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par Evelyne Trân le 8 juin 2020

8e partie des entretiens à bâtons rompus de Patrick KIPPER

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avec Jérémie Jeandidier et le concours de Fabien Roland et Evelyne Trân.

On peut difficilement imaginer tous les spectacles que j’ai pu monter, tout en étant complètement alternatif.
Travaillant sans subvention, je travaillais uniquement avec l’argent qui provenait du travail que l’on faisait. C’est vraiment le principe de l’organisation de la société libertaire.
Quand l’association « Mots et musique » a été créée fin 1991, y’a des cotisations qui arrivaient. C’est important mais ça fait pas non plus des sommes extraordinaires. Ça fait simplement un plafond de stabilité et quand on a suffisamment d’adhérents, ça aide beaucoup.
Après, c’est vraiment les entrées. Il faut vraiment qu’il y ait du monde. A l’époque, je ne suis pas encore agent. Je ne vends pas de spectacles. Après, il y a le côté vente de spectacles qui peut aider, c’est pas non plus évident. Mais c’est une autre activité.
Pour l’instant, y’a que ça. Mais mes spectacles du Cithéa s’autofinancent. Les artistes ne touchent pas des cachets exceptionnels.
Ça dépend aussi si les salles sont archi pleines ou un peu moins pleines. Car ils sont à la recette avec un minimum. Ils passent quand même dans un joli music-hall, bien équipé en son et en lumière : c’est un beau spectacle.

On va parler d’un phénomène qui s’est créé dans ce milieu des années 80. Je n’y suis absolument pour rien mais je vais être à l’intérieur. 

C’est le phénomène des cafés musiques. Années 85-86, on ne trouve plus aucun cabaret. Il y a un mouvement qui se crée autour d’une association qui s’appelle “Culturo Quotidien” qui est sur la Butte Montmartre.
L’assos’ se crée, crée un premier café musiques, un deuxième. Les cafés musiques vont se répandre sur Paris. Il n’y en aura pas autant que les cabarets à la grande époque. Il y aura 10 à 15 cafés musiques entre Paris et la banlieue, 15 à 20, qui sont des lieux où on peut boire un coup et souvent manger.

Mais ces lieux, avant tout, c’est le spectacle. C’est pas comme les bistrots sympas qu’on peut trouver actuellement à Belleville, qui font la musique en plus.
Les cafés musiques, leur vocation première, c’est le spectacle. 
Bien sûr, le spectacle tout seul, ils ne peuvent pas s’en sortir. Ils ont besoin au moins du bar et souvent du restaurant aussi.
Il faut qu’ils marient l’ensemble. Mais c’est des cafés musiques. Ils ont une programmation, ils choisissent leurs artistes. Les cafés ont été montés pour faire passer des artistes. 
C’est pas des vraies salles, la plupart sont sympathiques. Ils sont plus ou moins grands, le plus souvent pas très grands.
Ils organisent les concerts comme ils peuvent. La plupart n’ont pas de scène. C’est très sympa.
Sans être membre de cette association, le Cithéa va devenir un peu le vaisseau amiral des cafés musiques. Moi j’ai choisi les artistes qui me plaisent. J’en prends un tous les mois.
Le Cithéa, c’est une salle au-dessus mais qui est très lié à l’ensemble. Ils sortent un petit journal, un beau petit journal mensuel. Il est présent dans tous les lieux où il y a de la chanson.
Il est distribué gratuitement. Après les gens qui sont adhérents à l’association, ils le reçoivent forcément chez eux. C’est un très bon journal. Donc, ça aide.
Il y a toujours un encart pour le Cithéa avec souvent une photo du chanteur ou de la chanteuse qui passe.
Souvent une chanteuse, car Patrick Kipper aime bien les chanteuses.
Réputation qui va être la mienne dans le métier, qui va prendre naissance, se développer et se confirmer.
Mais j’ai de très bons copains aussi qui font un long parcours avec moi. Mais c’est vrai que j’aime bien les chanteuses, j’aime les voix de femmes.
Je suis quelqu’un qui ne marche au départ qu’à la voix. Si la voix n’est pas là, c’est impossible que je travaille avec lui. Même s’il me raconte des choses intéressantes. Un chanteur, une chanteuse, il faut que j’ai envie de l’écouter. C’est la voix.
Après s’il me raconte des choses fantastiques, si la voix n’est pas là, s’il m’écrit ça dans un bouquin, je le lis.
Brassens, c’est un chanteur avant tout. Y’en a au début qui disent « oh Brassens c’est pas un chanteur. » C’est un chanteur ! Un poète chansonnier, c’est un chanteur !
Tout le monde ne passe pas au Cithéa. Mais c’est bien aussi. Comme ça, c’est un peu le navire amiral.
J’ai débuté avec Serge Utgé Royo, plein d’artistes, Anne Vanderlove, Gilles Servat, Marc Robine, Bernard Haillant vont venir chanter au Cithéa.





