Radio libertaire, vous connaissez ?

mis en ligne le 20 octobre 2011
« Radio libertaire ? Oui je connais, c’est la radio des anarchistes. J’écoute pour les chansons… » (Une collègue de travail). « Les anarchistes ? C’est ceux qui font la radio sans dieu, sans maître et sans publicité… (Mon dentiste).
Ces propos parmi d’autres, venant d’interlocuteurs sans préoccupations anarchistes apparentes, ouvrent la porte aux questions que l’on peut se poser sur l’influence, au niveau premier, de Radio libertaire dans la société.
Aujourd’hui, rares sont les auditeurs, même occasionnels, de la bande FM qui ne connaissent pas, ne serait-ce que de nom Radio libertaire. La radio des anarchistes s’est donc faite une place dans l’espace médiatique et dans le public. À quoi cela tient-il ?
Il faut bien se rendre compte qu’en même temps qu’elle devait lutter pour son existence, pour obtenir une fréquence et résister aux appétits des convoiteurs de la bande, Radio libertaire s’est créée avec un ton, un style qui lui sont propres, avec des idées des thèmes, des émissions qui reflètent ses options fondamentales et sa conception de la société.
Ces deux caractéristiques ont lancé une dynamique autour de Radio libertaire et à laquelle participent certains milieux artistiques, culturels et scientifiques.
Sur ces bases il est possible d’analyser ce qui fait de Radio libertaire une radio écoutée et un outil essentiel pour la diffusion de nos idées.

Quelque chose à dire
Puisque c’est la justification première (à notre avis) d’un média tel que la radio (de tous les médias ?), examinons le contenu des émissions. Quelles émissions entend-on sur Radio libertaire ? Tout d’abord la radio permet de commenter à chaud l’actualité immédiate. C’est l’occasion de donner notre point de vue, de faire entendre nos analyses et, pour nous, d’adapter notre réflexion au présent de la société. C’est la fonction « journal » de la radio, avec cet immense avantage de pouvoir s’adresser à un public plus large que celui qui achète le Monde libertaire, mais aussi avec cet inconvénient de taille qui réside dans les possibilités d’accès à l’information dont peuvent disposer les militants et « présentateurs ». La disponibilité de ceux-ci, les obstacles techniques et financiers évidents, expliquent que ce type de message soit encore insuffisamment développé. Mais il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle, les auditeurs qui souhaitent une information qui ne soit pas à la solde d’un parti ou d’un groupe de pression (d’oppression ?) politico-économique, écoutent les commentaires de Radio libertaire. Il n’est pas question pour nous de fournir du « prêt à penser », mais bien de donner les éléments d’une réflexion sans contraintes et surtout de ne pas gober les tirades d’une presse sous influence.
Il y a aussi sur Radio libertaire des émissions à caractère de propagande : par exemple, la mémoire sociale, les émissions syndicales, féministes, antimilitaristes, anticléricales, celles de nos compagnons espagnols ou sud-américains dont les thèmes sont souvent sociaux ou militants, celles sur les prisons etc.
Ce type d’émission est, bien sûr, destiné à développer nos positions, à rappeler l’histoire du mouvement anarchiste, à préciser l’alternative sociale que nous souhaitons, à faire connaître les luttes de nos compagnons… Bref à servir à la formation et à l’information de tous ceux qui s’intéressent à l’anarchie ou à certains des thèmes qui nous mobilisent. Car Radio libertaire est une radio militante, elle a été créée pour contribuer à la propagande anarchiste. Elle est elle-même l’expression d’une lutte. Elle a été, elle est encore un pôle de résistance au rouleau compresseur du pouvoir qu’elle gêne et qui ne désire rien d’autre que bâillonner sa liberté, comme celle des individus et des groupes.
Nous avons des idées, des expériences, une culture à faire connaître. Nous avons à discuter, à débattre, à faire partager et comprendre. La radio nous offre, mieux qu’une publication, la possibilité d’engager le débat, de l’ouvrir auprès de ceux qui n’auraient peut-être pas fait l’effort de dénicher le Monde libertaire chez le marchand de journaux ou de venir à notre librairie pour des ouvrages spécialisés ou pour discuter directement.
