Vieux terroristes

mis en ligne le 23 mai 2013
Le terrorisme aux États-Unis est présent et menaçant sur l’ensemble du territoire. Les attentats de Boston à la mi-avril sont venus nous le rappeler. Aujourd’hui, l’ennemi est musulman. Depuis le 11 novembre 2001, personne ne se risquerait à mettre en doute cette affirmation.
Parfois, un brin d’objectivité oblige l’un ou l’autre journaliste à rappeler l’attentat d’Oklahoma City qui fit pas moins de 168 morts et plus de 680 blessés. Il était l’œuvre d’un « vrai » Américain, bien blanc sur lui. Quelques spécialistes de l’histoire relativement récente peuvent mentionner les attentats commis par un groupe radical (au sens anglo-saxon) de gauche américain à la fin des années 1960 et au début des années 1970. C’est à cette période que Robert Redford consacre son film Sous surveillance.
Redford a joué dans un certain nombre de films engagés comme Les Hommes du président (à propos du Watergate), Les Trois Jours du condor (espionnage et complot des services de renseignements) ou Jeremiah Johnson (sur la découverte du monde indien). Sa filmographie entière est bien plus impressionnante. Il est aussi l’homme qui a créé le festival de Sundance consacré aux films indépendants. Dans ce récent film, il est à la fois derrière et devant la caméra et l’on constate qu’il est resté fidèle à une certaine idée de l’engagement politique.

L’histoire
C’est le récit d’une cavale. Une ancienne militante du groupe Weather Underground, après trente années de clandestinité, de changements d’identité, de vie familiale réussie, mais fatiguée de cette situation, se rend. Le héros du film, interprété par Redford, a aussi appartenu à ce groupe et vient de passer sous un faux nom une vie d’avocat consacrée à la défense des droits civiques. Il est mis en cause dans le braquage d’une banque où il y eut un mort. Il fuit. La police est à ses trousses. Lui prétend n’avoir pas été là au moment du braquage et donc n’avoir pu tuer cet homme. C’est une cavale à travers les États-Unis à la recherche d’éléments l’innocentant. C’est aussi une remontée clandestine vers les anciens du groupe.
Ce qui frappe dans ce film, hormis son côté léché, très beau film américain aux splendides plans empreints de nostalgie, ce sont les rides des acteurs. Nous sommes dans un milieu de vieux. Rien ne vient gommer ni l’âge, ni les problèmes, ni la fatigue. C’est un très beau film auquel il manque toute une partie, juste rapidement esquissée au tout début. Mais qui était ce groupe et pourquoi ont-ils perpétré ces attentats ?

Les États-Unis en 1969
C’est alors la fin du mouvement des droits civiques. Depuis le moment, en 1955, où Rosa Parks s’est assise dans le bus à une place qui n’était pas pour elle, puisque Noire, les manifestations n’ont pas cessé. D’abord pour l’égalité des Noirs, elles ont laissé la place à celles contre la guerre au Vietnam. C’est alors que le parti des Panthères noires a été créé.
Au même moment, la frange la plus engagée des étudiants blancs, le SDS (Students for a Democratic Society) se pose des questions. Dans la lutte contre la ségrégation, l’action non violente initiée par Martin Luther King a montré son efficacité. La lutte a été payante. En juillet 1964, le Civil Rights Act déclarant illégale la discrimination raciale est voté. Au même moment, les États-Unis s’engagent aux côtés des militaires sud-vietnamiens dans la guerre contre le Nord-Vietnam. La lutte se déplace alors contre la guerre au Vietnam avec les mêmes techniques.
À partir de 1967, les manifestations, les destructions de papiers militaires, les fuites au Canada d’appelés se succèdent, sans succès. Simultanément, les Noirs libérés se rendent compte que leur situation sociale n’a pas changé. Ils sont toujours cantonnés dans les ghettos des grandes villes et pour une grande part réduits au chômage.
C’est le moment ou émerge à nouveau la vieille idée du black power qui va s’incarner dans les Black Panthers. C’est dans ce contexte que les membres les plus radicaux du SDS concluent à l’inefficacité de la lutte non violente dans le combat contre la guerre.
D’autre part, partout dans le monde la jeunesse bouge : Japon, France, Allemagne, Italie. La révolution semble à la porte. Aux États-Unis, Martin Luther King, prenant conscience de la nécessité de mener une lutte sociale, après avoir organisé des comités de locataires pour combattre des propriétaires requins, se rend à Atlanta pour soutenir la lutte des éboueurs noirs. Trop c’est trop, il est abattu. C’est le 15 janvier 1968.
Un an plus tard, la direction du SDS rassemble un certain nombre de partisans, entraîne une partie du mouvement dans l’action directe violente et entre dans la clandestinité. Ils vont prendre le nom de Weather Underground. La première partie de ce nom fait référence à cette chanson de Bob Dylan Subterranean Homesick Blues, où il dit : « You don’t need a weatherman to know which way the wind blows » (Pas besoin d’un présentateur météo pour savoir dans quelle direction le vent souffle) d’où le nom donné aux membres de ce groupe clandestin les Weathermen.
Braquages de banques (au cours de l’un d’entre eux un vigile sera tué), attentats à la bombe (sans dégâts autres que matériels) vont se succéder, jusqu’au jour où peu après la fin de la guerre au Vietnam (1975) le groupe se disloquera. Un certain nombre de ses membres se rendit alors à la police. C’est à ce moment là que débute le film.
Il commence avec un extrait d’une bande d’actualités. Cette reprise est un clin d’œil marqué vers un documentaire 1 consacré à l’histoire des Weathermen qui commence avec les mêmes images. Si ce film se suffit à lui même, il est indispensable pour comprendre ce que Robert Redford a réalisé.

