Rivera demanda le 2 octobre à Rajoy, l’application de l’art. 155 de la Constitution, ce qui signifie la suspension de l’autonomie de la Catalogne, avec pour but de convoquer des élections autonomiques, critiquant l’immobilisme du gouvernement et la volonté de dialogue du PSOE avec qui avait l’intention de déclarer unilatéralement l’indépendance. Sanchez était tout aussi opposé à la DIU, mais exprima aussi son désaccord avec l’usage de la force et se montra réticent à l’application de l’art. 155, préférant des alternatives légales telles que l’action du Tribunal constitutionnel. Il demanda pour sa part l’« ouverture de négociations entre le gouvernement central et le govern de la Generalitat. » A la différence de la stratégie de Ciudadanos d’anticiper les mouvements du govern, Mariano Rajoy choisit la stratégie réactive, c’est-à-dire réagir en appliquant la loi, après qu’il y ait eu délit. Quant au président catalan, Puigdemont, il demanda au gouvernement une médiation (dans l’espoir d’obtenir celle de l’Europe) pour « mettre un terme à la violence policière et créer un climat détendu ».
Mais pour Rajoy, Puigdemont n’est pas légitime pour négocier après s’être situé lui-même dans l’illégalité. Il renvoya la DIU de quelques jours par rapport aux deux jours prévus par la loi catalane de référendum afin d’augmenter la pression sur le gouvernement de Rajoy. Le message du Parlement européen le jour-même est sans ambiguïté : « Le vote d’hier en Catalogne n’est pas légal. » « Et si un référendum est organisé conformement à la Constitution, le territoire abandonnant un État membre se retrouverait en dehors de l’Union européenne. » La Commission estime que les temps sont à l’unité et à la stabilité et non à la division et la fragmentation. Pas même une phrase de l’Europe pour condamner la violence institutionnelle. Mais quelle violence ? Dirait le ministre espagnol des affaires étrangères, Alfonso Dastis : « La question de la violence dite excessive… Nous ne nierons pas qu’elle a été présente dans les images. Mais nous pensons que ce n’était pas une violence déclenchée par la police sauf quand sa mission a été entravée. Elle ne voulait qu’exécuter les ordres des tribunaux. Nous regrettons cette violence mais également l’usage politique qu’on veut en faire. » Bref, tout « pour la loi et avec la loi », paroles de Rajoy, ce qui promet tout, y compris les chars…
Grève générale et « suspension de pays » le 3 octobre
Le surlendemain, le 3 octobre, était déjà prévue une grève générale en Catalogne appelée par les syndicats libertaires CGT, Intersindical Alternativa de Catalunya (IAC), Intersindical CSC y COS, syndicats-clés dans les secteurs des transports et de l’éducation. Les syndicats socialiste UGT et communiste CCOO ne s’y associaient pas et ne firent, le 2 octobre, qu’un appel à protester contre les violences policières du 1er octobre mais pas à la grève générale afin, selon eux, de ne pas soutenir de quelque façon que ce soit la DIU. En revanche la plateforme Table pour la démocratie, constituée par ces deux syndicats majoritaires (CCOO et UGT) et d’associations indépendantistes politiquement transversales, dont la plus importante, Assemblée nationale catalane (ANC), appelèrent pour le même jour, le 3 octobre, à une « suspension du pays » pour répondre « aux violences exercées par les forces de l’ordre de l’État » par un arrêt des activités en Catalogne. Observons déjà d’un œil critique et anarchiste le texte de l’appel : « Personne ne viendra à bout des institutions catalanes et des libertés nationale. » Et justement, l’appel à la suspension du pays a été suivie et soutenue per le président et son govern, le Parlament, les institutions culturelles et sportives, etc. Et les deux syndicats lancèrent un appel « aux partis et au gouvernement » pour « canaliser la situation » de la Catalogne vers « un scénario de dialogue (…) par la voie de la négociation politique et institutionnelle pour redresser le conflit » entre gouvernement et govern.
MERDRE ! Ce n’était même pas la peine d’adhérer à un syndicat ni de faire de l’opposition politique, il suffisait de chanter tous ensemble l’hymne catalan des Segadors et tous nos problèmes d’exploitation et autres étaient résolus comme par miracle ! Désormais nous le savons grâce aux nationalistes ! Le nationalisme a cette formidable capacité de susciter des enthousiasmes trompeurs au nom d’une unité patriotique qui résoudra les problèmes de n’importe quel patriote. Le catalanisme a réussi à effacer la lutte des classes en faveur d’une collaboration de classe pour un nouvel État catalan comme si tout se résumait à estelada (drapeau catalan, étoilé pour les indépendantistes) contre rojiguada (drapeau rouge et or espagnol). Leurs guerres, nos exploités, nos morts et nos blessés : aujourd’hui la guerre c’est nationalisme catalan contre nationalisme espagnol. Pas une guerre de libération, une guerre pour le pouvoir. Toujours au bénéfice du Capital. Inutile de dire que ce n’est pas là la société sans classe, libre et égalitaire, mais bien une arnaque. Ce n’est pas là l’autodétermination qui justement ne se délègue pas mais bien une question qui piège et qui exclut. Ce n’est pas ça le droit de décider de nos vies. Nous voulons décider, tou-te-s et sur tout cependant, et certainement pas de la création d’un nouvel État. L’autodétermination, ça veut dire que nous ne déléguons pas l’autodétermination aux partis. Que nous n’avons aucune confiance dans les syndicats réformistes qui ne cherchent qu’à pactiser avec le pouvoir du moment (institutions et patrons) et même désormais au point d’applaudir les institutions et de remettre en question la grève pour aller bras dessus, bras dessous avec les patrons faire de la « suspension sans perte de salaire ».