Mais outre la connaissance théorique et sa diffusion, la radio est en elle-même un moyen de combat que redoutent d’ailleurs nos adversaires. On l’a bien vu lors des mutineries dans les prisons : Radio libertaire a aussitôt été soupçonnée par les autorités judiciaires et policières d’avoir fomenté la révolte, de l’avoir en quelque sorte « téléguidée ». On nous a réclamé (en vain, faut-il le dire ?) les enregistrements des émissions sur les prisons où s’exprimait le syndicat des prisonniers.
Bien sûr l’intérêt évident de ce type d’émission est d’amener au militantisme. Mais ce n’est pas le seul objectif. Car outre le fait que ce désir est certainement irréaliste, il conduirait par ailleurs à privilégier le discours convaincu et racoleur que nous rejetons chez les marchands de soupe des partis de tous poils.
Ce qui nous importe c’est aussi de susciter l’intérêt et l’adhésion à certaines de nos idées, de faire douter les sympathisants des thèses adverses, de provoquer des interrogations, des dissidences, des remises en cause.
L’autre aspect de Radio libertaire est son côté culturel (qui n’est pas idéologiquement neutre).
Dans le domaine artistique, littéraire, poétique, musical, philosophique, scientifique, on trouve des émissions telles que : Grand angle, Trisomie 21, Le Fou parle… qui ont un auditoire très large et très motivé. C’est que là on peut y entendre ce que l’on n’entend pas ailleurs. Une place a été faite à l’expression non officielle, souvent expérimentale et souvent aussi brimée par le mode de sélection des médias officiels qui décident de ce qu’il faut faire consommer. Passée à la moulinette du système, la culture officielle ressasse à longueur d’ondes, les mêmes rengaines, les mêmes clichés, les mêmes histoires à dormir en dansant.
Nous avons choisi quant à nous, de donner la parole – et le micro – à ceux qui inventent, qui refusent toute complaisance à la mode, au modèle imposé, qui recherchent, qui doutent, et qui n’ont pas la possibilité de s’exprimer. Nous avons choisi de faire connaître des cultures qu’on dit « parallèles » (mais qui seraient bien plutôt « perpendiculaires »), des gens qui n’ont pas obtenu, ni voulu le label standard de la communication destinée à l’usage public. Ceci étant, nous n’avons rien diffusé d’incompatible avec nos positions et nos conceptions générales, mais on imagine mal des créateurs tels que nous les avons décrits, des chercheurs sans certitudes, qui défendraient des théories autoritaires, étatistes, cléricales… Il est clair tout de même, que, pour notre propre cohérence, nos adversaires ne soient pas présents sur notre radio.
Sous cette réserve, s’est développé à Radio libertaire, un ensemble d’émissions touchant de nombreux domaines des sphères culturelles et scientifiques et où sont venus parler des savants (Laborit, Jacquard), des écrivains (Ragon), des plasticiens, des auteurs de B.D., des chanteurs, des avocats, des représentants de mouvements associatifs etc.
Tous ces intervenants ne sont pas des anarchistes. Mais ils ont trouvé sur Radio libertaire un espace indépendant où dire ce qu’ils pensent. Ils y ont trouvé aussi un auditoire, curieux d’autre chose que ce qu’on lui sert ailleurs.
La radio des anarchistes est devenue un pôle d’attraction où tous ceux qui ne trouvent pas la possibilité de s’exprimer par les médias admis, viennent partager le fruit de leur réflexion.
Ce dynamisme autour des thèmes culturels revêt une importance considérable pour notre stratégie militante. Car le but atteint par l’audience de la radio, est bien une modification de la perception de l’anarchie dans la société.
Démarginaliser l’anarchie, donner d’elle une image positive (« ils » ont quelque chose à dire, « ils » construisent, « ils » sont honnêtes), montrer que l’anarchie, telle que nous la pensons et vivons n’est pas une fantaisie à l’usage des adolescents ou une rêverie de poètes ou encore une théorie terroriste qui ne cherche qu’à semer la pagaille sans rien proposer… voilà ce que la radio, par le moyen de son impact culturel, est en train d’accomplir.
