Coup de Jarnac pour Tarnac

mis en ligne le 8 novembre 2012
1686MilleVachesTout était ficelé, l’affaire classée, depuis que le 22 octobre 2010, la demande d’annulation de la procédure antiterroriste visant le « groupe de Tarnac » avait été rejetée. De fait, la cour d’appel de Paris validait l’intégralité de l’enquête et établissait, dans son arrêt, que les observations réalisées sur le groupe avaient permis d’avérer « sa volonté d’agir de manière concertée et violente afin de porter atteinte à l’État, ses représentants et ses infrastructures ». Retournement. Une nouvelle information nous vient du Canard enchaîné. Jusqu’à présent, Yildune Lévy était soupçonnée d’être impliquée, avec son compagnon Julien Coupat, dans le sabotage d’une ligne de TGV, le 8 novembre 2008. Trois jours après le sabotage, Yildune Lévy, Julien Coupat et sept autres personnes avaient été placés quatre jours en garde à vue, puis tous avaient été mis en examen. Avec quelles preuves ?

Retour sur image
Selon les policiers de la Sous-direction antiterroriste (SDAT), le couple aurait utilisé une vieille Mercedes pour se rendre à Dhuisy (Seine-et-Marne), la soirée du 7 et de la nuit du 8 novembre. Jusque-là, Yildune et Julien ont toujours reconnu les faits. Dans leurs diverses dépositions, ils admettent en effet avoir fait une virée en Seine-et-Marne dans la soirée du 7 novembre, durant laquelle ils sont effectivement allés manger une pizza dans un restaurant situé à Trilport (77). Ensuite, le couple reconnaît avoir voulu dormir à l’hôtel Le Mouflon d’Or, mais celui-ci étant complet, ils ont finalement décidé de passer la nuit dans leur voiture. Poussés par l’enquête, ils avaient même révélé que, réveillés par le froid, ils s’étaient alors rendus dans un endroit reculé à quelques minutes de la petite ville pour « faire un câlin », avant de rentrer à Paris.
À présent, voici la version des policiers de la SDAT : dans le procès-verbal numéro 104, pièce maîtresse de l’instruction, la SDAT reprend « méticuleusement » les étapes de dix-sept heures de filature du couple Coupat-Lévy. Le rapport précise qu’une « approche piétonne » de la Mercedes au Trilport a effectivement permis de voir le couple endormi à l’intérieur dans des sacs de couchage, poussant le détail jusqu’à signaler la présence de « buée sur les vitres ».

Ça se complique
Jusqu’à ce chapitre du vrai faux polar, cette version corrobore celle des présumés coupables. C’est ensuite que les distorsions apparaissent. En effet, dans leur rapport, les policiers écrivent que la Mercedes aurait redémarré à 3 h 50 (précises) pour se trouver à Dhuisy à 4 heures pétantes. Jusqu’à présent, cette affirmation paraissait impossible. En effet, il aurait fallu au couple rouler à 159 km/heure pour parcourir les 26,6 kilomètres qui séparent Trilport de Dhuisy… Devant cette énormité, les policiers ont bien été obligés d’invoquer une malencontreuse « erreur de retranscription ». L’heure du démarrage de l’auto a alors été corrigée à 3 h 30 du matin.
Dans la suite de leurs déclarations, les vingt policiers « répartis dans douze véhicules » comme ils l’ont prétendu, auraient positionné la Mercedes, mais en des points contradictoires, sur le lieu du « sabotage », c’est-à-dire le pont ferroviaire de Dhuisy. Mais aucun des policiers présents ne les aurait vus sortir des perches ou poser le moindre crochet. Maître Jérémy Assous, un des avocats du couple, s’est donc permis d’avancer que « si les policiers n’ont rien vu, rien entendu : c’est bien la preuve que Julien Coupat et Yildune Lévy n’y étaient pas et que le PV de synthèse numéro 104 est un faux ». Depuis, Nathalie Turquey, juge d’instruction de Nanterre, a enquêté un an sur la plainte des avocats du groupe de Tarnac pour « faux en écritures publiques » contre des officiers de police judiciaire.
C’est alors que, trois ans et demi plus tard, l’hebdo qui fait « pan sur le bec » vient de révéler un indice majeur, en affirmant que la carte bancaire de Yildune Lévy a été utilisée à 2 h 44 à Pigalle, à Paris, ce 8 novembre 2008, pour retirer 40 euros, loin du lieu de la dégradation que la justice relie à « une entreprise terroriste ». De fait, pour Maître Assous, « cet élément anéantit définitivement la version policière, déjà mise à mal par un grand nombre de contradictions ».