Il ne vous vient aucun doute quand vous voyez des cadres de banques en costume-cravate sur les ramblas de Barcelone répéter en chœur les mots d’ordre de l’anticapitaliste et indépendantiste CUP : « Les rues seront toujours à nous ! » ? Nous, qui ? Certainement pas nous les opprimés, certainement pas nous tous. Nous Catalans, c’est-à-dire nous parlant catalan, qui faisons partie de l’élite depuis des siècles, nous nationalistes dont les ancêtres fondèrent la Lliga regonalista et étaient les oppresseurs… Pas nous les charnegos comme étaient appelés les ouvriers venus de Murcia et les travailleurs agricoles venus d’Andalousie. Les anarchistes catalans ont fait grève le 3 octobre 2017. Pour l’autodétermination de la Catalogne et des travailleurs, deux revendications en une. Des piquets de grève de la CNT, environ 2 000 personnes ont encerclé le siège du PP catalan avec la banderole « Coupables du Jobs Act, de la militarisation de la ville et de la misère des travailleurs ». Un communiqué a été lu sur le refus des réformes du travail et la perte incessante de droits pour la classe ouvrière et sur l’inquiétude soulevée par les actions des différents corps répressifs de l’État. Après la grève du 3 octobre, la CNT lance un appel pour étendre la lutte sociale afin d’abattre ce modèle politique et économique. On ne peut que partager très largement la déclaration des secretariados permanentes del Comité regional de Catalunya i Balears y del Comité confederal : « Nous ne luttions pas pour changer de drapeau mais bien pour un Changement Social avec majuscules qui nous permette de reprendre les rênes de notre vie et tout ce qu’ils sont en train de nous arracher. » « Contre tout État. Pour la liberté. Pour la révolution sociale ! »
[note]
Déclarations d’un Etat catalan
Déclaration de 2017
L’indépendance de la Catalogne a été proclamée ce soir (10 octobre) et immédiatement suspendue… Le président de la Communauté autonome de Catalogne, Carles Puigdemont, comparaissait au Parlement (Parlement autonomique catalan) le 10 octobre 2017, à 18 heures. On s’attendait à ce que, dans le respect de la loi de référendum catalane (suspendue par le Tribunal constitutionnel) et au vu des résultats, il proclame la Déclaration unilatérale d’indépendance de la Catalogne (DIU). A 19 h 35, sous un tonnerre d’applaudissements, il déclarait : « Parvenus à ce moment historique, et en tant que président de la Generalitat, j’assume, en présentant les résultats du référendum devant le Parlement et nos concitoyens, le mandat du peuple pour que la Catalogne devienne un État indépendant sous la forme d’une république. » Pour ajouter ensuite, à la surprise générale : « Et c’est avec la même solennité que je propose, au nom du govern, que le Parlament suspende les effets de la déclaration d’indépendance, afin que dans les prochaines heures puisse s’établir un dialogue sans lequel il n’est pas possible de parvenir à une solution négociée. »
Ce n’était pas la première déclaration unilatérale de création d’un État catalan, on doit rappeler les dates de 1931 et 1934 mais, dans les deux cas, on en resta là. La première fois tout fut « résolu » par la cession à la Catalogne de son autonomie et, la seconde fois, par la répression. Mais en réalité rien n’avait été résolu, puisque la situation est aujourd’hui la même et la même question se pose : comment répondra le gouvernement espagnol ? Cherchera-t-il à résoudre le conflit en acceptant de négocier comme en 1931 ? Peut-être avec une cession fiscale de 100 %, au lieu des 50 % actuels d’autonomie fiscale (ce « pacte fiscal » serait l’équivalent du Concert économique en vigueur au Pays Basque et en Catalogne en vertu de leurs anciens fueros) ou voudra-t-il imposer la loi par la force publique, comme en 1934, en suspendant l’autonomie de la Catalogne et en jugeant pour rébellion à l’État des autonomies ? Et le roi Felipe VI ? Enverra-t-il les chars en tant que chef des armées qu’il passe en revue tous les ans lors de la Pascua Militar ? Si le président catalan veut, par son discours additionnel après la déclaration, une troisième voie inédite, à savoir négocier pour obtenir l’indépendance de la Catalogne et non pour y renoncer, il me semble qu’il ne réussira pas. S’il veut simplement avoir déclaré l’indépendance pour ne pas faire piètre figure en se déjugeant (parce qu’il n’est pas en mesure d’affronter les chars de l’État espagnol et la ruine économique provoquée par l’appareil financier européen (inconvénient également dû au fait qu’il veut faire partie de ce système capitaliste) mais qu’il a en réalité l’intention d’obtenir le pacte fiscal, il pourrait réussir mais peut-être pas parce que le président espagnol a été clair : il n’y a rien à négocier. Sans compter, bien entendu, que Rajoy prendra certainement mal qu’il veuille négocier après ce qui a été très clairement une déclaration unilatérale d’indépendance.
Déclaration de 1931
Ezquerra Republicana de Catalunya, parti fondé en 1931 pour concourir aux élections municipales en tant que premier parti républicain, laïque, de gauche, réussit à briser l’abstentionnisme anarchiste ouvrier et fut le parti en tête en Catalogne. En conséquence de quoi, Alphonse XIII prit le chemin de l’exil et la Seconde République espagnole fut proclamée le 14 avril 1931. Francesc Macià proclama le jour même la République catalane comme « État membre de la Fédération ibérique ». Trois jours plus tard, il renonçait à l’indépendance en échange de la rédaction d’un projet de statut d’autonomie. C’est à ce moment que fut décidée la création d’une institution de gouvernement propre, la Generalitat de Catalunya, constituée d’un gouvernement présidé par Macià et d’une assemblée provisoire.