En effet, si elle a su gagner un auditoire aussi large, c’est que le public, (très peu enclin à se fidéliser sur une radio), y trouve suffisamment de rigueur et d’intérêt.
D’autre part, si des gens d’horizons aussi divers acceptent de venir s’y exprimer, c’est aussi qu’ils trouvent à Radio libertaire le sérieux et l’indépendance qui garantiront leur crédibilité et préserveront leur liberté de penser. Il faut aussi souligner que Radio libertaire, ce n’est pas seulement le contenu des émissions, c’est un ton, un langage, un style.

La façon de le dire
Sans dieu, sans maître et sans publicité… Alors que les autres radios, dites libres, se sont vendues à des groupes financiers et politiques dès l’instant où, la publicité étant autorisée, la bande FM devenait lucrative, Radio libertaire a choisi de préserver son indépendance et de ne pas accepter d’annonces publicitaires. Ceci implique le non professionnalisme de ses intervenants et la participation des auditeurs à son financement. Cette condition est une de celles qui font le ton de Radio libertaire.
Non que nous cherchions à donner une image d’amateurisme, bien au contraire.
Nous avons toujours voulu privilégier la qualité à la fois sur le plan technique et sur le plan du contenu des émissions. Mais face aux obstacles financiers, c’est bien sûr le contenu qui prime. La radio est l’œuvre de tous ceux qui y croient et non le produit de quelque intérêt économique. Dès lors on comprend qu’il soit plus dur (mais plus motivant) de la faire exister.
De là, nos luttes incessantes, de là notre combativité, notre désir obstiné de résister aux tentatives pour l’empêcher d’émettre, aux saisies, aux empiétements de fréquences, aux destructions. Le public nous a largement soutenu, gagné par notre moral, notre dynamique de combat, et nos succès.
Le refus de toute publicité, comme de toute allégeance à un groupe de pression, nous permet d’éviter toute complaisance envers qui ou quoi que ce soit. Le ton de Radio libertaire n’est pas à la mièvrerie sucrée des obsédés des indices d’écoute, ni au racolage embrigadeur.
Nous avons fait le choix de diffuser dans nos heures d’antenne et dans les interrupteurs d’émissions, des chansons françaises de qualité. Ce choix (qui se justifie par notre volonté de ne pas céder aux modes préfabriquées et d’offrir des interludes qui ne soient pas des matraquages de tubes incompréhensibles aux nombreux non bilingues) marque aussi le ton de la radio, et amène à notre écoute tous ceux qui sont lassés d’entendre, sur d’autre fréquences, et dans tous les lieux, la répétition massive des « succès de l’été ».
Ce style particulier, qui est celui de Radio libertaire et qui est le résultat de son indépendance, a conquis un public, mais aussi trouvé une reconnaissance auprès des autres médias. Il est certain que pour ces derniers, inféodés au pouvoir politico-économique, Radio libertaire constitue une gêne. C’est la preuve qu’elle occupe un créneau, qu’elle s’est fait une place dans l’espace médiatique.
Ceci constitue une avancée considérable pour l’anarchisme, qui voit ainsi se lever le rideau de confidentialité derrière lequel il avait été relégué depuis le siècle dernier.
Beaucoup reste à faire sans doute, en particulier pour améliorer la qualité technique et journalistique des émissions.
Notons aussi que la radio, à elle seule, ne peut tout accomplir : notre travail d’édition, de diffusion, de distribution, contribue au succès de la radio et à élargir l’audience des idées anarchistes. La librairie est un espace où une dynamique s’est créée, comme autour de la radio.
Des initiatives telles que « Théâtre libertaire de Paris » ou des cabarets très proches de nous, constituent des pôles d’attraction qui rendent vivantes la pensée et la pratique anarchiste, accroissent notre notoriété et renforcent notre crédibilité.
En ce qui concerne la radio, nous sommes conscients qu’il faut à présent, non seulement persévérer, mais aussi améliorer, pour répondre aux exigences croissantes d’un auditoire sollicité de toutes parts, et ceci sans rien céder de notre volonté d’indépendance et de notre fidélité à nos principes.

Odile