L'individualiste : un révolutionnaire à l'état permanent !

mis en ligne le 1 février 1968
Ce n'est pas parce que, en résumé, presque toutes les tactiques révolutionnaires trouvent, grâce à la diversité des tempéraments et des mentalités, de l'écho parmi les individualistes anti-autoritaires que la conception individualiste incarne en soi l'esprit de résistance et de révolte à l'état permanent, continuel. C'est parce qu'en soi, sans aucun emprunt extérieur, la conception individualiste anarchiste contient, implique une attitude de résistance, de légitime défense, de défiance, de combat à l'égard de tout ce qui empiète ou vise à empiéter sur l'autonomie de l'unité humaine, telle que la conçoivent les individualistes. Ce qui caractérise et distingue le véritable individualiste anarchiste – l'individualiste intégral - c'est justement cet esprit d'inflexible résistance, d'irréductible inadaptation. C'est sur la permanence de cet état de résistance et d'inconciliabilité que se basent les revendications individualistes. Aucune concession à l'égard de ce qui perpètre ou perpétue la domination, l'exploitation, la maîtrise, la contrainte, l'obligation, l'obéissance, la soumission, le conformisme n'importe où on les rencontre, voilà le terrain solide, la forteresse inexpugnable où se retranchent les individualistes.
Vaut-il la peine de ressasser qu'au point de vue individualiste il importe peu que ce soit l'autocratie ou la démocratie qui tienne le manche du knout, c'est toujours un instrument de torture. Que la dictature soit exercée par un intellectuel à poigne hissé à la première place par la force des circonstances ou l'enthousiasme des ouvriers, c'est toujours du despotisme…
Dans tous les lieux, à toutes les époques, dans toutes les circonstances, les Individualistes ont l'intention de réclamer des non-individualistes qu'ils se comportent selon le point de vue individualiste – mais ce qu'ils demandent, ce qu'ils veulent, ce qu'ils réclament des non-individualistes, c'est qu'ils les laissent eux, individualistes anti-autoritaires, se conduire, agir, œuvrer, expérimenter à leur guise sans intervenir ou s'immiscer en quoi que ce soit en leur vie ou en leur activité, sous pratique de la réciproque.
En d'autres termes, les individualistes incarnent l'esprit de résistance ou de révolte à l'état permanent par leur attitude de légitime défense, de non-conformisme et de combat vis-à-vis de tout ce qui s'oppose à la réalisation de leurs revendications et à l'expérimentation de leurs aspirations et cela quelle que soit la forme d'organisation ou d'administration des milieux humains où ils évoluent.
On a prétendu que les individualistes se refusent à prendre part ou à apporter leur concours à tout mouvement révolutionnaire dont ils ne sont ni les initiateurs ni les instigateurs. La réponse est qu'il est contraire et on le sait, à la tournure d'esprit individualiste de renoncer d'avance et de parti-pris à coopérer à un mouvement révolutionnaire sous le simple prétexte qu'il n'émanerait pas d'eux. Mais ceci entendu, on leur permettra bien, en présence d'un mouvement révolutionnaire, de se demander quelle fin il poursuit et de ne pas s'en mêler s'il a pour but le rétablissement de la contrainte sociale gouvernementale, légale ou administrative sous un autre pavillon que celui qu'il s'agit de mettre bas.
Il y a des gens qui se découvrent antimilitaristes le jour où on affiche un décret de mobilisation générale ou qui se sentent des âmes d'illégaux le jour où on les condamne à l'amende ou à la prison; il en est d'autres qui se révèlent anormaux le jour où, mariés ils rencontrent un amant ou une maîtresse à leur goût; et asociaux, quand ceux qui les entourent se moquent de leurs infortunes ou d'un défaut de conformation physique. Il y a des gens qui se reconnaissent révolutionnaires le jour où leur propriétaire augmente le taux de leur loyer ou leur patron diminue le prix de leur journée. Les individualistes, eux, nient, rejettent, combattent les différents aspects de la domination ou de l'exploitation, aussi bien quand ils se trouvent dans l'abondance que lorsque la disette est leur partage, aussi bien quand ils n'ont pas à en souffrir directement que lorsqu'ils en sont eux-mêmes les victimes. On comprend aisément qu'avant de se joindre à une action révolutionnaire, ils se préoccupent de la qualité, de la valeur, des desseins de ses instigateurs.
Il est hors de doute que certaines actions révolutionnaires, alors même que leur protagonistes ou leurs initiateurs n'épousent pas les opinions ou les revendications des individualistes, possèdent une utilité incontestable. Spécialement dans le cas de resserrement de la contrainte et de la compression de l'État ou du milieu. Il est évident que lorsqu'en de telles conjonctures l'heure sonne de protester, de regimber, de se rebeller contre les limitations, les barrières imposées à la libre expression de la pensée, contre les lois plus scélérates, plus tyranniques, plus arbitraires que de coutume, contre des procès de tendance ou pour arracher au bourreau, aux juges, à ses geôliers une unité humaine que son activité ou les circonstances de sa condamnation rendent intéressante; il est évident que les individualistes isolément ou groupés, coopéreront à tout mouvement protestataire sans s'inquiéter de son origine. Mais la caractéristique de leur coopération consistera en ce qu'elle sera déterminée quant à l'objet poursuivi et en ce qu'elle prendra fin dès cet objet atteint.

E. Armand