  Et puis bien sûr, Marie-Josée Vilar, dans l’un des premiers Cithéa, la première année. Cette chanteuse, cette fille sombre, cette brune avec sa guitare m’avait bien plu.





Je la recherche. Elle ne chantait plus, elle avait quasiment arrêté de chanter pendant 7 ans. 
Elle avait une maison de disques qui était “L’Escargot” qui avait fait faillite. Il y avait un tourneur au sein de la maison de disques qui s’occupait d’elle comme ça se faisait beaucoup à l’époque.
Elle appartient à cette génération de chanteurs et de chanteuses, qui n’allaient pas chercher les concerts eux-mêmes. Ça ne se faisait pas à l’époque. Ça se faisait uniquement à l’époque des cabarets.
Car les artistes qui étaient débutants allaient dans les cabarets. Parce que c’était des endroits qui étaient faits pour eux. Ils étaient pris ou pas pris mais ils allaient dans les cabarets.
Après il n’y a plus de cabarets. Où aller chercher ? Les artistes à cette époque-là n’avaient pas du tout l’habitude de s’auto-produire. Personne ne s’auto-produisait.
L’autoproduction est arrivée à partir du moment où les maisons de disques ne produisaient plus. C’est une autre catégorie d’artistes, une autre génération. Marie-Josée faisait partie de ceux qui étaient dans l’ancien mouvement.
Elle avait fait des études au niveau de la licence, elle n’avait pas cherché à faire un métier. Elle a fait des petits boulots, elle a travaillé au PMU comme ça en passant.
Depuis l’âge de 20 ans, elle était chanteuse. Elle avait fait deux albums, elle a eu un grand prix de l’académie Charles Cros, elle a été chez “L’Escargot”.





Son premier album a été fait avec les musiciens de Brassens. Brassens lui fait une très belle dédicace sur son premier 30 centimètres. Il l’emmène avec lui en Belgique pour faire une première partie. Il l’emmène aussi sur RTL quand il est invité.
Brassens aimait beaucoup les chansons de Marie-Josée Vilar. Il y a très peu de femmes autour de Brassens. Il a fait passer beaucoup de monde en première partie qu’il a aidé. Il avait beaucoup de copains mais peu de femmes autour. C’est un univers extrêmement masculin, des chanteuses, il n’y en avait quasiment pas. Il n’y avait pas non plus énormément d’auteurs compositeurs femmes à l’époque. C’est pas la première mais l’une des premières filles qui passent sur scène en s’accompagnant à la guitare. Ça ne se faisait pas du tout.
Chez les hommes, ça commence à la fin des années 40 avec Félix Leclerc.





Chez les filles, ça va commencer 10 ans plus tard avec Marie-Josée Neuville qui est la première chanteuse à la guitare, “la Collégienne de la Chanson”.





