Vers une pédagogie sociale

mis en ligne le 26 janvier 2012
Comment imaginer une pédagogie antisociale ? Et pourtant, nombreux sont les éducateurs, avec ou sans conscience, qui conduisent les enfants (sens propre de « pédagogie ») dans les ornières de la compétition, du savoir dépourvu de sens, vers l’acceptation d’une société de la soumission des uns assurant la domination des autres. Le pari de Laurent Ott, que les lecteurs du Monde libertaire connaissent bien, et de sa Pédagogie sociale 1, titre de son dernier ouvrage, est tout autre. Elle vise en effet tout au contraire à permettre à l’apprenant de s’engager dans les voies et les voix de son développement comme sujet libre, conscients de leur « responsabilité sociale et politique » (p. 24) éventuellement « hors institution ».
Souvent, remarque l’auteur, pour les enseignants, la pédagogie se résume trop souvent à un ensemble de méthodes et de facto « à un élément périphérique de leur pratique […] éducative » (p. 8). En bref, il en ignore tout ou presque, et ce d’autant que, trop fréquemment, « elle souffre d’être enseignée comme un corpus d’idée [comme] une chose morte » (p. 16) et non comme un ensemble de pratiques à toujours réinventer et surtout à partager entre pairs (p. 19).
Après une brève analyse de la critique du « pédagogisme » rythmée par les sorties des « philosophes » de cour, Laurent Ott se propose de redonner à la pédagogie sa noblesse en tentant de la dénicher dans le vaste champ du travail socio-éducatif.
Ce livre est une invitation pour les éducateurs à réfléchir sur la complémentarité du couple éduquer et apprendre, nécessaire à toute transformation individuelle et sociale. Sans cette réflexion salutaire, l’éducateur et l’éduqué s’enferment dans le cycle de la reproduction (p. 30) d’un système social inique. Réflexion qui conduit l’auteur à revisiter quelques classiques de la philosophie de l’éducation, de Platon à Sartre. Puis l’auteur rappelle le rôle de ceux qu’ils nomment les « pédagogues médecins » – Claparède, Decroly, Montessori – et qui firent prendre en considération les besoins de l’enfant pour apprendre comme « un socle fondamental dont toute démarche éducative doit tenir compte » (p. 47) afin de prendre l’apprenant comme un tout et non comme un simple cerveau à remplir, à gaver. Enfin, les pédagogues sociaux entrent en scène : Korczak et l’être en devenir ; Freinet et la coopération ; Freire et l’oppression ; et d’autres moins connus, comme la hongroise Emmi Pikler et son enfant « fort », en possession de sa force vitale, en bref les pédagogues de l’autonomie, de la responsabilité et de l’épanouissement. Suite à quoi, il revisite à grands traits l’histoire de la pédagogie à l’école et de ses modes tout au long du XXe siècle en en critiquant au passage les biais et les régressions « antipédagogiques » (p. 76) successives engagés par l’autoritaire et élitiste Chevènement et qui se poursuivent aujourd’hui.
Le chapitre 5 est à l’évidence le plus intéressant car il engage chaque éducateur, formateur, enseignant à construire, donc à se réapproprier, sa propre pédagogie, « d’oser d’autres pratiques » (p. 99). Il convient alors de lâcher prise, de se faire confiance, de réinterroger les principes voire les poncifs pédagogiques et de travailler dans et avec le milieu (p. 81) en veillant à la mise en œuvre de 7 « règles » pédagogiques de base, plus particulièrement adaptées en milieu socio-éducatif. Dont celle, essentielle, de faire savoir aux « éduqués » et aux apprenants « que nous refusons d’être les instruments de leur répression » (p. 89).
Malgré les efforts de Ott, la définition de la pédagogie sociale reste vague, même si l’expression fut utilisée par Freinet et le concept et les pratiques développés par Helena Radlinska 2 en Pologne dans les années vingt. S’agit-il d’une pédagogie pour le travail social ou est-ce aussi une pédagogie ouverte sur le collectif, favorisant l’initiative sociale et citoyenne, la solidarité, l’expression de soi et la coopération ? Visiblement tout ça à la fois, d’où une relative ambivalence des termes « pédagogie sociale ». Certes, celle décrite par Ott relève du secteur socio-éducatif et s’adresse en priorité à ses acteurs, mais était-ce nécessaire d’utiliser un nouveau qualificatif, celui de « social », accolé à « pédagogie », et ce même si celui-ci trouve une certaine résonnance dans l’histoire de la pédagogie. Innovante, institutionnelle, active, coopérative, libertaire, alternative, autogestionnaire, que sais-je encore, ne suffisait-il pas ? N’était-ce pas assez social ? N’y a-t-il pas là un risque de brouillage bien inutile ? La pédagogie proposée par Laurent Ott est-elle si différente de ces dernières ? La pédagogie du social n’est-elle pas soluble, à l’origine, ou héritière de ces autres courants ? Ce sont les questions qu’il convient de se poser après la lecture de cet ouvrage didactique (trop parfois) mais roboratif et militant où pédagogie rime toujours avec idéologie et société et où il est rappelé avec force que le rôle de l’éducateur est d’agir afin « d’augmenter la puissance et le pouvoir d’agir de ceux auprès desquels il travaille » (p. 40).






1. Laurent Ott (2011), Pédagogie sociale, une pédagogie pour tous les éducateurs, Lyon, Chronique sociale, 12,90 euros à Publico.
2. Il est d’ailleurs dommage que cette référence, que Laurent Ott m’a lui-même soufflée, n’apparaisse pas dans son texte.



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Revue nautre école

le 13 mars 2012
Le nouveau numéro de la revue N'Autre école consacre justement un article de présentation de la pédagogie sociale d'Hélène Radlinska, ainsi qu'un entretien avec Laurent Ott.
A consulter sur le site de la revue :
www.cnt-f.org/nautreecole