Déclaration de 1934
La révolution des Asturies menée par les paysans et ouvriers éclate après la répression au printemps, par le gouvernement de droite, d’une grève générale appelée par le syndicat socialiste UGT. Le Parti nationaliste basque (PNV), de droite, catholique et localiste, ne soutint pas la révolution ouvrière qui fut étouffée en quelques jours en Biscaye, pays de hauts fourneaux. En Catalogne, à la mort de Francesc Macià en 1933, Lluís Companys (ERC), lui avait succédé à la présidence de la Generalitat. Il y eut un affrontement entre le gouvernement central de droite (élu en 1934) et la Generalitat de gauche à l’occasion de l’approbation par le Parlament de la loi de contrats agricoles, favorable aux paysans louant des terres. La très conservatrice et nationaliste Lliga Catalana présenta un recours en défense des propriétaires terriens et la loi fut déclarée inconstitutionnelle. C’est pourquoi la révolution éclata aussi à Barcelone : Lluís Companys proclama l’État catalan au sein de la République fédérale le 6 octobre 1934. La Generalitat fut bombardée le jour-même. Companys et tout le gouvernement furent accusés du délit de rébellion et, en juin 1935, condamnés à trente-cinq ans de prison. Le statut d’autonomie resta suspendu jusqu’à la victoire du Front populaire en 1936, année où Companys retrouva la présidence de la Generalitat.
De la légalité à l’illégalité
Le référendum légal de 1931 en Catalogne
La Constitution de 1931, approuvée le 9 décembre par le Parlement de la IIe République, instaurait un « État intégral » dans lequel « une ou plusieurs provinces limitrophes » pouvaient « s’organiser en région autonome pour construire un noyau politico-administratif au sein de l’État espagnol » (et ce afin de concilier les positions des unionistes et des fédéralistes après l’échec de la Ie République (1873-1874) qui se termina par le coup d’État du général Manuel Pavía et la restauration de la monarchie). Une commission dirigée par ERC se réunit à Núria pour rédiger un statut d’autonomie pour la Catalogne. Le statut de Núria qui définissait la Catalogne comme un « État autonome au sein de la République espagnole » fut approuvé en août 1932 par 99 % des suffrages lors d’un référendum en Catalogne. Le Parlement l’approuva en septembre, malgré une intense campagne contre le « séparatisme catalan » mais après l’élimination dans le texte du droit d’autodétermination ainsi que des articles souverainistes (création d’une citoyenneté catalane, droit d’incorporer de nouveaux territoires, le catalan comme seule langue officielle). La Catalogne devenait dans le texte définitif une « région autonome au sein de l’État espagnol » avec deux langues officielles. En novembre 1932 eurent lieu les premières élections de la Communauté autonome de Catalogne.
Le référendum légal de 1979 en Catalogne
La Constitution de 1978 qui instituait la monarchie parlementaire, après la mort du dictateur fasciste, le général Francisco Franco, en novembre 1975, poussa encore un peu plus loin le processus en créant l’État des autonomies (toutes les provinces devaient se regrouper en communautés autonomes) mais toujours au sein d’une « patrie commune et indivisible de tous les Espagnols » exigeant à la fois le « droit à l’autonomie des “nationalités” et régions qui la composent » et « la solidarité entre elles ». L’État a la compétence exclusive en matière d’intérêt général ou débordant du territoire de la communauté autonome ainsi qu’en matière de législation basique. L’État est autorisé à céder des pouvoirs (compétences) aux communautés autonomes le souhaitant mais aucune de façon exclusive, seulement des modalités de déroulement et d’application. Chaque communauté autonome a ainsi aujourd’hui son propre gouvernement autonomique ou govern en catalan (la Generalitat) avec un président (president), des conseillers (consellers) qui sont l’équivalent des ministres. Le Tribunal supérieur de justice dépend du Tribunal suprême. Le statut de Sau fut approuvé par référendum en Catalogne le 25 octobre 1979 avec 88,14 % des suffrages et par le Parlement espagnol en décembre mais avec des amendements, qui sont cependant un pas en arrière par rapport au statut de Núria : par exemple la création d’un délégué du gouvernement dans chaque communauté autonome. La compétence d’éducation auparavant exclusive devenait seulement « pleine ».
Le référendum légal de 2006 en Catalogne désavoué
Un quart de siècle après, la réalité de l’application des principes constitutionnels de création des communautés autonomes imposa la nécessité pour chaque communauté autonome de réformer les statuts d’autonomie. C’est ainsi que le statut catalan réformé fut approuvé par le Parlament en septembre 2005, avec la seule opposition du PP (Parti populaire, de droite). Il mentionnait le « développement d’un État plurinational » en référence à l’Espagne et déclarait dans son art. 1 : « La Catalogne est une nation », un terme réservé exclusivement à l’Espagne dans la Constitution. Après amendement de la commission constitutionnelle du Parlement, le préambule du statut réformé affirma à titre de description (et non de définition) que le « Parlement de Catalogne a défini la Catalogne comme une nation » mais seuls les articles ayant force de loi, l’article premier ne change pas par rapport au statut de 1979 : « La Catalogne, en tant que nationalité, exerce son gouvernement autonome en se constituant en communauté autonome, conformément à la Constitution et à ce statut. » La cession fiscale passait à 50 %.
Le Parlement approuva le statut réformé le 31 mars 2006 avec les voix contre du PP ainsi que d’EA et ERC qui refusaient les amendements). Néanmoins, l’art. 3 proclamait : « La Generalitat est État » ; l’art. 5, « le gouvernement autonome de la Catalogne est basé sur des droits historiques du peuple catalan » ; l’art. 6, sur les langues officielles, « le droit et le devoir de les connaître » (tandis que, auparavant, ce devoir ne concernait que le castillan). L’art. 8 enfin introduisait le terme « nationaux » : « La Catalogne, définie comme nationalité dans l’art. 1, a pour symboles nationaux son drapeau, sa fête et son hymne. » C’est pourquoi le PP présenta un recours devant le Tribunal constitutionnel. Lors du référendum de juin 2006 en Catalogne, le « oui » l’emporta avec 73,9 % des suffrages (20,76 % de « non »).
