L’anarchisme est-il soluble dans l’écologie ? (1re partie)

mis en ligne le 27 septembre 2012
Dans sa lettre publiée dans cette rubrique la semaine dernière, lettre à laquelle je répondrai point par point dans les semaines qui viennent, Javali Negro reproche aux anarchistes à la fois une « hybridation avec les doctrines écologistes fondamentalistes », « leur caractère conservateur et rétrograde » et un « rejet de la connaissance scientifique ». Et me voilà transformé, comme d’autres, en agent pathogène ! D’autant plus que mes premiers combats politiques étaient écologistes et que je n’ai rejoint l’anarchie que tardivement… Cela me fait tout drôle, parce que j’avais toujours pensé que l’écologie était très scientifique. Ci-après, quelques exemples vécus.
Gamin, j’ai brandi des rapports traduits de l’Académie des sciences des États-Unis (1973) qui estimaient entre 5 000 et 7 000 le nombre de morts par cancer par an dans ce pays, sur la base de la dose admissible de 0,17 rem. Le même rapport concluait à une augmentation du taux spontané de mutation de 2,5 à 25 %. En 1969, John Gofman et Arthur Tamplin, directeurs de recherche du Lawrence Radiation Laboratory (Livermore, Californie), avaient annoncé que l’exposition de la population américaine aux 170 milli-rems admissibles causerait chaque année 32 000 morts supplémentaires par cancers et leucémies, plus 150 000 à 1 500 000 morts pour causes génétiques. Ils réclamèrent que les normes de rejets par les installations nucléaires soient rendues 100 fois plus strictes (cité dans L’Escroquerie nucléaire, Stock, 1978).
En face, les « scientifiques » pro-nucléaires répondaient que les aiguilles phosphorescentes des montres aussi étaient radioactives, tout comme le granit. « La radioactivité est naturelle », disaient-ils. Les doses admissibles, forcément infinitésimales dans le cadre de l’exploitation des centrales, ne pouvaient être nocives. Nous répondions « chaîne alimentaire », que de petites doses en petites doses, externes mais surtout internes, car particules ingérées par l’organisme et accumulées, le résultat provoquerait cancers et mutations. Le nombre de cancers que nous constatons en hausse autour de nous actuellement n’est pas une preuve puisque l’Académie de médecine en France continue d’affirmer que la pollution de l’eau, de l’air et de l’alimentation n’est responsable que de 0,5 % d’entre eux. Les enfants malformés de Tchernobyl, d’Irak et ceux à venir du Japon sont-ils des arguments scientifiquement recevables ?
Je me souviens aussi d’un vieux numéro de La Hulotte d’il y a plus de trente ans dédié à la disparition du faucon pèlerin. Il y était savamment expliqué, pour les petits n’enfants, que l’accumulation de DDT et autres insecticides, dès les années 1950 chez les oiseaux carnivores, entraîna une mortalité énorme : coquilles trop fines, molles, morts-nés, etc. Et que, évidemment, tout en haut de la chaîne alimentaire se trouve l’homme. Aussi, bien des années plus tard, ne me suis-je pas étonné lorsque nous avons commencé à entendre parler de la non-fertilité croissante des humains, due à des spermes stériles. Scientifique ?
La non-biodégradabilité du plastique jeté partout, l’absence de recyclage, la dénonciation du gaspillage des ressources, l’élimination des stocks de poissons, l’industrialisation du vivant, la folie des déchets nucléaires… Si on veut, il y en a des pages entières ! Qui avait scientifiquement raison, face aux délires officiels, répétés pendant des décennies à et par des foules lobotomisées ?
Cela étant dit, s’il s’agit de pointer du doigt, chez des écolos, des discours ou des attitudes qui peuvent s’apparenter à une idéalisation de la nature quasi religieuse, pas de problème, ça existe. J’en parle la semaine prochaine. On peut même affirmer que, « au nom de la protection de la nature, on peut la détruire » ; ce n’est pas de moi, mais de François Terrasson, auteur remarquable de trois ouvrages (dont La Peur de la nature, épuisé mais à lire) et qui n’hésita jamais, maître de conférence au Muséum national d’histoire naturelle, à dénoncer la mainmise et la colonisation de la nature par ses « protecteurs ». Ô complexe réalité ! L’ensemble des connaissances humaines sur la nature, l’homme, la société, la pensée, etc., ne se concilie jamais avec des jugements à l’emporte-pièce.