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par Hakim le 11 février 2024

Corruption, répression et terrorisme au menu des relations euro-algériennes

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L’exploitation des hydrocarbures à visage inhumain





Depuis l’arrestation, le 25 octobre 1984, de Georges Ibrahim Abdallah à Lyon, les liens franco-algériens fondés sur la coopération prennent un nouveau virage. La « lutte antiterroriste » devient ainsi le nerf des opérations conjointes de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) française et la Sécurité Militaire (SM) algérienne. Ce tournant contribue pourtant à la commission d’attentats en France comme à Paris en 1986 et 1995 et à de lourds investissements français en Algérie.

Depuis l’indépendance algérienne en 1962, les liens entre la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) française et la Sécurité Militaire (SM) algérienne fondés sur la coopération changent après l’arrestation à Lyon, le 25 octobre 1984, de Georges Ibrahim Abdallah, « numéro 1 » des Fractions Armées Révolutionnaires Libanaises (FARL). La « lutte antiterroriste » devient un enjeu central pour les deux services, car la France visée par les FARL compte sur l’Algérie, qui pourtant fournit alors un passeport à Abdallah né au Liban (1). Cela s’explique par des enjeux économiques touchant les deux pays, comme l’exploitation des hydrocarbures et les essais nucléaires au Sahara. La vision française du terrorisme pose aussi question.


Ventes d’armes, attentats et rente gazo-pétrolière

La France signe le 3 février 1982 un accord l’engageant à payer le gaz algérien à un prix supérieur au cours mondial en échange de l’édification de bases, casernes et l’envoi d’hélicoptères et blindés légers (2). Impliquée également dans la vente d’armes et de technologies à l’Irak dans sa guerre contre l’Iran, la France se voit frappée, dès 1982, par des meurtres de policiers et enlèvements de diplomates et appelle à l’aide la SM tout en connaissant le soutien algérien à Abdallah. Cette duplicité viendrait de l’argent amassé par Rhône-Poulenc, géré par Loïk Le Floch-Prigent, sur le marché du médicament, Bouygues pour la construction d’une voie ferrée de 137 kilomètres et de logements, et d’autres sociétés, propriétés aujourd’hui de Vinci et Eiffage notamment, pour l’aéroport d’Alger (3).

La peur française du « danger terroriste » et du « fondamentalisme musulman » existe cependant bien à ce moment. De décembre 1985 à septembre 1986 surviennent ainsi en France 12 attentats qui entraînent la mort de 13 personnes et en blessent 250 (4). Voulant apparemment devenir incontournable, la SM aurait donc orienté la DST vers les FARL au lieu du Hezbollah libanais, visiblement vrai auteur des attaques (5).

Cette stratégie permet à l’Algérie, le 8 janvier 1989, d’obtenir 7 milliards de francs de crédits français pour acheter des pièces de rechange automobiles et industrielles, accueillir les entreprises hôtelières Accor et Pullman, autoriser l’exploration pétrolière sur son sol à Total, lui offrir le champ gazier de Hamra et honorer les échéances de dettes contractées surtout dans les années 1970 (6), doubler en 1991 le Trans-Mediterranean Pipeline, et débuter en 1993 les travaux du gazoduc algéro-espagnol Pedro Duran Farell. Renault investit de même 350 millions de francs et trois banques françaises ouvrent des succursales en Algérie (7). Le 2 mars 1992, le FMI, la Banque Mondiale et la Communauté Économique Européenne (CEE) prévoient l’allocation d’un crédit de 1,4 milliard de dollars reportant de cinq et huit ans le remboursement de la dette bancaire exigible de janvier 1992 à mars 1993 entraînant trois milliards de prêt (8).