Consultations illégales en Catalogne dans diverses villes depuis 2007
La longue attente de la sentence du Tribunal constitutionnel, accompagnée de vifs débats, favorisa l’essor du nationalisme. Nous en citerons quelques exemples. En mars 2007, ERC proposa un référendum d’autodétermination pour le 27 mai, jour des élections municipales. Il voulait ainsi démontrer que sa participation à un gouvernement non nationaliste (celui du socialiste…) n’entamait pas son « catalanisme » et ne pas perdre les électeurs nationalistes au profit de CIU, le parti nationaliste démocrate-chrétien désireux de revenir au pouvoir, car il se retrouvait pour la première fois dans l’opposition. Le 3 septembre 2007 le maire de la petite localité de Arenys de Munt (8 000 habitants) organisa une consultation sur l’indépendance qui l’emporta avec 96 % des suffrages. Une consultation similaire eut lieu le 13 décembre 2009 dans 161 municipalités dont une capitale de province (Girona), toujours organisée par des associations et non des partis, et sans accès aux registres électoraux. Toutes ces consultations n’ayant pas force de loi permettaient un vote sentimental et donnaient un avertissement au Tribunal constitutionnel. Lors d’une consultation à Barcelone, le 10 avril 2011, 257 645 citoyens votèrent pour ou contre l’indépendance (participation de 21 %) et le « oui » l’emporta avec 91 % des suffrages.
Consultation illégale de 2014 et référendum illégal de 2017
Le 9 novembre 2014, le gouvernement catalan présidé par Artur Mas posait en catalan et en castillan deux questions pour une « consultation sur l’avenir politique de la Catalogne » : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État ? » et, « si la réponse est affirmative, voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant ? » (avec deux réponses possibles : « oui » ou « non » pour qui répondait « oui » à la première question sur la partie gauche du bulletin).
Le 1er octobre 2017, le gouvernement catalan présidé par Carles Puigdemont posait une question en catalan, castillan et aranais (langue occitane parlée dans le val d’Aran, à la frontière de la France et de l’Aragon, protégée par le statut d’autonomie de la Catalogne depuis 1979 et déclarée langue officielle en Catalogne en 2006) pour un référendum d’autodétermination de la Catalogne (convoqué en juin) : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une république ? » (avec deux réponses possibles : « oui » ou « non »).
En 2014, lors de cette consultation (qui, par définition n’avait pas force de loi contrairement à un référendum), tous les Catalans de plus de 16 ans ayant leur résidence en Catalogne, y compris les résidents à l’étranger et les migrants ayant leur permis de séjour, étaient appelés à voter. En 2017, la loi de référendum approuvée par le Parlement catalan (avec la volonté de faire force de loi) est plus restrictive puisqu’elle appelait à voter tous les Catalans ayant le droit de vote, ce qui exclut donc les migrants et les mineurs. En 2014, la participation des municipalités fut très élevée, 942 sur 947 communes catalanes y participèrent. En 2017, seuls 720 communes, 74 % de l’ensemble des municipalités. En 2014, la participation a été de 2 344 828 personnes. 90 % de votes « oui »-« oui », 10,02 % de « oui »-« non » et 4,49 % de « non ». La participation en 2017 a été de 2 262 424 personnes, soit un hypothétique 37,8 % des inscrits sur les listes électorales. Le « oui » à l’indépendance obtient 90 % des voix (2 020 144), le « non » 7 % (176 666), 0,89 % de votes nuls et 2 % de blancs. L’ex-président de la Generalitat, Artur Mas avait insisté sur l’importance cruciale d’une participation plus élevée en 2017 qu’en 2014 ; cela n’a pas été le cas. Il est également vrai qu’à cause de la fermeture de certains collèges électoraux par les forces de l’ordre, près de 670 000 inscrits n’auraient pas pu voter mais aucune certitude à ce sujet car les gens pouvaient voter quasiment sans aucun contrôle et même plusieurs fois. De fait, d’après la Generalitat elle-même, 96 % des bureaux étaient ouverts. La difficulté d’interprétation des résultats de 2017 vient aussi de ce qu’il n’y avait pas la garantie des registres électoraux, mais on peut au moins en conclure que se sont mobilisés massivement dans les deux cas ceux qui voulaient l’indépendance, notamment en 2017 pour un référendum ayant force de loi pour le gouvernement catalan même s’il se tenait dans l’illégalité pour le gouvernement espagnol.
On peut observer que la double formulation de 2014 permettait l’expression aussi bien de ceux qui voulaient un statut autre que l’indépendance pour le nouvel État catalan par rapport à l’Espagne (par exemple un État libre associé comme Porto Rico par rapport aux États-Unis ou un État fédéraliste, etc.), que de ceux qui voulait directement l’indépendance de la Catalogne. En 2017, en revanche, aucun autre choix n’est proposé que de répondre directement à la question de l’indépendance. Ce référendum de 2017 va également plus loin que la consultation de 2014, puisqu’il propose un changement de régime de la monarchie à la république en cas d’indépendance. Mais voulons-nous aller encore plus loin ? En 2014, la partie droite du bulletin électoral ne comprenait pas de case pour répondre à la deuxième question, donc on ne pouvait que répondre « oui »-« oui » ou « oui »-« non » ou bien un simple « non ». Cependant les anarchistes firent campagne pour la voie révolutionnaire du « non »-« oui ». « Non » à un nouvel État, « oui » à un pays d’assemblées confédérées. Voir le bulletin de vote alternatif diffusé par les anarchistes en 2014. La réponse des anarchistes à la question posée au référendum de 2017 fut la même : nous voulons l’indépendance mais pour un pays d’assemblées populaires confédérées.