Un film courageux
Sous surveillance est sans aucun doute un film courageux. On est loin du baratin américain habituel des gens qui ont fauté et qui demandent « pardon » dans des espèces de confessions télévisées, transformant leur repentir en un show gigantesque. Là, les acteurs (au rang desquels il faut citer outre Redford, Susan Sarandon et Julie Christie), s’ils reconnaissent avoir commis des erreurs, ne regrettent pas de s’être engagés radicalement.
Hormis le jeune journaliste, qui incarne à lui seul la recherche de la vérité, la tentative de comprendre ce qui s’est passé et comment les événements se sont déroulés, la jeunesse américaine est absente. Au contact des faits il comprend à la fois le désespoir et l’honneur maintenu de ceux qui furent alors des desperados. Enfermés dans leur impuissance face aux horreurs de la guerre du Vietnam, ils croyaient qu’il suffisait d’importer la guerre sur le territoire américain 2 pour que leurs concitoyens prennent conscience des atrocités commises en leur nom.
Le documentaire montre bien, à travers les interviews, que dans leur petit groupe constitué d’une trentaine d’activistes, l’auto-intoxication fonctionnait à merveille. Si l’idéologie du début de la clandestinité indique des tendances libertaires, rapidement, conséquence de l’enfermement, le maoïsme prend le dessus.
Le film de Redford, en choisissant un Noir pour incarner le flic en charge de la poursuite des Weathermen, fait d’une pierre deux coups. Il indique qu’aujourd’hui l’intégration des Noirs dans la société américaine s’est effectuée. Il y a, dorénavant, une classe moyenne et supérieure noire à tous les niveaux. Plusieurs d’entre eux se sont retrouvés au gouvernement, Obama n’étant que le sommet de l’iceberg. D’autre part, ce film illustre à quel point la mémoire de l’avant, de la ségrégation, appartient à l’histoire. Pour ce flic du FBI, ces clandestins ne sont que des criminels, il a oublié qu’ils furent aussi pour partie les artisans de la libération de ses parents.

En bonne compagnie
Ce film, au titre original Company You Keep, est l’adaptation d’un roman américain de Neil Gordon, traduit et édité en France sous ce nom : Le Dernier d’entre nous, chez 10/18. Ce sujet, l’opposition radicale américaine pendant les sixties, est un thème laissé de côté par l’industrie cinématographique d’Hollywood. On comprend pourquoi. Le magazine Time, l’un des plus importants aux États-Unis, rappelle que le titre anglais est tiré d’une phrase de l’auteur grec classique Euripide. Voici ce que le critique de cinéma y écrit : « Si, comme le dit Euripide, un homme est connu par les amis qu’il conserve, alors ceux de son ancienne vie de militant sont une compagnie magnifique. » Il ajoute : « Sous surveillance » non sans mélancolie. Déception que la seconde révolution américaine ne soit jamais advenue et tristesse d’abandonner les vies accomplies et hors-norme que Nick (Robert Redford) et les autres auraient pu avoir. Comme le dit Mimi (Julie Christie) : « J’ai laissé tomber six vies… sans compter la mienne. » Ce n’est qu’à la fin que le film fait pencher le délicat équilibre entre le souvenir et le regret vers un optimisme peu probable. Cependant, il s’agit du drame vibrant d’un homme qui emprunte un chemin complexe, souvent intérieur, pour mettre son passé à distance. Nulle évocation dans cet article du Time d’un quelconque lien avec le mouvement Occupy Wallstreet, alors que le jeune acteur qui incarne le journaliste en quête du scoop revendique, lui, dans une interview, cette appartenance. Réduire un tel film à sa dimension historique et nostalgique est une façon de le nier.




1. Le lecteur, s’il est intéressé, pourra le voir en entier (1 h 30) sur le Web à l’adresse http://www.youtube.com/watch?v=abo-ECLe6iA.
2. « Bring the war back home », le slogan violent des Weathermen, s’opposait au slogan pacifiste « Bring the boys back home » (Renvoyez les soldats dans leurs foyers). (Ndlr.)