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par Filippo Furri le 11 juillet 2018

Fascisme ordinaire en Italie

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Article extrait du « Monde libertaire » n° 1793 de mars 2018
Les faits de Macerata du février dernier, avec leurs conséquences politiques et sociales, nous mettent face au moins à deux constats. D’une part, le fascisme est loin d’être une histoire du passé : un fil direct 1 relie le terrorisme « noir » des années 1970 et les groupuscules néofascistes qui intoxiquent par leur présence violente, xénophobe et machiste l’horizon social italien et européen. Les réalités extraparlementaires comme Casapound, Veneto Fronte Skinhead et Forza Nuova, intégrées dans un plus large réseau néonazi et néofasciste (Génération identitaire), se consolident en dialogue avec des partis « classiques » comme le Front national en France, la Ligue du Nord (Lega Nord) 2 mais aussi des factions comme le Mouvement 5 Etoiles (5Stelle), dont le nouveau populisme ne cache pas une certaine admiration pour la droite historique (MSI).

Ce qui ressort de Macerata est surtout qu’il ne faut pas être forcément philonazi ou néofasciste pour être plus ou moins ouvertement raciste, plus ou moins xénophobe. Le constat est peut être banal, mais l’équation fascisme = xénophobie a eu souvent l’effet de soulager la bonne conscience citoyenne/soft-nationaliste/identitaire. Cela ne veut surtout pas dire qu’on doit abdiquer notre profond antifascisme. Mais, face à la recrudescence de la violence « squadrista » 3, à la farce de l’expédition des fascistes en Méditerranée (C-Star) et aux délires des théoriciens de la « grande substitution », il est difficile de nier que la majorité des étrangers, des migrants et des exilés sont aujourd’hui victimes d’abord d’une politique nationale et européenne de contrôle et de « gestion » néolibérale féroce de la migration, d’une répression institutionnelle systématique, et d’une indifférence méprisante de la part d’une partie considérable de la population.

L’absence d’une grande partie des représentants de la politique italienne lors de la manifestation de samedi 10 février donne la mesure de l’écart entre un fascisme « classique », diffus, intolérable mais plus circonscrit – au moins par un reste constitutionnel antifasciste –, et une xénophobie « dans l’air du temps », une intolérance qui imprègne une bonne partie de la société, pour des raison socio-culturelles diverses, qui n’est pas forcement affichée comme le font les fascistes, mais qu’on ne peut pourtant pas sous-estimer. Car, derrière la formule « Je ne suis pas raciste mais… », qui est devenue prémisse généralisée à tout argument anti-migration, souvent appuyée sur des données inconsistantes et une répétition médiatique obsessionnelle, se cache en effet une incapacité structurelle à se confronter à l’altérité, surtout quand l’identité nationale fantasmée se révèle fictive, postiche, « en crise ».

Le « nous », même dans sa fragmentation préélectorale, ne se dessine désormais qu’à travers la stigmatisation d’un « autre » à exclure. Ainsi, tout le débat électoral aujourd’hui est catalysé par la question migratoire, et par les recettes de chacun pour la maîtriser, alors que ce seraient plutôt les catégories d’appartenance qui méritent d’être questionnées. Mais il est beaucoup plus simple de « procrastiner » ce débat nécessaire sur le paradigme de la citoyenneté, et d’alimenter des clivages – entre pauvres – par la peur et par une demande induite de sécurité. Alors le quotidien Repubblica, dans son voyeuriste direct du raid en live 4, n’a pas hésité à insérer une parenthèse « de couleur peut-être » dans les quelques lignes qui décrivaient l’attaque portée par une personne au volant. La petite note de couleur a disparu dès que les forces de l’ordre l’ont capturé, en prenant soin de bien lui laisser exhiber son « tricolore » pendant l’arrestation, ce jeune homme avec son tatouage nazi sur le crâne…

Sous les spots, le ministre des affaires intérieures Minniti 5 a d’abord proclamé qu’« en Italie personne ne peut se faire justice », en laissant entendre que l’acte terroriste de Traini serait porté par une quelque revendication de justice, et donc que les victimes – noires – auraient indirectement payé pour un délit commis quelques jours auparavant et pour lequel un Nigérian fait l’objet d’une enquête ; puis il s’est vanté d’avoir « arrêté les débarquements » car il aurait « prévu un cas Traini », ce qui équivaut presque à justifier une attaque terroriste comme conséquence directe du phénomène migratoire.

Ce discours de la politique, véhiculé par les médias et avalé par les « spectateurs », alimente partout en Europe, sans trêve, un sentiment paranoïaque d’invasion, et un repli identitaire qui se manifeste dans la crise du système d’accueil et dans une méfiance croissante vis-à-vis de l’étranger. À en payer le prix, avec les migrants, tous les « criminels » de la solidarité, qui, de l’Espagne-Maroc à la France, de l’Italie à la mer Méditerranée, estiment que la liberté de mouvement est un principe fondamental et le secours à des personnes en danger une obligation éthique qu’aucune frontière – physique ou mentale – peut limiter.

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PAR : Filippo Furri
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