Le 1er juin 1994, le Club de Paris imite le FMI en rééchelonnant l’emprunt algérien à hauteur de cinq milliards de dollars grâce à l’augmentation par le régime du prix des produits de grande consommation tels que le lait, le pain, la farine ou la semoule et la dévaluation du dinar de 40% (9). En octobre 1994, postérieurement à plusieurs voyages à Paris, Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée, stoppe le processus de paix du président Liamine Zéroual avec le Front Islamique du Salut (FIS) dissout du fait de l’annulation des élections législatives le 11 janvier 1992 (10). Une cinquantaine de conseillers militaires français et 1 500 parachutistes d’infanterie de marine débarquent ensuite en Algérie, en plus de membres du GIGN, RAID, du satellite Hélios-1 et du navire-espion Berry (11). Le 8 novembre 1994, une lettre d’information stratégique « Très Très Urgent (TTU) » révèle la livraison d’équipements de vision nocturne à l’Algérie par la France pour équiper ses hélicoptères Mil Ml 24 et le journal Le Monde indique, la semaine suivante, la même chose pour neuf AS 350 B Écureuil, une trentaine d’AS 355 F2, des AS 355 N, des automitrailleuses et armes légères (12).

Du 11 juillet 1995 au 3 décembre 1996, huit explosions et assassinats se produisent à Paris et Villeurbanne, tuant 14 personnes et en blessant 318. La gendarmerie abat le 29 septembre Khaled Kelkal et la police arrête deux individus, mais pas la tête présumée du réseau Ali Touchent qui, selon l’ex-colonel Mohamed Samraoui, côtoie le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), successeur de la SM le 4 septembre 1990 (13). D’après lui, l’État algérien infiltre à l’automne 1992 et contrôle définitivement en 1995 le Groupe Islamique Armé (GIA) auquel appartient Touchent, suite à la manipulation du Mouvement Islamique Armé (MIA), d’El-hidjra oua at-takfir, des « anciens d’Afghanistan » et du Mouvement pour l’État Islamique (MEI) (14). Le GIA constituerait en effet une « fédération » noyautée par le DRS afin de contrer le FIS.





Le soutien européen aux généraux algériens putschistes

Ces agressions poussent la France à dénoncer le colloque de Rome organisé par la communauté catholique de Sant’Egidio, mobilisée par les moines trappistes de Tibhirine, réunissant la plupart des partis politiques algériens dont le FIS le 21 novembre 1994. Le 13 janvier 1995,les participants signent un « contrat national » appelant le pouvoir à des « négociations ». Les actions du GIA en France, à partir de l’arrivée à Matignon d’Alain Juppé qui approuvait la réunion en tant que ministre des Affaires étrangères, dissuadent finalement les dirigeants français de critiquer le pouvoir algérien (15).

L’imam Moustapha Bouyali crée de son côté le MIA (à l’époque Mouvement Islamique Algérien) en juillet 1981, que la SM semble piloter via Ahmed Merah qui s’en vante dans les ouvrages L’affaire Bouyali. Comment un pouvoir totalitaire conduit à la révolte et L’Affaire Bouyali devant la cour de sûreté de l’État (16). Ciblant au début la « déviation des mœurs », ce groupe tue un policier dans la nuit du 26 au 27 août 1985 et cinq gendarmes le 21 octobre (17). Son retour, dû à la sortie de prison de ses membres en novembre 1989 et juillet 1990, relance des maquis discréditant le FIS(18).

Parallèlement de 3 000 à 3 500 Algériens combattent en Afghanistan, au début des années 1980, l’invasion soviétique. « Principale instigatrice de l’opération », la SM obéirait au KGB en espionnant les islamistes afghans (19). Elle pénètre en outre la secte El-hidjra oua at-takfir lors du rapatriement des « volontaires » en 1989 et enferme, le 30 juin 1991, le leader du FIS Ali Benhadj (20). Elle manœuvre enfin le MEI responsable de l’attentat du 26 août 1992 à l’aéroport d’Alger en application du « plan d’action global » du ministre de la Défense Khaled Nezzar (21).

Ce programme, écrit en décembre 1990, annonce la neutralisation « des formations extrémistes » avant le vote, d’où son arrêt à l’issue du premier tour le 12 janvier 1992 (22). Le Haut Comité d’État (HCE), institué dans la foulée, gère le pays jusqu’à la nomination le 30 janvier 1994 du président Liamine Zéroual qui cède la place, le 27 avril 1999, à Abdelaziz Bouteflika. Celui-ci porte, en avril 2005, un « Programme national de Soutien à la Croissance Économique (PSCE) » incluant l’érection d’un pipeline à 8 milliards de dollars pour acheminer le pétrole nigérian en Europe prévu à la livraison en 2027 (23). Une « association » née en 2002 consacre maintenant les rapports euro-algériens essentiellement dans le domaine de l’énergie et des mines, entre autres à cause de la visite d’eurodéputés du 8 au 12 février 1998, blanchissant l’État algérien de toute complicité dans les massacres de l’été 1997, particulièrement celui de Bentalha (24).