L’artiste, il correspond un peu à la société bourgeoise de l’époque. Il arrive sur scène en costume avec une cravate ou un nœud papillon. Il se déplace avec élégance avec un orchestre derrière, quelquefois qui est caché derrière le rideau.
Le public n’est pas du tout habitué à voir le gars arriver avec sa guitare. Les filles encore moins. Marie-Josée Vilar n’est pas la première, mais c’est l’une des premières filles qui s’accompagnent à la guitare sur scène et qui dit des choses un peu salées.
Elle a une chanson dont le titre est évocateur qui sera censurée immédiatement sur RTL. qui s’appelle “Clitoris Melba”. Elle passait un peu sur les grandes antennes. Marie-Josée Vilar, c’est ça.
C’est l’une des premières au Cithéa, ça se passe très bien avec elle. Elle vient avec deux musiciens. La salle n’est pas archi-pleine, elle est presque pleine.
Elle avait une petite notoriété mais c’était pas non plus une grande vedette. Après 7 ans de semi-absence, c’était pas sûr que…
Moi, elle me plait vraiment bien. Elle me plait bien de toutes les façons. Je la reprogramme la même saison 6 mois après.
Elle revient chanter, même formation, même succès. Et c’est là qu’elle me dit “Je suis venue chanter avec toi une deuxième fois. C’est bien comme ça, j’ai chanté deux fois cette année. Pour faire son marché, c’est pas terrible. C’est pas assez. Je voudrais être avec quelqu’un qui s’occupe de moi, qui travaille avec moi, qui me trouve des spectacles”.
Dans un premier temps, je pensais que je n’avais pas le temps de le faire. Et je savais que je ne savais pas le faire.
Je ne l’imaginais même pas. J’étais resté dans le côté extrêmement militant quand même. 
Là, j’étais sorti du militantisme, pas complètement mais j’étais sorti quand même. Pour moi, je devais être attaché tout le temps avec le milieu libertaire. 
A l’époque, je ne pensais pas à la chanson en termes de métier.
Je me retrouve avec une chanteuse qui me demande de travailler avec elle, sous-entendu que je dois lui trouver suffisamment de travail pour qu’elle puisse en vivre. 
Donc, j’accepte le challenge. Elle me plait beaucoup aussi pour différentes raisons.
Je reviens sur l’anecdote de son passage au Cithéa la première fois. Après l’avoir trouvée, je lui téléphone. C’est elle qui me l’a raconté après sinon je n’aurais pas pu le savoir.
“Tu sais quand tu m’as appelé, je t’ai dit oui pour le Cithéa. J’étais en train de diner avec ma fille Bulle (qui ira voir plus tard “La petite boutique des horreurs”) et son papa François. Pendant le repas, le téléphone sonne, je vais répondre, c’était toi. Tu me demandais de passer au Cithéa. Je te dis oui. Après je retourne à table et je dis à François il y a une espèce de fou qui vient de me téléphoner et qui m’a demandé pour aller chanter dans sa cave et j’ai dit oui.”
C’est une femme de parole, Marie Josée. Elle a dit oui et elle est venue. Elle est venue au Cithéa, sans contrat sans rien.
Comme elle a vu que je n’étais pas trop fou et que ce n’était pas une cave et qu’il y avait du monde, elle est repartie avec un peu d’argent. 
Pas beaucoup car il y avait deux musiciens. Financièrement, c’était pas une affaire. Mais c’était bien. Et elle est revenue la deuxième fois. Après on se voit, on discute beaucoup. Il fallait que je sache ce qu’elle attendait de moi. Il fallait savoir comment j’allais me positionner. Par rapport à la production, au métier, je ne connaissais rien. C’est un vrai métier. En plus il y plusieurs métiers.
Je savais assez bien organiser des spectacles sur un coup précis, sur un soir. Ça, je savais bien le faire. Mais je ne savais faire que ça.
On parle des disques, elle me dit : “Mes disques sont épuisés”. Elle n’avait qu’un 45 tours qu’elle venait d’auto-produire.
Il fallait absolument qu’elle ait un disque sinon on ne pouvait pas travailler de façon sérieuse. Maintenant encore c’est pareil, il en faut encore aussi. Maintenant il y a le CD et d’autres formules numériques. Le disque c’est différent. A cette époque-là, il n’y a pas de numérique du tout.
Sans disque, c’est impossible pour un chanteur de réussir. Il ne peut pas s’exporter. Il faut le faire écouter, l’envoyer partout…
On commence à faire la route ensemble, elle a le petit 45 tours. On commence avec ça mais pour les spectacles ça ne sert à rien. 
On ne décroche pas grand-chose. Tout de suite, je décide de produire un disque avec elle, c’est “Nostalgies, nostalgie”.
 





Ça va sortir à la fin des années 80. Je n’ai pas peur de le dire mais c’est quand même un petit évènement dans le monde de la chanson.
Marie-Josée Vilar, elle n’est pas oubliée. C’est une chanteuse, aujourd’hui si moi je ne le dis pas, personne ne le dira, dans les années 70 dans le milieu étudiant, beaucoup d’étudiants ont un Vilar dans leurs chambres et écoutent des chansons de Vilar.
Quand on sort le disque “Nostalgies, nostalgie”, il est quand même drôlement bien reçu. Il faut se dire que ce disque n’a pas de maison de disques, il n’a même pas une association qui le sort. Il est produit par un mec qui s’appelle Patrick Kipper et qui bosse chez l’Oréal.
C’est un petit phénomène qu’on n’a jamais identifié avant moi. En plus, un disque qui va être tout de suite évènement du mois, 4 clés dans “Télérama”, qui va être évènement du mois dans “Le Monde de la Musique”.  Des choses quand même !
Il va y avoir à peu près dans les trois mois qui suivent une trentaine d’articles dans la presse nationale.

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PAR : Evelyne Trân
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