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par René BURGET • le 17 novembre 2024
Fièvre anarchiste à Saint-Junien (Haute-Vienne) 2de partie
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NDLR : la première partie de cet article a été publié le 10 novembre 2024 sur le site du Monde libertaire
Le jour des conscrits et celui du conseil de révision, le groupe Germinal défile rituellement avec des drapeaux rouges (où est inscrit « Vivent les sans-patrie »), des pancartes antipatriotes, des cris « À bas le drapeau ! » et au son de l’Internationale. Le 28 janvier 1905, les anarchistes prenaient le train pour aller à 15 km, « corriger » le traditionnel banquet des conscrits. Ils sont dénoncés et arrêtés en gare de Chabanais, puis gardés à vue avant d’être réexpédiés dans le premier train pour Saint-Junien.
En 1908, Raoul Corcelle est poursuivi pour propagande antimilitariste par le parquet de Rochechouart. Les jeunes libertaires sont mis en prison, puis relâchés faute de preuves pour les inculper.
La lutte contre l’influence de la religion prend l’aspect de mutilation d’ex-voto, de croix ou de statues placés dans le domaine public. Les catholiques sont émus par ces actions.
Le 19 avril 1905 (deux jours après l’assassinat à Limoges de Camille Vardelle par l’armée), les anarchistes donnent l’assaut à la demeure de l’abbé Delort, curé doyen de la collégiale de Saint-Junien : les grilles sont arrachées, un Christ décapité, des pierres lancées, mais les portes de l’église n’ont pas pu être enfoncées.
Lors des grèves, les demeures des patrons mégissiers font l’objet d’une surveillance continue par les militaires. La troupe encadre étroitement les libertaires pour éviter qu’ils puissent accomplir des coups d’éclat antimilitaristes.
Le taux de syndicalisation atteint un sommet de 82 % en 1905, avec un rôle croissant joué par les femmes. Les trois-quarts des gantières sont des syndiquées. Mais en septembre, devant la dureté du patronat mégissier, ce syndicat perd 560 adhérents. C’est le début du déclin.
Georges Clemenceau, ministre de l’Intérieur, accentue la répression sanglante contre les travailleurs (l’armée a chargé la foule paisible à Draveil et Villeneuve-Saint-Georges).
La confédération des syndicats, ébranlée par une telle détermination du gouvernement, cherche à élargir sa base, en faisant moins de surenchère révolutionnaire, se souciant plus de la réalité des rapports de force et éloignant les anarchistes les plus compromettants.
Pourtant Germinal à Saint-Junien ne perd pas sa combativité syndicale : « Abaisser sa mentalité n’élève pas celle des autres. Ce n’est pas en jouant aux diplomates ni par les subtilités et mensonges qu’on avancera sur la question. Au contraire, nous avons tout à gagner en travaillant avec franchise. » (Le Combat Social, 26 janvier 1908).
Le crépuscule
Début 1910, en échange d’une augmentation, les gantiers syndiqués acceptent de ne formuler aucune revendication pendant 5 ans.
L’influence révolutionnaire au sein de la CGT touche à sa fin. Les libertaires deviennent encombrants, les membres de Germinal sont interdits d’atelier.
Jean Bourgoin, mis au ban de la société locale, part pour Vincennes avec sa femme et son fils. De retour à Saint-Junien à la suite d’une maladie de sa femme, cet excellent gantier peut retravailler irrégulièrement à domicile. Il s’en sort en trouvant un emploi de comptable de la Société des poudres et explosifs, à Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux. Il sera officier en 14-18. Il termine sa carrière à un poste à responsabilités dans ce groupe de l’armement et en animant des stages de formation à la comptabilité pour les ingénieurs. Pendant sa retraite, il écrit son autobiographie dans Les Antitout*.
La guerre de 14-18 décime les anarchistes envoyés à la mort et persécutés par les officiers, tirés dans le dos par les gendarmes, même si certains auraient retourné leurs fusils en supprimant des chefs odieux.
Aux législatives de 1910 et 1914, Junien Burbaud puis Raoul Corcelle se portent officiellement candidats, pour mener une virulente campagne abstentionniste, sans risque de poursuites.
Joseph Dupuy, Louis Chabernaud, François Ratinaud et Jacques Rougier occupent jusqu’en 1914 des fonctions importantes à la coopérative de consommation L’Union syndicale et ouvrière, une des plus importantes de France.
Le 3 août 1914, quelques individus crient dans les rues de Limoges : « Plutôt la révolution que la guerre ! ». Cela n’a, hélas, pas d’incidence sur le processus de mobilisation.