Hakim

(1) « Les FARL et les attentats à Paris », Françalgérie, crimes et mensonges d’États, Jean-Baptiste Rivoire et Lounis Aggoun, éditions La Découverte (2005), page 91 : https://archive.org/details/francalgerie-crimes-et-mensonges-d-etat/page/92/mode/2up.
(2)« Francophonie et « bonnes » affaires », Le « coup de passion » franco-algérien de 1981, Jean de la Guérivière, revue Géopolitique Africaine, n°3 (Été-Juillet 2001), page 254.
(3)« La rivalité France-États-Unis et l’élimination de Messaoud Zéghar », Rivoire et Aggoun, page 72.
(4)« La division antiterroriste face au Djihad », DST police secrète, Roger Faligot et Pascal Krop, éditions Flammarion (1999), page 432.
(5) « Forces et faiblesses de ce type de campagne d’attentats », Les attentats de 1986 en France (Partie 2), Didier Bigo, revue Cultures & Conflits, n°4, page 11 (hiver 1991) : https://journals.openedition.org/conflits/750#tocto1n3.
(6)« Les vannes financières s’ouvrent », Rivoire et Aggoun, page 138.
(7)« Toutes vannes ouvertes pour la Françalgérie », Ibid, page 219.
(8)« La France, asile de fous… de Dieu ? », La poudrière algérienne. Histoire secrète d’une République sous influence, Pierre Dévoluy et Mireille Duteil, éditions Hachette (1995), page 327.
(9) Le FMI au service de la guerre des généraux, Rivoire et Aggoun, page 365.
(10)« Rupture du dialogue et fractures de l’armée », Algérie : l’après-guerre civile. Évaluer les chances de paix et anticiper la croissance, Nicole Chevillard, Nord Sud Export (juin 1995), page 58 : https://algeria-watch.org/wp-content/uploads/2021/02/chevillard_algerie_lapres_guerre_civile.pdf.
(11)« Examples of Counter-Guerrilla Forces », An Inquiry Into The Algerian Massacres, Youcef Bedjaoui, Abbas Aroua et Meziane Ait-Larbi, éditions Hoggar (1999), page 391 : https://hoggar.org/documents/uploads/hog-inquiry-book.pdf.
(12)« Des hélicoptères français pour la lutte antiterroriste », Rivoire et Aggoun, page 391.
(13)« Le cas Ali Touchent et les premiers réseaux du GIA en France », Chronique des années de sang : Algérie : comment les services secrets ont manipulé les groupes islamistes, Mohamed Samraoui, éditions Denoël (2003), page 231 : https://archive.org/details/chronique-des-annees-de-sang-mohammed-samraoui/page/230/mode/2up..
(14) « À l’origine des GIA », Ibid, page 166.
(15)« Des attentats « pédagogiques » », Rivoire et Aggoun, page 441.
(16)« L’émergence islamiste et l’étrange « épisode Bouyali » », Ibid, page 85.
(17)« L’islamisme radical en Algérie », Algérie : le grand dérapage, Abed Charef, éditions de l’Aube (1994), page 27 : https://archive.org/details/algerielegrandde0000char/page/26/mode/2up?view=theater.
(18)« Comment les services ont fait renaître le Mouvement islamique armé », Samraoui, page 76.
(19)« L’invention des « Afghans » », Rivoire et Aggoun, page 205.
(20)« L’affaire du capitaine Bouamra et l’infiltration des « Afghans » », Samraoui, page 87.
(21)« La création, sous contrôle, du Mouvement pour un État islamique », Ibid, page 171.
(22)Mémoires du général Khaled Nezzar, Chihab Éditions, page 222 : https://archive.org/details/memoires-nezzar.
(23)« Les Français à l’assaut des milliards de dollars algériens », Rivoire et Aggoun, page 589.
(24)« L’affaire Soulier, ou l’Europe discréditée », Ibid, page 531.

PAR : Hakim
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