Juste revirement des choses
Naïf, on peut se poser la question de l’arrivée tardive dans la résolution de l’affaire des relevés bancaires de Yildune Lévy. Mais, c’est encore Maître Assous qui présume que ces derniers auraient été exploités durant tout ce temps par les services de la SDAT, qui cherchait à prouver l’achat de tubes en PVC… dans un Bricorama. La recherche s’est révélée vaine et la SDAT ne les a donc transmis au dossier qu’en juin 2012. Alors, pourquoi Yildune Lévy ne s’est pas expliquée en garde à vue à ce propos ? Selon l’analyse défendue par le « groupe de soutien aux inculpés du 11 novembre », tout simplement parce qu’on ne lui a posé aucune question à ce sujet ! De ce fait, l’élément qui devait être à charge, selon les enquêteurs, devient à décharge.
Nous laissons bien volontiers la conclusion de l’affaire au blog du groupe de soutien aux inculpés : « Il est vrai que un an et demi après la nuit du 7 novembre 2008, Yildune Lévy aurait pu se souvenir qu’elle avait tiré 40 euros à 2 h 50 du matin et non à 4 heures. Quelle tête de linotte ! La vérité c’est certainement qu’elle ne s’en est souvenu que lorsque l’extrait de compte fut joint au dossier, et qu’elle put le lire. Bizarrement, l’analyse des mouvements sur ce compte par la SDAT prétendait qu’il n’y avait rien pouvant l’incriminer, c’est-à-dire rien d’intéressant pour l’enquête. Heureusement que nous avons pensé à le regarder en détail, trois ans et demi plus tard. Car aucun juge ni aucun policier n’a jugé bon de s’interroger sur cette pièce qui invalidait toute leur enquête ! »
Et le groupe de soutien d’enchaîner : « C’est donc un drôle de moment dans cette instruction où, après avoir dû démontrer que toutes les allégations de la police étaient fausses, il nous faut maintenant démontrer que la seule preuve matérielle de tout le dossier est vraie ! En somme, il nous faut tout faire ! Si cet extrait de compte avait révélé un retrait de liquide à côté des voies ou à côté d’on ne sait quel magasin de bricolage où personne ne l’a vue, cela aurait été annoncé comme la preuve de sa culpabilité. Elle aurait alors pu dire qu’elle avait prêté sa carte, mais on imagine bien que la police l’aurait accusée de mentir. Ironie d’une instruction purement à charge et prête à tordre le cou à la réalité comme au bon sens pour couvrir les mensonges de la police antiterroriste. »
Conclusion du groupe de soutien aux inculpés du 11 novembre : « Oui, on peut prêter une CB. Tout comme on peut être policier et raconter n’importe quoi. »



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Anarkokorsicus

le 23 février 2013
Une enquête validée, mais toujours pas de procès en bonne et due forme, 5 ans après les faits. Cette affaire est totalement pipeautée depuis le premier jour. Ces jeunes gens n'ont rien d'autre à se reprocher que vouloir vivre librement, en dehors de cette dictature de l'amende, de la surveillance, de ce pays où l'on pratique même la rééducation sociale comme du temps de la glorieuse URSS : stages de sensibilisation aux risques de la route, de citoyenneté, de parentalité, etc... Que ce monde de m... se cassera la gueule, c'est sûr. Et le plus tôt sera le mieux.