Illégale légalité catalane
En juin 2010, le Tribunal constitutionnel rendit son verdict d’inconstitutionnalité de quatorze articles du statut catalan concernant notamment la « nation » catalane, la préférence et l’obligation de la langue catalane, le pouvoir judiciaire catalan, une nouvelle relation de caractère « bilatéral » Generalitat - gouvernement central. Les Catalans n’acceptèrent pas que l’on puisse invalider un statut approuvé par le Parlement puis par référendum en Catalogne, en toute légalité. N’affirme-t-on pas — dans la farce démocratique du moins —, que là réside la souveraineté du peuple ? LE CEO dans son baromètre du mois d’octobre indiqua que l’indépendantisme avait atteint le record de 25 % d’opinions favorables. En conséquence, le parti démocrate-chrétien CiU retrouva la présidence de la Generalitat lors des élections autonomiques de 2010. Le president Artur Mas (CiU) promit alors un référendum de sécession à long terme et le pacte fiscal à court terme. Le Parlament proclama en mars 2011 un droit non négociable à l’autodétermination avec l’opposition du PSC et du PP, et les votes pour de ERC, ICV, CIU – le front nationaliste s’était reformé. Le parti de gouvernement CDC (dans la coalition CiU) fixa lors de son congrès de mars 2012 l’objectif pour la Catalogne d’avoir son « propre État ». Toujours ce mot « État » qui revient. Le 11 septembre, jour de la Diada, fête de la communauté autonome, le traditionnel défilé nationaliste festif se mua en une immense marche pour l’indépendance. Le 17 septembre, la commune de Vic approuva une motion présentée par Esquerra Republicana (ERC), Candidatura d’Unitat Popular (CUP), Iniciativa-Esquerra Unida et Solidaritat (SI), et se déclara « territoire catalan libre et souverain » avec le soutien de conseillers municipaux de CiU.
Le president Artur Mas annonça le 25 septembre au Parlament, des élections anticipées au 25 novembre 2012, et lança le défi inouï de proposer au cours de son mandat la convocation d’une consultation pour que les Catalans décident s’ils veulent constituer leur « propre État » au sein de l’Union européenne : « Si on peut le faire par référendum parce que le gouvernement l’autorise, tant mieux, autrement on le fait quand même. » Et le 27, le Parlament approuva la proposition de CiU et ERC d’une consultation sur l’autodétermination à organiser « en priorité » pendant la législature à venir avec les voix de CiU, ICV, ERC et Solidaritat, l’abstention du PSC, et les voix contre des partis de droite espagnoliste, PP et Ciutadans (C’S). Artur Mas renouvela son mandat de président dans un gouvernement de coalition CiU - ERC dont le référendum d’autodétermination au plus tard en 2014 était la condition. La CUP, indépendantiste et anticapitaliste, obtint pour la première fois une représentation au Parlament.
Le 23 janvier 2013, le Parlement approuva que la Catalogne fût « sujet politique et souverain » (alors que la souveraineté réside dans le peuple espagnol, pour : CiU, ERC, ICV, CUP, contre : PSC, PP et C’S. Cinq PSC préférèrent s’absenter. En février 2013, quatorze députés socialistes catalans au Parlement désobéirent pour la première fois à la consigne de leur parti PSC et approuvèrent la motion de CiU (et celle de ICV), demandant au gouvernement de négocier avec la Generalitat une consultation populaire d’autodétermination. La loi catalane de consultations populaires, à l’initiative du govern en 2013, approuvée par le Parlament, fut déclarée inconstitutionnelle après le recours du président Zapatero. Et nous arrivons à la consultation de 2014… Puis il y eut des élections autonomiques en septembre 2015, que le govern annonça comme devant être plébiscitaires pour l’indépendance par un vote massif pour la coalition nationaliste Junts pel Sí (PDeCAtT héritier de CiU, ERC et indépendants) qui forme avec la CUP une coalition pour gouverner en obtenant une majorité de sièges (72) mais les nationalistes perdent le plébiscite (47,7 % des suffrages). Carles Puigdemont est investi president avec Oriol Junqueras de ERC comme vice-président. LA CYP est un parti anticapitaliste qui aspire à l’indépendance des països catalans (un sujet qui serait à creuser car les zones catalanophones (catalan ou dialecte du catalan, Aragon, Baléares, val d’Aran, mais aussi Valence qui défend que le valencien soit une langue), dénoncent un impérialisme territorial. De plus être nationaliste et de gauche me semble contradictoire et j’en veux pour preuve les tensions internes quand il s’agir de voter le budget au Parlament…
Légitimité et illégitimité du catalanisme
Un parcours historique à prendre « avec des pincettes »
Le préambule du statut réformé de 2006 parlait de droits historiques : « Depuis 1714, il y a eu plusieurs tentatives de récupération de nos institutions de gouvernement. Des jalons de cet itinéraire historique sont, en autres, la Mancomunidad de 1914, le rétablissement de la Generalitat, le statut de 1932 et celui de 1979. » Durant la guerre de Succession d’Espagne (suite à la mort sans descendance en 1700 du roi Carlos II de Austria, branche espagnole des Habsbourg), toute la couronne d’Aragon prit parti pour le candidat de l’Alliance de La Haye, constituée en Europe pour chasser du trône hispanique, à l’époque le plus grand empire du monde, Philippe d’Anjou (Felipe V de Borbón, premier Bourbon à régner en Espagne donc), petit-fils de Louis XIV, car les Bourbons étaient beaucoup plus centralistes que les Habsbourg. Après la signature du traité d’Utrecht, elle resta seule face à l’armée franco-castillane. Barcelone se rendit aux troupes de Felipe V, le 11 septembre 1714, après un long siège (symbole de résistance, la date est devenue la Diada, fête de la Catalogne) et les décrets de Nueva Planta supprimèrent le gouvernement, les institutions et les administrations de la couronne d’Aragon ainsi que ses privilèges, les royaumes d’Aragon et de Valence en 1714, de Mallorca en 1715 et la principauté de Catalogne en 1716. Tous catalanophones.
