Une anarcho-syndicaliste

mis en ligne le 23 juin 2011
Il faut bien l’avouer, en dehors des grands personnages historiques « classiques » connus du mouvement anarchiste, je ne connais presqu’aucun militant du passé quand il (ou elle) n’a pas rédigé plus d’une dizaine de gros ouvrages ou qu’il (ou elle) n’a pas mené de combats militaires légendaires. Pourtant c’est injuste de ne pas avoir cherché à les connaître, tous ces militants qui ont consacré tant de leur temps et de leur énergie à ouvrir les yeux et à donner des armes (symboliques) à ceux et celles dont ils ont croisé le chemin. Parmi ces personnes de valeur, ce n’est que récemment que j’ai appris l’existence de Lucia Sanchez Saornil, une femme, une Espagnole, une de celles qui ont vécu la première moitié du XXe siècle et en particulier la guerre d’Espagne dans le camp antifranquiste.
Lucia a commencé sa vie publique avec talent, en écrivant de la poésie et en peignant. Cependant, elle n’était pas une artiste parmi d’autres, en ce qu’elle faisait partie d’un groupe qui réfléchissait à l’art, à ce qu’il devait être, à ce qu’il devait devenir. Déjà son action poursuivait sa pensée. Ouvrière, elle s’est engagée dans le syndicalisme ; consciente des nombreuses formes de domination qu’elle, ses amies et ses amis subissaient, elle était anarchiste. Autant ne pas faire durer le suspense : elle a adhéré à la jeune organisation anarcho-syndicaliste espagnole dont on ne peut se défaire du nom si l’on souhaite connaître l’Espagne de cette période : la CNT 1.
Alors qu’elle affronte les normes conservatrices de la société espagnole de l’époque sur plusieurs fronts, il en est un qu’on ne peut omettre si l’on s’intéresse à la vie de Lucia. Femme et lesbienne, dans une Espagne sérieusement marquée par le déséquilibre des genres – à savoir la domination de la virilité sur la féminité –, Lucia a écrit, crié et a participé à mettre en place un mouvement féministe solide tant au plan de l’action qu’à celui des idées, grâce entre autres à la revue Mujeres libres. Sa lucidité sur la question féministe m’a étonné ; aujourd’hui encore, si peu autour de nous ont compris la place de l’éducation, de la recherche de l’indépendance économique, du ridicule des clichés 2 ou même du fossé qui sépare l’idée de la femme comme objet sexuel de l’idée que les femmes devraient être libres sexuellement (et pas « disponibles ») et libres d’aimer quiconque. Et que dire de la place de la femme dans le mouvement anarcho-syndicaliste !
Cette femme extraordinaire (le mot est adéquat), comment ai-je appris son existence ? En lisant le livre paru aux Éditions du Monde libertaire en mars de cette année, dans la collection « Graine d’ananar ». Guillaume Goutte l’a rédigé et non sans un certain talent : l’ouvrage est remarquablement dense en informations sans être brouillon, agréable à lire sans jamais être mièvre ni tomber dans la vulgarisation facile. Documenté et complété par de sérieuses références et des textes de Lucia Sanchez Saornil, ce petit livre m’a fait découvrir la vie d’une personne exemplaire et a renforcé les idées que j’avais des luttes féministes et anarcho-syndicalistes.

Sigurdur Fjeldsted, groupe Løuise-Michæl de la Fédération anarchiste



1. Voir le hors-série n° 41 (printemps 2011) du Monde libertaire à l’occasion des 101 ans de la CNT espagnole.
2. Voir l’article de Guillaume Goutte du Monde libertaire n° 1614 à propos d’une publicité pour une célèbre marque de personnages en plastique.