« L’exemple à suivre, c’est France Telecom »

mis en ligne le 22 avril 2010
Comme le souligne un titre du Monde, le mouvement des cheminots débuté le 6 avril constitue sans aucun doute un tournant social dans l’histoire de la SNCF. Alors que la grève se poursuit et vient d’entrer dans sa troisième semaine, la direction, par sa stratégie de refus d’ouvrir des négociations nationales, s’est lourdement trompée sur la détermination des cheminots. Ainsi, après une première semaine où les roulants (conducteurs de trains et contrôleurs) se trouvaient les plus investis dans la grève, la CGT ayant posé des préavis différents entre les catégories de cheminots, reconductible pour les roulants et limité à 24 heures pour les autres services, le mouvement s’est élargi notamment aux ateliers du Matériel mais également aux guichets, chez les administratifs, les aiguilleurs…
Dès le 6 avril, Guillaume Pépy martelait dans les médias qu’il ne négocierait pas pendant la grève, pariant sur une reprise du travail après deux jours de grève, puis il proposa aux syndicats l’organisation d’un table ronde le 21 avril, celle-ci étant conditionnée à l’arrêt de la grève et à la reprise normale du trafic. L’ordre du jour imposé par le patron aborde notamment les conditions d’affectation des agents SNCF dans les filiales privées alors qu’une des principales revendications exprimées est l’arrêt des filialisations et du démantèlement du service public de transport de fret et de voyageurs ! Puis la direction, complaisamment reprise par les médias, a annoncé chaque jour pour le lendemain le retour progressif à un trafic normal alors que dans de nombreuses régions près d’un quart seulement des trains circulent réellement (TER signifiant Transport express régional et non pas Train express régional, un bus circulant sur une liaison TER et remplaçant un train supprimé est compté comme une circulation qui roule).
Devant l’attitude provocatrice de la direction, refusant l’ouverture immédiate de négociations et les fixant 15 jours après le début de la grève, niant la réalité et l’impact du conflit et annonçant des plans de transports mensongers aux usagers, les cheminots dans leurs assemblées générales ont su maintenir et élargir petit à petit le rapport de force même si selon les services et les régions le mouvement s’avère inégal. C’est sur cette faiblesse que la direction tente désormais de s’appuyer pour essayer de diviser le mouvement par région, par métier et par syndicat dans le but de détacher les secteurs les plus mobilisés.
Cette grève marque également une rupture dans l’histoire de la SNCF, la relation historique et privilégiée qui liait la direction et la CGT dans une forme de cogestion depuis des décennies s’est brutalement terminée ici. Alors que depuis la création de la SNCF aucune décision importante n’était prise sans consulter le syndicat majoritaire qui en contrepartie de cette reconnaissance a su démontrer à plusieurs reprises son rôle de syndicat « responsable » et sa capacité à « encadrer » les cheminots. Jusqu’à aujourd’hui, jamais la direction n’avait fermé la porte à la CGT et ce, même dans les conflits les plus durs et les plus longs où les négociations plus ou moins officielles avaient toujours cours. C’est dans la récente loi sur la représentativité syndicale et la nouvelle stratégie de Guillaume Pépy dont la feuille de route a été rédigée par Sarkozy que se situe l’origine de cette rupture sans précédent. Ainsi la SNCF mise désormais sur la constitution d’un pôle syndical d’accompagnement autour de l’UNSA et de la CFDT qui recrutent essentiellement chez les cadres et agents de maîtrise, qui, avec l’évolution démographique et la suppression de dizaines de milliers de postes sont devenus plus nombreux à la SNCF que la catégorie des personnels d’exécution. L’attitude de la Fédération CGT des cheminots, déstabilisée par cette rupture sans précédent dans les relations sociales explique en grande partie la poursuite de l’appel à la grève reconductible avec SUD-Rail, ce qui pouvait relever de la science-fiction il y a encore quelques semaines.
Alors que la grève entre dans sa troisième semaine, l’enjeu se situe toujours dans le renforcement, l’extension et la radicalisation du mouvement pour contraindre la direction à ouvrir le plus rapidement possible des négociations nationales sur la base des revendications exprimées par les cheminots. Seule l’unité des cheminots, à la base, dans les assemblées générales, peut garantir le maintien et le renforcement de cette grève et seule l’unité des cheminots dans la grève pourra contraindre le patron à répondre aux revendications nationales et faire échec aux tentatives de division et de morcellement du mouvement.
Une issue victorieuse à la lutte des cheminots constituerait non seulement un coup d’arrêt à la casse du service public mais aussi et surtout un signal très fort envoyé aux puissants, aux gouvernants, mais également au monde du travail qui n’en finit plus de s’en prendre plein la gueule alors que se profile rapidement à l’horizon un nouveau combat sur la question des retraites. Le patronat et l’État le savent bien et ceci explique la dureté de cette grève à la SNCF.