Le bilan pour la Catalogne fut la perte de sa relative souveraineté ainsi que l’usage du catalan. En revanche la Navarre et les provinces basques qui étaient restées fidèles à Felipe V conservèrent leurs privilèges (fueros) reconnus aujourd’hui par la Constitution, sous forme d’autonomie fiscale complète… C’était sous Felipe V et aujourd’hui c’est Felipe VI, donc de droite comme de gauche, on trouve difficilement des Catalans soutenant la monarchie. Je partage cependant le sentiment antimonarchique des Catalans, mais pour d’autres raisons, presque toutes exprimées par Bakounine dans État et anarchisme : « Que l’État porte le nom de monarchie ou de république, le crime sera toujours nécessaire pour conserver le pouvoir et pour triompher. » « Cela ne nous intéresse pas beaucoup que l’autorité se nomme Eglise, monarchie, république bourgeoise ou dictature révolutionnaire. » Mais tout ne se vaut pas car Bakounine pense que certains régimes sont moins oppresseurs et la participation du peuple plus élevée : « Que personne ne croie qu’en critiquant les gouvernements démocratiques, nous exprimons une préférence pour la monarchie. Nous sommes fermement convaincus que la plus imparfaite des républiques vaut mieux que la plus éclairée des monarchies. »
Un nationalisme progressiste à examiner à la loupe
C’est seulement parce que la République espagnole de 1931 a concédé des statuts d’autonomie qu’un parti aussi conservateur que le PNV (Parti nationaliste basque) (1), fondé en 1895 avec la devise « Dieu et anciennes lois », par le raciste xénophobe Sabino Arana, de famille carliste, qui préférait un Basque ne parlant pas le basque à un non-Basque de culture basque, ait été républicain et pas monarchiste. Quant à la Lliga catalanista, le parti catalan le plus important jusqu’en 1923, conservateur, catholique et bourgeois, son projet de loi pour créer une entité administrative intégrée par les quatre provinces catalanes s’appela Mancomunidad, fut adopté en 1914. La Mancomunidad favorisa la culture catalane ainsi que les infrastructures et les routes. L’objectif était un gouvernement propre à la Catalogne pour mieux faire des affaires au bénéfice seul de la bourgeoise catalane, mais elle alla loin en soutenant le coup d’État de Miguel Primo de Rivera (ce dictateur est tout simplement le père de José Antonio, idéologue du fascisme espagnol et fondateur de la Phalange en 1933, idole franquiste fusillée au début de la guerre civile) en échange d’une politique protectionniste pour la Catalogne (dont il était le capitaine général) et de la répression de la CNT dont le succès allait croissant.
Pas de chance, Primo de Riovera interdit le catalan en public et dissout la Mancomunidad en 1925 avec l’entrée en vigueur du statut provincial pour toute l’Espagne. Cela signifia la fin de la Lliga qui, après la chute de la dictature en 1930, fut détrônée par un nouveau catalanisme, Esquerra Republicana de Catalunya (ERC), de gauche républicaine. Et c’est seulement le centralisme de la droite républicaine espagnole, qui était unioniste, qui explique les alliances tactiques du nationalisme catalan et basque avec la gauche alors qu’elle était fédéraliste. Mais certainement pas avec les anarchistes qui étaient internationalistes. De fait, la CNT ne soutint pas la proclamation de la République catalane. Autrement dit, je suis en train de vous donner une grande nouvelle : le nationalisme n’est pas progressiste ! Mais cette alliance perdura car le général Franco, en instaurant sa dictature fasciste après avoir remporté la guerre civile (1936-1939), suspendit les statuts d’autonomie obtenus par la Catalogne, le Pays Basque et la Galice sous la IIe République. De sorte qu’aujourd’hui, rien d’étonnant à ce que tous les partis nationalistes soient aussi républicains. Quand Franco interdit les langues régionales au profit du castillan, son nationalisme « espagnoliste » exclusif alimenta le nationalisme régionaliste. Nationalistes, main dans la main avec socialistes et communistes luttèrent ensemble dans la clandestinité et l’exil contre le franquisme et connurent les mêmes prisons. C’est pourquoi être nationaliste et agiter l’ikurriña (drapeau basque) ou la senyera (drapeau catalan) apparaît toujours comme progressiste tandis qu’être espagnoliste (nationaliste espagnol) et agiter le drapeau de l’Espagne (qui n’est plus rouge et or avec l’aigle de Saint-Jean comme sous Franco, mais rouge et or quand même et avec l’écusson des Bourbons, sans compter que les Bourbons sont revenus parce que le dictateur a désigné en 1969 pour lui succéder Juan Carlos, le petit-fils d’Alfonso XIII et non son fils Juan dans la ligne de succession. Ah bon, vous y croyez, vous qu’il a permis la restauration de la démocratie ? Il a permis la restauration de la monarchie, seul fait avéré) veut encore dire être un facho de centraliste comme Franco. Le drapeau de la République, pour mémoire, a la troisième bande violette.
Le nationalisme catalan au pouvoir en Catalogne a toujours été de droite, l’hégémonie de CiU à la Generalitat depuis 1980 n’a été interrompue que par le Tripartito, un front de gauche de gauche ERC, ICV, PSC avec présidence socialiste (PSC) en 2006-2010. CiU, cette plateforme démocrate chrérienne créée en 2001 (Unió Democràtica de Catalunya, 1931, et Convergència Democràtica De Catalunya, 1976) a occupé la présidence de la Generalitat depuis les premières élections autonomiques de 1980 : il avait l’appui de ERC, mais aussi celui d’un parti centriste aujourd’hui disparu, l’UCD d’Adolfo Suárez, président du gouvernement qui conduisit la prétendue « transition démocratique », mais on le dit rarement, également ancien secrétaire général du Mouvement en 1975, parti unique de Franco et ancien directeur de la télévision TVE entre 1969 et 1973. CiU eu la majorité absolue en 1984, 1988 et 1992. En 1995 et 1999 il gouverna avec les voix des parlementaires autonomiques du PP, en 2003 en coalition avec ERC et IU même si le PSC était arrivé en tête. Petits jeux politiciens de majorités parlementaires. Notons que la majorité absolue prolongée favorisa la corruption, le scandale le plus retentissant étant la commission de 3 % sur les chantiers publics. Notons également que cela ne l’a pas dérangé tant que ça de gouverner avec le soutien du PP qu’il se plaît tant à critiquer et que ce PP (Partido Popular) n’est autre que la refondation, en 1989, de AP (Alianza Popular, fondée en 1976 par des ex-franquistes) mais il est également vrai qu’ils sont tous deux de droite et dans l’Internationale démocrate-chrétienne.
