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Antisexisme
par Juan Jesús Aznarez le 26 avril 2020

Confinées et captives

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Traduction de l’espagnol : Monica Jornet Groupe Gaston Couté FA



Les pionnières de l’abolitionnisme en Amérique latine détestaient que les Aztèques aient pu répudier et vendre leurs femmes comme esclaves, que la révolution française ait guillotiné des bourgeoises féministes et que les colonisateurs espagnols aient passé par les armes des femmes indigènes rebelles. Cette avant-garde émancipatrice en conclut que ce n’est que depuis l’anarchisme et la subversion qu’il serait possible de renverser l’ordre colonial européen et d’éradiquer les us et coutumes machistes, transgresseurs de l’éthique et de la morale. Les femmes latino-américaines contribuèrent à la création de nations au XIX siècle sans recevoir en échange la citoyenneté, qui leur est encore due dans les millions de foyers où des hommes, à la virilité pathogène, ne savent ni aimer ni pleurer et ont peur d’une femme instruite.
Le contrôle du téléphone portable, la gifle, l’ivresse, l’accouplement comme un dû, la grossesse non désirée, sont des manifestations de la recrudescence de la violence de genre pendant le confinement familial, dénoncées par le Secrétariat Général des Nations Unies. La nouvelle envolée des outrages soufferts par les femmes ne voulant pas être douces, dévouées, maternelles, obéissantes et fidèles, renvoie aux avant-gardes libertaires d’il y a un siècle qui revendiquaient parité, éducation et université. Ce front dénonça l’oppression du mariage et du travail, l’hypocrisie du contrat sexuel de l’église et les normes juridiques fondées sur le patriarcat. L’accès croissant des femmes aux études supérieure et à la direction d’équipes, ainsi que l’équilibre progressif des rôles sociaux entre les deux genres, choquent avec le discours sous la ceinture et l’accumulation de peurs, dépressions, assassinats et fractures osseuses dans les chasses gardées du machisme.
Les hommes qui s’interdisent la souffrance et la tendresse au motif qu’ils sont des mâles, confondent les émotions avec un levier culturel de pouvoir dur comme l’acier, transmis de père en fils. En Europe, le pouvoir masculin cède le pas, en Amérique latine, il persiste. Entravés par des imaginaires primaires, près de 70% des garçons de 15 à 19 ans, selon l’enquête d’Oxfam, est persuadé que les femmes, quand elles disent non à un rapport sexuel, veulent en réalité dire oui ; et elles sont responsables des attouchements et harcèlement qu’elles subissent, en raison de leur façon de s’habiller. L’intégrité physique et psychologique de milliers d’épouses et femmes en couple confinées est en danger dans leur propre maison. Elles se taisent, nient ou excusent parce que l’histoire de l’Amérique latine est l’histoire de la femme violée, de la femme chair de bordel, de la vision masculine intégrée dans les modèles éducatifs, signale l’académicienne féministe, Alba Carosio, pour qui le coupable, en tant que précurseur, en est le colonialisme européen patriarcal, raciste et discriminant, intégré par les créoles et les métis.
La plupart des femmes ont pour perspective un avenir en forme de tunnel et une quasi invisibilité si elles sont pauvres, analphabètes et avec des enfants. La solitude à deux, dont parle le poète, est moins effroyable que le désarroi des femmes isolées avec leur agresseur, sans téléphone, ni commissariat proche, captives de la dépendance économique et émotionnelle, privées du recours à l’État qui puisse les accompagner et les protéger.

Juan Jesús Aznarez. El Pais. 21.04.2020



PAR : Juan Jesús Aznarez
El Pais
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