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Histoire
par Julien Caldironi • le 17 novembre 2024
Un fil noir dans l’histoire - Un premier mai à la Belle Époque
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En cette fin avril 1891, à Angers, l’effervescence monte peu à peu autour de la mobilisation prochaine du 1er mai. Les groupes anarchistes d’Angers cherchent alors à sensibiliser les militaires, les enjoignant, par de multiples proclamations, à, dans un premier temps, refuser de tirer sur la foule et ensuite à rejoindre l’insurrection attendue. Dans ce but, de nombreux placards recouvrent les murs de la ville.
Retranscription de l’affiche manuscrite originale :
A l’[illisible]
Frangins les troubades ! [illisible] 1er mai, le peuple a des couilles [illisible] et le faire en expropriant les richards et en secouant les puces aux singes, aux ratichons et autres crapules ; tes chefs te conduiront avec des cartouches devant le peuple ; Serez-vous assez lâches pour tirer dessus ; Ah non, nom de dieu envoyez vos balles dans la gueule des galonnés qui vous commandent ce fratricide.
Et soyez assez marioles pour faire servir vos armes au profit du populo dont vous faites partie.
Les magasins sont pleins d’habits, troquez votre livrée contre des habits civils, vive l’insurrection !
Vive l’Anarchie !
Merde ! pour celui qui arrachera ce placard
Les archives départementales ont conservé quelques-unes de ces affiches. En effet, les cognes avaient pour consigne de les décoller en les abimant le moins possible pour les garder comme pièces à conviction. Et quand cela n’était pas faisable, ils devaient en recopier fidèlement les contenus. C’était le plus souvent le cas car les affiches étaient faites à partir d’un papier plutôt fin, parfois recyclé. On retrouve à l’occasion en filigrane d’autres tracts et mots d’ordre à travers les fibres de certains placards.
En voici retranscrite une, collée sur un urinoir, place de la Visitation, un quartier du centre-ville situé près de la gare et non loin de casernes abritant des garnisons locales :
Soldats !
Le 1er mai approche et vos chefs vous lanceront sans pitié contre vos frères qui viendront dans la rue demander qu’on mette un terme à leur misère. Nos souffrances, vous les avez endurées et vous les endurerez encore lorsque vous reprendrez la vie civile.
Soldats qu’on mène à la baguette, vous qui recevez les balles pour que les officiers aient les croix et les pompons, vous qui n’avez su jusqu’à maintenant que fusiller vos frères, il vous suffirait de faire volte-face pour voir pâlir les galonnés qui vous brutalisent.
Soldats ! au nom de la justice et de l’humanité, ne tirez pas sur vos frères ! Tirez sur ceux qui vous commandent de tirer sur le peuple.
De votre attitude dépend notre avenir et celui de nos enfants. Soyez braves et soyez hommes et enfin viendra pour vous comme pour nous ce jour béni que nos esprits rêvent et que nos cœurs souhaitent.
Vive la sociale ! Vive l’anarchie !
Signé : les groupes anarchistes d’Angers
Merde pour celui qui arrachera cette affiche
En voici une autre, cette fois collée, toujours sur urinoir, de la Butte du Pélican, une place accueillant à cette époque un marché animé :
Peuple d’Angers,
Les socialos à la manque te convient à aller bêtassement demander aux pouvoirs publics la permission de ne travailler que huit heures par jour ; si tu en as envie, sois pas si couillon ; ils ne te donneront rien les vaches ! Si ce n’est des coups de flingots.
Donc si tu veux te reposer un brin, envoie faire foutre toute cette valetaille ; tout ça vit de l’impôt ; l’impôt, c’est la crème de tes sueurs, le reste est transformé en produits accumulés dans les magasins. Tout ça est à toi, il faut avoir le nerf de l’y aller chercher, puis de mettre en bouillie les proprios, les singes, les fonctionnaires de tout acabit et sur les ruines de la société qui s’écroule :
Proclamons la Commune anarchique,
signal d’évolution libre de l’humanité.
Signé : Les groupes anarchistes d’Angers
Le 15 avril 1891, le général Fabre, commandant la 18e division d’infanterie écrit au préfet pour lui faire part d’une affiche similaire placardée sur les portes du quartier de Cavalerie.
Action discrète
Les stratégies sont souvent les mêmes : les affiches sont placardées nuitamment, dans des lieux de passage, le plus discrètement possible. Par la suite, la propagande à l’étiquette, ces minuscules papiers contenant juste un mot d’ordre, collés un peu partout ou jetés sur des places fréquentées, complètera le panel du militant libertaire. Le contexte est tendu, deux ans plus tard, les tristement célèbres lois scélérates viendront permettre l’emprisonnement et la déportation pour le simple fait d’exprimer des idées anarchistes.
Une journée symbolique et sous tension.
On sent la tension des compagnons : les appels à la fraternisation des troupes sont au cœur des revendications, avec le souci constant de leur rappeler leur origine populaire et de leur faire prendre conscience de leur véritable camp dans le conflit de classes. Ce n’est qu’avec leur soutien que la société idéale, attendue un jour « béni », sera abordable. Le vocabulaire est volontairement accessible, les insultes pleuvent (sur les gradés, les politiciens, ceux qui oseront arracher l’affiche) et l’argot, qu’on devine parfois emprunté au Père Peinard, vient égayer des textes à la gravité omniprésente. La théorie anarchiste n’est pas absente et les appels à la prise au tas kropotkinienne voisinent les invitations à se passer de la démocratie pseudo-participative.
La journée du 1er mai, avant de devenir la traditionnelle promenade quasi dominicale qu’elle est aujourd’hui, a longtemps été un rendez-vous dangereux pour le monde ouvrier. Avant d’être chômé, férié et payé, c’était un jour de grève, de rassemblement, en toute illégalité : un rapport de force avec le pouvoir bourgeois qui tentait d’interdire les manifestations, en faisant, par exemple, occuper les places par des militaires pour ne pas que le peuple s’y réunisse.
En 1891, cela ne fait que deux ans qu’en France, le 1er mai est décrété « journée internationale de manifestations pour la réduction de la journée de travail à huit heures » par la IIe Internationale socialiste, réunie à Paris en 1889. La France a embrayé le pas aux USA qui, depuis 1888, faisaient de cette journée, en souvenir notamment des martyres de Haymarket, une journée nationale de manifestations. La proposition fait boule de neige et en 1890, le mot d’ordre est suivi dans plusieurs pays, avec des mobilisations aux effectifs divers.
Tragique répression
Comme l’avaient pressenti les compagnons angevins anxieux, la mobilisation du 1er mai 1891 verra les soldats tirer sur la foule à Fourmies, dans le Nord de la France, assassinant dix personnes, dont deux enfants de onze et treize ans.
L’églantine écarlate, en souvenir du sang versé, deviendra alors l’emblème de cette journée avant que Pétain ne l’escamote au profit du blanc muguet pour sa triste et réactionnaire « fête du Travail et de la Concorde sociale ».
Merde à celui qui fermera la page web de cet article !
Julien Caldironi
Individuel FA 49
Sources : Archives départementales du Maine-et-Loire, série 4M6-29
PAR : Julien Caldironi
Individuel FA 49
Individuel FA 49
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