« Faut pas jouer les riches quand on n’a pas le sou ! »

mis en ligne le 27 mars 2014
1736BanqueAnarchieC’est une marche contre la tyrannie des marchés. Ce sont les mots mêmes du pape François – qui, en matière d’incarnation de la tyrannie, en connaît, convenons-en, un rayon – lors de sa désormais fameuse rencontre – sur les conseils avisés de Christine Boutin ? – avec Jérôme Kerviel. Car l’affaire Kerviel, qui en est bien une, touche à sa fin, du moins en ce qui concerne les principaux acteurs.
Fasciné par les sous, notre héros n’en a quoi qu’il en soit pas tout à fait terminé avec la justice, ni avec la soudaine médiatisation dont il fit l’objet en janvier 2008. Et pour cause. Notre sacripant, fils de bonne famille insoupçonnable, après de brillantes études dans la finance du calibre master management des opérations de marchés – eh oui, ça existe ! –, travaille d’abord à la Société générale au « middle office », puis au « front office » chargé de l’arbitrage portant, à terme, sur des indices boursiers. Drôle de métier, mais, en attendant que les banques brûlent, il faut bien s’occuper. Pour faire court, il s’agissait de faire faire de bonnes affaires au banquier, moyennant, sans aucun doute, une rémunération plus que correcte. On parle d’un salaire annuel entre 50 000 et 100 000 euros, et il devait recevoir un bonus de 300 000 euros au titre de 2007. Fascination de l’argent, appât du gain, rien n’est tranché, il reste que les vraisemblables pressions de sa hiérarchie l’ont incité à engager des sommes de plus en plus fortes, à dissimuler des opérations, à traficoter les systèmes informatiques et leur super sécurité ou bien à falsifier des écritures. Impayable. Je ne connais aucun libertaire qui blâmerait de tels agissements. Voler une banque est le bien juste retour des choses. La bande à Bonnot avait inauguré en son temps le braquage de la Société générale d’une autre façon. La petite note pour la banque, qui s’en est remise je vous rassure, a tout de même atteint près de cinq milliards d’euros ; pour certains experts, car il y a des experts pour ça, pour pouvoir atteindre une telle perte, les montants engagés étaient de l’ordre de cinquante milliards d’euros concentrés sur des futures (sic) à fort effet de levier portant sur les indices Eurostoxx, DAX et Footsie. Paroles d’expert, on se croirait dans une bande dessinée. Sans doute ont-ils raison – ce sont des experts ! –, ce qui de toute façon en dit long sur les masses de pognon engrangées par ces établissements financiers et, surtout, sur la manière dont ils jouent avec. Parce qu’il s’agit bien là d’un jeu, dont les règles obscures et compliquées échappent à dessein à l’épargnant moyen, qui n’a pas d’autre solution que d’avoir un compte en banque pour toucher son salaire ou son allocation chômage.
Voilà donc à quoi Jérôme Kerviel était occupé : jouer, placer, encaisser, manipuler, décaisser, surveiller l’argent gagné péniblement par les autres dans le but avoué. Faire en sorte que la banque se gave de plus en plus, devienne de plus en plus riche, de plus en plus grasse. Mais on ne touche pas au pognon, c’est sacré. Dans tous les cas, sa défense volera en éclat. On-ne-tou-che-pas-au-po-gnon ! Les arguments les plus spécieux ont été employés par les avocats de la banque : une victime négligente n’est pas pour autant une victime consentante, ou bien Jérôme Kerviel a été l’unique concepteur, initiateur et réalisateur du système de fraude ayant provoqué les dommages causés à la Société générale. Le jeune yuppie aura beau se défendre en argumentant – « Je ne suis coupable de rien puisque la Société générale était au courant de tout » –, il sera condamné absurdement à rembourser le montant de la perte, ce qui en fit sans doute l’homme le plus endetté du monde. Bien que cette condamnation ubuesque fut effacée il y a quelques jours, il devra purger trois ans de prison sans aménagement possible. Coupable au pénal et pas au civil, voilà une bien étrange conception de la justice, qui n’en est plus à ça près. Il est devenu bien malgré lui une icône du Net, on trouvera des tee-shirts à sa gloire, et ses admirateurs sont sans doute plus soucieux de moquer le volé que le voleur, n’imaginant pas qu’ils sont pourtant aussi des victimes du système financier qui ne vit que grâce à eux. Sans doute notre Kerviel pourra-t-il, malheureusement, ruminer sur la fatuité et la vacuité de ce pourquoi il était payé et prendre conscience que, jusqu’à présent, le petit personnel, si soumis et si zélé soit-il, aura toujours tort devant la finance et les financiers. Je dis bien jusqu’à présent.
Alors, bonne marche et bon courage.