Fermez les asiles

mis en ligne le 18 novembre 2010
Jacques Lesage de La Haye et les éditions du Monde libertaire nous proposent une deuxième édition de La Mort de l’asile, un ouvrage consacré à l’histoire des luttes contre l’institution psychiatrique, véritable enclave totalitaire. Cette deuxième édition de La Mort de l’asile « revue et corrigée » comporte de nouveaux éléments qui apportent une toute nouvelle dimension à ce livre. Ces suppléments complètent et illustrent le récit, et donnent assurément plus de poids à l’histoire de l’antipsychiatrie. Ils nous montrent, par exemple, comment ces idées ont été mise en pratique avec les patients de l’hôpital de Ville-Evrard. En effet, des photos ont été ajoutées et permettent de se mettre dans l’ambiance de l’hôpital : la musicothérapie où l’on voit l’auteur avec une patiente qu’il a suivie pendant vingt-deux ans ; l’expression corporelle, avec deux exercices, la chaîne et la petite bascule ; dans cette deuxième figure, on voit Patrick, artiste, qui a travaillé huit ans avec Jacques Lesage de La Haye, se laisser aller dans les bras d’un psychologue stagiaire, Charles Taverny (aujourd’hui analyste reichien), sous le regard d’une autre psychologue stagiaire, Adeline Verecchia (également analyste reichienne maintenant) ; enfin, nous avons des images d’un concert avec un groupe de rock (les Zobstinez). Comme illustration de l’esprit de l’ouvrage, nous trouvons, placée en exergue, la phrase clef de Robert Castel : « N’en déplaise aux technocrates, une institution n’est pas une entreprise dont la réussite se mesure à la seule rentabilité » (L’Ordre psychiatrique). On y trouve également les remerciements au docteur Gérard Guasch (médecin psychosomaticien et concepteur de l’analyse reichienne), à Marie- France Médana (analyste reichienne spécialisée dans le massage circulatoire-énergétique) et Gilbert Léon (conservateur du Musée national de la psychiatrie). Et, enfin, une bibliographie très étoffée complète cet ouvrage et atteste de près de quarante années de recherche de l’auteur.
Dans son livre, Jacques Lesage de La Haye ne retrace pas seulement l’histoire des idées alternatives à la psychiatrie et des luttes qui les ont portées, il nous rend également compte d’un combat enragé pour la liberté. À travers ses rencontres avec les patients de l’hôpital, l’auteur nous amène à cette évidence que rien n’est plus thérapeutique que le respect, la considération, la parole et la liberté de l’autre. Il apparaît que l’institution psychiatrique n’a pas compris ce principe humain élémentaire puisqu’elle fait des femmes et des hommes qu’elle accueille des objets d’études et des « rebus » de la société. En définitive, nous constatons que les gestionnaires de l’asile, dotés des meilleurs moyens et des théories les plus avancées sur la folie, ne garantissent, en réalité, que la pérennité de l’hôpital et la paix sociale. Mais à quel prix ? Trop souvent au prix de l’exclusion, de l’arbitraire et des abus que véhicule l’enfermement.
Ce récit politique auquel nous invite l’auteur nous permet de voir à quel point il est difficile de bousculer les habitudes et de faire entrer la vie dans des espaces mortifères. La mise en place de loisirs, d’activités, de sorties et d’ateliers comme « la musique » (où les patients dansaient) ou « le yoga » fut, pour l’auteur, le moyen de briser les murs de l’asile, de sortir des psychiatrisés de l’anéantissement psychologique et social, et de permettre que s’exprime la plus naturelle des manifestations, celle de la vie. Mais, cela ne s’est pas fait sans mal. En s’engageant dans ces alternatives, Jacques Lesage de La Haye (comme tous ceux qui ont porté les idées de l’antipsychiatrie) a dû faire face à l’adversité, à l’inertie, aux préjugés, aux abus de pouvoir et aux attaques les plus virulentes de la part de l’institution et de ses gardiens. À travers ce combat pour la vie et la liberté, l’auteur nous montre bien comment l’état, en ayant systématiquement recours à l’enfermement et la camisole chimique, écarte et fait taire tous ceux qui dérangent ou représentent un danger pour la société. Pourtant, la voix des « internés » a su se faire entendre maintes fois, ce qui a permis, entre autres, la rédaction d’une charte remarquable (« la charte des internés ») qui figure à la fin de l’ouvrage.
Si l’hôpital psychiatrique ferme ses portes aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il y a eu une révolution sociale. Il ferme pour des raisons purement économiques. En revanche, la pensée qui a donné naissance à cette institution et, au « délire sécuritaire » que nous connaissons actuellement, domine toujours. Aussi, si nous ne voulons pas d’un monde cloisonné, compartimenté, contrôlé, asilaire, normatif, coupé de l’autre, battons-nous pour porter au plus haut l’étendard de la liberté. Ce combat est toujours à mener. Le chemin militant déjà parcouru, décrit dans La Mort de l’asile, ne peut qu’étayer et encourager notre féroce détermination à mettre fin à toutes formes d’enfermement. Solidarité et révolution, sont les deux fondements de la thérapie que Jacques Lesage de La Haye a pratiquée tout au long de sa carrière pour abattre les murs de l’asile. À nous de les reprendre à notre compte et d’œuvrer pour la destruction de toutes les prisons et la construction d’un monde plus libertaire.

Pascal Matrat