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par Ramón Pino le 21 avril 2024

IMPUNITÉ , NÉGATIONNISME, MÉMOIRE

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Une Espagne qui a du mal avec un passé douloureux
Dans son livre Juger Franco? récemment paru aux éditions La Découverte, l’historienne Sophie Baby développe un argumentaire qui tâche de répondre à une question : comment se fait-il que l’Espagne ne soit toujours pas capable aujourd’hui d’être en mesure de condamner unanimement le régime franquiste ?
Après avoir imposé sa dictature pendant près de 40 ans, Francisco Franco est mort tranquillement dans son lit, sans avoir eu à rendre compte des dizaines de milliers d’exécutions commises sur ses ordres et sous son autorité. Bientôt 50 ans après sa mort (le 20 novembre 1975) et c’est toujours l’impunité pour son régime, toujours le négationnisme de ses partisans et toujours le combat mémoriel de ses opposants.





Sophie Baby décortique les aspects des combats juridiques et mémoriels menés contre le déni de justice concernant le dictateur. C’est une enquête pour comprendre pourquoi Franco ne fut jamais jugé et pourquoi le franquisme n’est toujours pas condamné dans une Espagne actuelle « démocratique » et intégrée à l’Union Européenne.
L’autrice ne manque pas de rappeler que dès les années 1940 et 50 les opposants à Franco, pour la plupart exilés principalement en France et en Amérique latine, exigeaient (en vain) justice et réparation pour tous les crimes perpétrés sous sa dictature. Sa mort ne résolut rien, la période dite de « Transition » ne fut qu’une suite de renoncements de la grande majorité des organisations d’opposition en échange de leur légalisation, par une sorte de « pacte du silence », notamment avec la Loi d’amnistie de 1977 ; amnistie surtout pour les franquistes et leurs successeurs alors toujours en place dans les structures de l’État, ce qui posait une autre question : « qui amnistiera l’amnistiant ? »

Quelle mémoire collective?
Sophie Baby souligne l’importance de la mémoire collective et recense toutes les tentatives légales et les combats pour la justice et la reconnaissance des victimes. Elle ne manque pas de rappeler l’évolution des nations « démocratiques » vis à vis du régime franquiste : d’initiatives comme le « Tribunal contre la répression franquiste » en 1972, ou la « Journée officielle de condamnation du régime franquiste » en 2006 (mais non approuvée par le Parlement Européen), jusqu’à l’instauration récemment d’une journée (chaque 8 mai) pour commémorer les « Victimes de l’exil ». Sans oublier certaines initiatives individuelles comme celle du fameux juge Baltasar Garzón dont la procédure engagée en 2006 dans le cadre de la Loi sur la Mémoire historique, pour qualifier les exactions du régime franquiste de « crimes contre l’humanité » lui vaudra une plainte déposée par… des groupes d’extrême-droite. Il dut renoncer et fut suspendu de ses fonctions.

Inutile de dire que chaque initiative de ce type suscite la fureur de la droite et l’extrême-droite espagnoles. Tout comme l’exhumation des fosses communes qui ont lieu surtout depuis deux décennies principalement menées par certaines communautés, villes ou associations mémorielles, le gouvernement étant beaucoup plus frileux sur le sujet ( histoire de ne pas perdre une partie de l’électorat).

Deux bémols dans ce livre (avis tout personnel) : les très nombreuses notes auraient gagné à être publiées à la fin de chaque chapitre plutôt qu’être toutes regroupées à la fin de l’ouvrage. D’autre part l’autrice s’est principalement appuyée sur les archives des partis socialiste et communiste en oubliant- sauf deux ou trois exceptions – les archives du mouvement libertaire espagnol.
Malgré ces deux réserves (personnelles je le répète), force est de reconnaître que l’enquête de Sophie Baby est particulièrement fouillée et développée, remontant aux années d’après-guerre et nous décrivant « les dispositifs de mémoire et de justice , tour à tour mauvaise conscience du monde libre, modèle de réconciliation démocratique, championne de la justice universelle ou modèle d’impunité ».
Le combat mémoriel continue donc pour sortir définitivement d’une amnésie toujours entretenue par les forces réactionnaires d’une Espagne qui a du mal avec un passé douloureux. Mais douloureux surtout pour les vaincus de la guerre civile.
Le combat mémoriel ? Une affaire à suivre. Notamment en écoutant sur Radio libertaire (89,4) mercredi 24 avril à 17h00 l’émission « Au fil des pages ».

Ramón Pino
Groupe Salvador Seguí
PAR : Ramón Pino
Groupe Salvador Seguí
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