« Dangereux et à arrêter », Raoul Corcelle est incorporé sans problème au 138e RI. Camille Laroque, réformé, s’engage et obtient la croix de guerre contre une jambe. François Pascaud, insoumis réfugié en Belgique, revient pour se battre en France. François Ratinaud, blessé à plusieurs reprises, recevra la Légion d’honneur. Jacques Rougier, réformé pour tachycardie, met en sommeil ses sentiments antipatriotiques… (Notices dans le dictionnaire Maitron des militants ouvriers)
Sébastien Faure et Louis Lecoin (avec l’emprisonnement pour ce dernier) sauvent l’honneur en distribuant des tracts antiguerre.
Le Populaire du Centre, organe de la fédération socialiste de Haute-Vienne, devient le symbole de l’opposition socialiste à la guerre.
L’étincelle, organe de la fédération des Métaux, propage les idées pacifistes.
Reste aux cocardiers le football et le bistrot pour s’abrutir, les fidèles s’instruisent en lisant les bonnes brochures pour réaliser l’idéal libertaire.
En 1916, les ouvriers gantiers mènent une grève dure et longue, grâce aux anarchistes.
Le 6 janvier 1917, 400 femmes de Saint-Junien vont en cortège à la mairie, pour réclamer l’augmentation des allocations militaires ! Elles s’opposent dans l’hôtel de ville à une manifestation pacifiste virulente et spontanée, qui exige la paix (avec notamment Mmes Corcelle, Rougier et Burbaud). La volonté revendicatrice des femmes s’accroît avec leurs responsabilités de travailleuses : elles sont moins payées que les hommes et le cours de la vie se renchérit.
Clemenceau, encore lui, donne un coup d’arrêt, par une répression brutale, à la contestation et à la propagande pacifiste qui suit la révolution d’Octobre en Russie.
La censure touche même Le Populaire où paraît, le 1er novembre, la phrase de Proudhon : « La paix signée à la pointe de l’épée n’est jamais qu’une trêve. »
Loyaux envers les pratiques illégalistes, certains, tel Camille Larocque, ont fait l’objet en 1923 d’une information judiciaire pour trafic d’or.
Louis Gaillard, secrétaire de l’Union locale des syndicats, reste un « antivotard » convaincu en 1919.
En mars 1923, la grève générale dure 6 mois, émaillée d’incidents fréquents avec les jaunes. Après le coup de force des autoritaires du PCF sur la CGT au congrès de Tours, les anarchistes refusent d’adhérer à la IIIe Internationale. Rejet amplifié tant par la répression sanglante des soviets de Kronstadt et l’écrasement des libertaires d’Ukraine (1921), que par l’occupation de la Ruhr et les menées colonialistes en Afrique du Nord. Le 11 janvier 1924, deux anarchistes sont assassinés par des communistes à la Maison des Syndicats, à Paris.
En 1926, le PCF contrôle l’ensemble des organisations ouvrières de Saint-Junien.
En 1929, La Voix libertaire ne compte que 45 abonnés dans la ville, mais c’est une densité qui reste rare comparée à la moyenne nationale.
En mai 1931, les deux conférences données par Sébastien Faure (tournée organisée par Adrien Perrissaguet, la grande figure anarchiste de Limoges, depuis 1923) témoignent, par leur grand succès, de la persistance des idées libertaires dans la cité.
En 1970, le congrès annuel de la Fédération anarchiste s’est tenu à Limoges.
René Burget, secrétaire du CIRA Limousin
64, avenue de la Révolution, 87000 Limoges
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* Christian Dupuy, Saint-Junien, un bastion anarchiste en Haute-Vienne (1893-1923), Pulim (Presses universitaires de Limoges), 2003, 223 p.
Autres sources :
J-P Brachet, Trélazé, foyer anarcho-syndicaliste (1890-1914), mémoire DESS, Université de Rennes, 1961, 140 p.
Michel Laguionie, Les trois CGT, Histoire du mouvement syndical à Limoges de 1919 à 1939, éditions Force Ouvrière, 1981, 61 p.
Pierre Cousteix, Influence des doctrines anarchistes en Haute-Vienne sous la IIIe République, l’Actualité de l’histoire 13, novembre 1955, p. 26-34.
Jean Bourgoin, Les Antitout, Nouvelle Librairie Nationale, 1964, 270 p.
PAR : René BURGET
Secrétaire du CIRA Limousin
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