Et le nationalisme n’est pas seulement toujours de droite, il est aussi toujours l’allié de l’Église (celle-là-même dont les évêques émirent une lettre de soutien à Franco au début de la guerre civile). Lors du référendum du 1er octobre 2017, 400 prêtres signèrent un manifeste appelant à voter. Le jour du vote, les paroisses catholiques ont participé à la résistance contre l’intervention de la police pour empêcher le vote en cachant des urnes dans les églises ou en organisant des bureaux de vote ou encore en bloquant le passage ou en transmettant des informations sur les nouveaux lieux de vote !
Les journées d’octobre 2017
La journée électorale du 1er octobre
A 8 h 30, la police nationale et la garde civile commencèrent à évacuer les bureaux de vote à peine ouverts en en fermant 319 des 2 316 prévus. Ils employèrent la force pour rompre les chaînes humaines, provoquant de nombreux blessés, quelques 800, et contusionnés, dont deux hospitalisés. Une semaine auparavant le Tribunal supérieur de justice de Catalogne avait donné l’ordre aux Mossos d’Esquadra (police autonomique) d’empêcher le vote, mais ils n’ont pas bougé arguant du fait qu’ils avaient quand même fermé 225 bureaux de vote sans user de violence contre des citoyens qui désobéissaient pacifiquement. Police d’État répressive versus police autonomique catalane non répressive, super ! Sauf qu’il est également bon de se souvenir avec quelle violence ces mêmes Mossos d’Esquadra ont chargé les Indignés, eux aussi pacifiques, pour les déloger de la place de Catalogne en 2011 ? Causant 33 blessés et arrêtant 20 personnes. Alors, ne la jouons pas « gentilles forces de l’ordre catalanes contre méchantes forces de l’ordre du pouvoir central ». La très modérée Association professionnelle indépendante de procureurs a accusé les Mossos de mettre en péril l’État de droit. En fait, ils se sont surtout comportés comme une police politique !
Prises de position le 2 octobre
Le lendemain, le 2 octobre, le président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy, du PP, a convoqué ses deux associés du front commun contre le « souverainisme », le socialiste Pedro Sanchez, secrétaire général du du PSOE, et le conservateur Albert Rivera, président de Ciudadanos. Un front, soit-dit en passant, aussi divers politiquement que le front nationaliste ce qui, à mon sens, est tout à fait révélateur de la place prioritaire prise par le nationalisme, qu’il soit espagnol ou catalan dans la vie politique espagnole (et la vie politique catalane ne s’en démarque pas plus), et c’est bien dommage pour les partis de gauche… Idem au Parlament, les quatre groupes d’opposition au govern (Ciudadanos, PSC, Catalunya Sí que es Pot – Podemos – et PP) ont des propositions différentes. Le PSC veut réformer la Constitution, Ciudadanos ne veut rien changer, Catalunya Sí que es Pot veut négocier un référendum légal d’autodétermination, quitte ensuite pour beaucoup à voter contre, il y a des dissensions, mais la tendance est au fédéralisme. IU (coordination fondée en 1986, regroupe le PCE, les écologistes et des socialistes dissidents, c’est pourquoi les Espagnols l’appellent la pastèque) est fédéraliste républicain et déclara qu’il ne participerait pas à ce référendum qui ne résolvait pas le problème et ne présentait pas de garanties suffisantes.
Rivera demanda le 2 octobre à Rajoy, l’application de l’art. 155 de la Constitution, ce qui signifie la suspension de l’autonomie de la Catalogne, avec pour but de convoquer des élections autonomiques, critiquant l’immobilisme du gouvernement et la volonté de dialogue du PSOE avec qui avait l’intention de déclarer unilatéralement l’indépendance. Sanchez était tout aussi opposé à la DIU, mais exprima aussi son désaccord avec l’usage de la force et se montra réticent à l’application de l’art. 155, préférant des alternatives légales telles que l’action du Tribunal constitutionnel. Il demanda pour sa part l’« ouverture de négociations entre le gouvernement central et le govern de la Generalitat. » A la différence de la stratégie de Ciudadanos d’anticiper les mouvements du govern, Mariano Rajoy choisit la stratégie réactive, c’est-à-dire réagir en appliquant la loi, après qu’il y ait eu délit. Quant au président catalan, Puigdemont, il demanda au gouvernement une médiation (dans l’espoir d’obtenir celle de l’Europe) pour « mettre un terme à la violence policière et créer un climat détendu ».
