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par Les amis d’Élisée Reclus • le 9 août 2025
Élisée Reclus et les Juifs
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Réaction à la diffusion de « Avoir raison avec Élisée Reclus » le 5 août 2025 sur France Culture
Les lecteurs du Monde Libertaire ont sans doute appris que France Culture diffusait du 4 au 8 août de 13h à 13h30, avec rediffusion en soirée, une ambitieuse série en cinq épisodes, intitulée « Avoir raison avec... » consacrée au géographe et anarchiste Élisée Reclus. Deux de nos compagnons géographes, Federico Ferretti et Philippe Pelletier (1) ont été invités à participer à ce programme, et leurs interventions ont été diffusée lundi 4 et mercredi 6 août.
Les auditeurs désireux d’écouter l’intégralité du programme ont pu entendre, mardi 5 août, l’intervention de Béatrice Giblin, géographe et directrice de la revue Hérodote. Cette intervention, elle aussi passionnante, quand il s’agit d’évoquer l’apport de Reclus à la géographie de son temps, et particulièrement à la géopolitique, dérape soudain quand la productrice, Marie-Lys de Saint Salvy demande (environ 25 min du podcast) : « Son œuvre elle est quand même colossale, on peut s’attendre à des contradictions … ? » Et Béatrice Giblin de répondre à cette question que probablement elle attendait : « Oui, oui en particulier la question juive, et c’est une vraie contradiction. Mais c’est un homme du XIXe, et la gauche, anarchiste ou pas anarchiste, marxiste a toujours été un peu antisémite, voyant les juifs comme des banquiers, donc comme des capitalistes... » Béatrice Giblin poursuit ainsi en affirmant qu’il y a des pages antisémites chez Élisée Reclus, sans citer lesquelles bien sûr. Chacun peut se faire une idée des propos en écoutant la suite à l’aide du lien suivant :
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/avoir-raison-avec/geographe-du-peuple-quand-la-geographie-devient-politique-8479043
Élisée Reclus serait-il antisémite, selon Béatrice Giblin?
S’agissant d’Élisée Reclus, Giblin n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle avait déjà tenu des propos semblables en 2023, dans l’émission « Concordance des temps » où elle était l’invitée de Jean Noël Jeanneney. À écouter ici :https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/concordance-des-temps/elisee-reclus-la-terre-et-les-hommes-2520189
Béatrice Giblin a consacré sa thèse de doctorat de géographie à Élisée Reclus en 1971. De manière surprenante ce n’est qu’en 2005 que l’antisémitisme supposé d’Élisée Reclus apparaît dans ses textes. A la suite de ces allégations, jamais documentées, mais parce qu’elles posent le soupçon sur un personnage important de notre mouvement et de notre pensée, Federico Ferretti, Philippe Pelletier et Philippe Malburet entreprennent, avec la méthode rigoureuse qui est la leur, c’est-à-dire aller aux sources, aux textes publiés comme à la correspondance, la publication de deux documents.
• Un article publié en 2011 dans l’une des plus prestigieuses revues francophones de géographie, disponible en ligne et en accès libre.
https://journals.openedition.org/cybergeo/23467
• Et en 2017, un livre, Élisée Reclus et les juifs, toujours disponible aux éditions L’Harmattan.
Une réfutation en trois points
Voici au moins trois arguments qui vont à l’encontre de cette accusation mensongère et scandaleuse, mais il y en d’autres qui se trouvent dans les deux publications citées ci-dessus.
1/ A propos du Décret Crémieux du 24 octobre 1870 qui déclare citoyens français les "Israélites indigènes" d’Algérie, Élisée Reclus écrit que cela "témoigne d’une évolution considérable et ce n’est point tout à fait à tort que l’Etat civil confond dans la plupart des registres municipaux les enfants des Français et ceux des Israélites" (tome XI sur L’Afrique septentrionale de la Nouvelle géographie universelle, 1886, p. 596).
2/ "L’antisémitisme est surtout une rivalité vile, et d’avance il est frappé moralement, puisqu’il ne fait appel à aucun principe de justice" : lettre d’Élisée Reclus du 22 avril 1898, publiée par la revue Les Droits de l’Homme et republiée in extenso en 1899 par Henri Dagan dans son Enquête sur l’antisémitisme (1899).
3/ Cette lettre d’Élisée Reclus a été rédigée à la suite d’une interrogation de cette revue sur sa position quant à l’Affaire Dreyfus, dont il faut rappeler qu’elle a été lancée par un anarchiste, Bernard Lazare (lui-même en relation avec Élisée Reclus), qui a pris la défense du capitaine, avant même Emile Zola.
La réfutation est donc complète et documentée, et les trois auteurs concluent par cette phrase : « Face à cette avalanche d’évidences, nous pouvons donc affirmer que le qualificatif d’antisémite ne peut s’appliquer d’aucune façon ni au personnage d’Élisée Reclus ni à son œuvre. » Nous ne pouvons donc que souhaiter que Béatrice Giblin, en universitaire rigoureuse, prenne le soin de lire l’un ou l’autre de ces deux textes.
Des accusations infondées qui posent question
Une autre question demeure, au-delà du cas particulier d’Élisée Reclus, c’est celui de l’amalgame bien peu scientifique qui permet à la géographe invitée par France Culture d’affirmer que « (...) la gauche, anarchiste ou pas anarchiste, marxiste a toujours été un peu antisémite(...) ». Il y a de quoi se soulever d’indignation devant si peu de rigueur, et se demander qui est visé. Cette « gauche » bien vague du XIXe siècle ne serait-elle pas toujours celle, dans ses constituants du XXIe siècle, que l’on disqualifie opportunément dès lors qu’elle émet le moindre propos critique (et parfois bien timidement) à l’égard de la politique et des crimes perpétrés par l’État israélien ?
Anarchistes, nous nous soucions bien peu d’être de gauche, ou de quelques bords parlementaires que ce soit. Cependant, pour le public et les non-spécialistes, les affirmations calomnieuses de Béatrice Giblin résonnent de manière très agressive dans le contexte politique et médiatique du moment. Il y a là comme un air du temps qui autorise tous les amalgames et présente facilement le mouvement ouvrier et la gauche comme définitivement antisémites. S’il faut respecter le travail des historiens sur certaines traces dérangeantes, il ne faut pas laisser passer des affirmations sans références précises. Surtout quand des opinions politiques prennent le masque de la connaissance pour se légitimer dans un contexte affreusement clivant… Aujourd’hui comme toujours, le premier devoir des révolutionnaires c’est de s’informer et d’informer… et il y a du travail !
Les amis d’Élisée Reclus
(1)Tous deux coordinateurs, avec Pauline Couteau et Nicolas Eprendre, de l’abécédaire Élisée Reclus, les 101 mots publié par Les Presses du Réel en septembre 2024.
PAR : Les amis d’Élisée Reclus
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