Mais pour Rajoy, Puigdemont n’est pas légitime pour négocier après s’être situé lui-même dans l’illégalité. Il renvoya la DIU de quelques jours par rapport aux deux jours prévus par la loi catalane de référendum afin d’augmenter la pression sur le gouvernement de Rajoy. Le message du Parlement européen le jour-même est sans ambiguïté : « Le vote d’hier en Catalogne n’est pas légal. » « Et si un référendum est organisé conformement à la Constitution, le territoire abandonnant un État membre se retrouverait en dehors de l’Union européenne. » La Commission estime que les temps sont à l’unité et à la stabilité et non à la division et la fragmentation. Pas même une phrase de l’Europe pour condamner la violence institutionnelle. Mais quelle violence ? Dirait le ministre espagnol des affaires étrangères, Alfonso Dastis : « La question de la violence dite excessive… Nous ne nierons pas qu’elle a été présente dans les images. Mais nous pensons que ce n’était pas une violence déclenchée par la police sauf quand sa mission a été entravée. Elle ne voulait qu’exécuter les ordres des tribunaux. Nous regrettons cette violence mais également l’usage politique qu’on veut en faire. » Bref, tout « pour la loi et avec la loi », paroles de Rajoy, ce qui promet tout, y compris les chars…
Grève générale et « suspension de pays » le 3 octobre
Le surlendemain, le 3 octobre, était déjà prévue une grève générale en Catalogne appelée par les syndicats libertaires CGT, Intersindical Alternativa de Catalunya (IAC), Intersindical CSC y COS, syndicats-clés dans les secteurs des transports et de l’éducation. Les syndicats socialiste UGT et communiste CCOO ne s’y associaient pas et ne firent, le 2 octobre, qu’un appel à protester contre les violences policières du 1er octobre mais pas à la grève générale afin, selon eux, de ne pas soutenir de quelque façon que ce soit la DIU. En revanche la plateforme Table pour la démocratie, constituée par ces deux syndicats majoritaires (CCOO et UGT) et d’associations indépendantistes politiquement transversales, dont la plus importante, Assemblée nationale catalane (ANC), appelèrent pour le même jour, le 3 octobre, à une « suspension du pays » pour répondre « aux violences exercées par les forces de l’ordre de l’État » par un arrêt des activités en Catalogne. Observons déjà d’un œil critique et anarchiste le texte de l’appel : « Personne ne viendra à bout des institutions catalanes et des libertés nationale. » Et justement, l’appel à la suspension du pays a été suivie et soutenue per le président et son govern, le Parlament, les institutions culturelles et sportives, etc. Et les deux syndicats lancèrent un appel « aux partis et au gouvernement » pour « canaliser la situation » de la Catalogne vers « un scénario de dialogue (…) par la voie de la négociation politique et institutionnelle pour redresser le conflit » entre gouvernement et govern.
MERDRE ! Ce n’était même pas la peine d’adhérer à un syndicat ni de faire de l’opposition politique, il suffisait de chanter tous ensemble l’hymne catalan des Segadors et tous nos problèmes d’exploitation et autres étaient résolus comme par miracle ! Désormais nous le savons grâce aux nationalistes ! Le nationalisme a cette formidable capacité de susciter des enthousiasmes trompeurs au nom d’une unité patriotique qui résoudra les problèmes de n’importe quel patriote. Le catalanisme a réussi à effacer la lutte des classes en faveur d’une collaboration de classe pour un nouvel État catalan comme si tout se résumait à estelada (drapeau catalan, étoilé pour les indépendantistes) contre rojiguada (drapeau rouge et or espagnol). Leurs guerres, nos exploités, nos morts et nos blessés : aujourd’hui la guerre c’est nationalisme catalan contre nationalisme espagnol. Pas une guerre de libération, une guerre pour le pouvoir. Toujours au bénéfice du Capital. Inutile de dire que ce n’est pas là la société sans classe, libre et égalitaire, mais bien une arnaque. Ce n’est pas là l’autodétermination qui justement ne se délègue pas mais bien une question qui piège et qui exclut. Ce n’est pas ça le droit de décider de nos vies. Nous voulons décider, tou-te-s et sur tout cependant, et certainement pas de la création d’un nouvel État. L’autodétermination, ça veut dire que nous ne déléguons pas l’autodétermination aux partis. Que nous n’avons aucune confiance dans les syndicats réformistes qui ne cherchent qu’à pactiser avec le pouvoir du moment (institutions et patrons) et même désormais au point d’applaudir les institutions et de remettre en question la grève pour aller bras dessus, bras dessous avec les patrons faire de la « suspension sans perte de salaire ».
Il ne vous vient aucun doute quand vous voyez des cadres de banques en costume-cravate sur les ramblas de Barcelone répéter en chœur les mots d’ordre de l’anticapitaliste et indépendantiste CUP : « Les rues seront toujours à nous ! » ? Nous, qui ? Certainement pas nous les opprimés, certainement pas nous tous. Nous Catalans, c’est-à-dire nous parlant catalan, qui faisons partie de l’élite depuis des siècles, nous nationalistes dont les ancêtres fondèrent la Lliga regonalista et étaient les oppresseurs… Pas nous les charnegos comme étaient appelés les ouvriers venus de Murcia et les travailleurs agricoles venus d’Andalousie. Les anarchistes catalans ont fait grève le 3 octobre 2017. Pour l’autodétermination de la Catalogne et des travailleurs, deux revendications en une. Des piquets de grève de la CNT, environ 2 000 personnes ont encerclé le siège du PP catalan avec la banderole « Coupables du Jobs Act, de la militarisation de la ville et de la misère des travailleurs ». Un communiqué a été lu sur le refus des réformes du travail et la perte incessante de droits pour la classe ouvrière et sur l’inquiétude soulevée par les actions des différents corps répressifs de l’État. Après la grève du 3 octobre, la CNT lance un appel pour étendre la lutte sociale afin d’abattre ce modèle politique et économique. On ne peut que partager très largement la déclaration des secretariados permanentes del Comité regional de Catalunya i Balears y del Comité confederal : « Nous ne luttions pas pour changer de drapeau mais bien pour un Changement Social avec majuscules qui nous permette de reprendre les rênes de notre vie et tout ce qu’ils sont en train de nous arracher. » « Contre tout État. Pour la liberté. Pour la révolution sociale ! »
[note]
PAR : Monica Jornet (Gruppo Errico Malatesta - FAI - Napoli)
Publié dans « Canto Libre » (Naples) le 12 octobre 2017 et dans « Umanità Nova » le 22 octobre 2017.
Ajout pour « Le Monde Libertaire » : « Légitimité et illégitimité du catalanisme »
Publié dans « Canto Libre » (Naples) le 12 octobre 2017 et dans « Umanità Nova » le 22 octobre 2017.
Ajout pour « Le Monde Libertaire » : « Légitimité et illégitimité du catalanisme »
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