Refusons toutes les violences, y compris celles de l’État

mis en ligne le 12 mars 2015
Après l’horreur que nous avons vécue, les Français, comme beaucoup de gens à travers le monde, se sont unis pour manifester leur indignation, leur refus de la peur et de la barbarie et leur respect de la liberté. Main dans la main, le peuple, les États, les forces de sécurité ont montré qu’ils étaient unis face à l’inacceptable. Comme cela s’est beaucoup dit, la république s’est élevée contre le terrorisme, le djihadisme, l’islam radical et tous les extrémismes.
Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que c’est bien au nom de cette même république, à travers ses classes politiques, que se banalisent et se diffusent les propos de l’extrême droite. Que c’est bien au sein de cette république que nous avons vu fleurir la Manif pour tous avec son cortège d’intolérance et de nationalisme. Que c’est bien cette république qui sécrète tant d’inégalités sociales et économiques. Que c’est bien cette république qui discrimine, rejette, abandonne, réprime, punit les plus démunis, les plus pauvres, les plus fragiles. Rappelons-nous cette phrase de Proudhon qui dit : « La république n’est qu’une monarchie déguisée. »
J’ai vu tant d’êtres humains me raconter la même histoire. France « terre d’accueil » leur a-t-on dit ! Eux, qui ont vu leurs parents se faire exploiter pour des salaires de misère et se tuer au travail. Eux, qui ont connu la pauvreté et le dénuement. Eux, qui n’ont pas eu la chance d’être soutenus dans leur scolarité, intellectuellement, moralement, matériellement. Eux, qui pour beaucoup ont connu une éducation sévère, maltraitante, ou encore, qui en ont été dépourvus. Eux, qui ont connu le monde de la rue. Eux, qui ont été installés dans nos ghettos urbains. Eux, qui livrés à eux-mêmes n’ont pu s’appuyer que sur leurs frères de galère et de misère. Eux, qui ont cherché à survivre à tout prix alors que tout près d’eux certains avaient tout le confort nécessaire et d’autres, la richesse. Eux, a qui tous les médias ont fait croire que l’argent pouvait faire le bonheur. Eux, qui ont connu l’échec et l’exclusion du système scolaire. Eux, qui ont connu trop tôt les commissariats, les bureaux des juges et les tribunaux. Eux, qui se sont vus discriminés à l’embauche parce que pas assez blancs et trop délinquants. Eux, a qui l’on a sans cesse signifié par nos codes, nos normes, nos peurs de l’étranger, nos ethnocentrismes, qu’ils étaient des indésirables, des irrécupérables. Eux, à qui nous avons infligé tant d’années de prison. Eux, à qui nous avons ajouté de la peine à la peine. Eux, que nous avons punis pour avoir voulu survivre à n’importe quel prix. Eux, qui doivent vivre avec tous ces stigmates de l’exclusion, de l’enfermement et du jugement. Eux, qui payent aujourd’hui, non pas pour les déboires d’un jour ou d’un moment mais, pour une vie entière de galères. Eux, qui ont trop souvent crevé dans la misère et la violence. Comment ces femmes et ces hommes peuvent-ils se sentir aimés et considérés par notre société ? Est-ce à ces femmes et à ces hommes de demander pardon pour leurs fautes et de payer pour elles ? Qui a vraiment joué son rôle dans tout ça ? La famille ? L’école ? La société ? Le monde du travail ? Les partis politiques ? Et que sais-je encore ? Ce qui est certain c’est que les services sociaux, la justice, la police, la prison, eux, ont joué leur rôle. Eux, ont bien été là… Ne pourrions nous pas, plutôt que de redoubler de suspicion, saluer toutes ces femmes et tous ces hommes qui, malgré tous ces vécus, ne sont pas devenus des Merah, des Coulibaly ou des Kouachi. Au final, quel est le message renvoyé par notre société ? Est ce le suivant ? « Quand tu es dans la merde, ne compte pas sur moi et surtout, pense bien à fermer ta gueule ! »
Certes, nous pouvons tous nous accorder sur le fait qu’aucune souffrance ne peut légitimer le recours à la violence. Mais, je fais partie de ceux qui souhaitent qu’au lendemain de ces événements tragiques nous parlions plus d’égalités sociales que de sécurité. Je souhaite que tous ceux qui ont été abandonnés par notre société, et particulièrement les plus jeunes, soient abreuvés par d’autres discours et d’autres valeurs que celles des illuminés, des radicaux, des intégristes et des extrémistes de tous poils. Extrémistes sur lesquels la plupart des politiciens font reposer la faute pour se dédouaner de leurs responsabilités. Je fais partie de ceux qui souhaitent que la mobilisation sans précédent qu’a connu notre pays ne soit pas un chèque en blanc donné aux politiciens pour nous servir le seul discours de l’ordre, de la sécurité, de la psychose et du paternalisme infantilisant. Nous entendons de ci, de là nos politiciens qui y vont de leur discours sécuritaire. Les uns veulent le retour à la double peine (Fillon), les autres souhaitent que l’on abandonne certaines de nos libertés et de nos droits au nom de la sécurité (Claude Guéant), ou encore, que soient multipliés les recours à la vidéo-surveillance et à la cyber-surveillance. Il y a aussi ceux qui souhaitent le retour du service militaire et, plus de policiers, de gendarmes et de militaires dans nos rues. Et puis, il y a ceux qui souhaitent que soit créés en prison des quartiers réservés aux intégristes. Et pourquoi pas rétablir les QHS pendant que nous y sommes ? Écarter les plus radicalisés du reste de la population carcérale ne fera qu’accentuer les tensions en désignant des boucs émissaires et des martyrs. De plus, cela ne réglera pas le problème de ceux qui sont en manque d’opportunités, de valeurs, de reconnaissance, d’assurance, d’équilibre et de sécurité intérieure. Ceux qui ont toujours rencontré le mépris et l’indifférence sont souvent les plus en proie au mépris de la vie. Quand on nous a longtemps fait comprendre que notre existence, notre identité n’avaient aucune valeur, la vie des autres finit également par ne plus en avoir. Oui, rien ne justifie la violence. Mais, rien ne justifie non plus la violence ordinaire de l’État.
Le combat d’aujourd’hui n’est pas politicien, il est politique. Il est celui de chacun dans son quotidien, dans son environnement immédiat, dans son quartier, dans sa ville. Si nous avons été Charlie, c’est parce que Charlie est sans concession avec l’extrémisme religieux et le pouvoir étatique. C’est parce que Charlie, en tant que libertaire, défend la liberté, envers et contre tous. Les 4 millions de personnes qui ont battu le pavé le dimanche 11 janvier ne doivent pas se dessaisir de leur voix, de leur détermination, de leur engagement et de leur esprit critique, pour s’en remettre aveuglement aux décisions de l’État. Car, si l’État incarne aujourd’hui la place du sauveur face aux bourreaux de l’extrémisme, il va vite y trouver là, l’occasion et, plus encore, une justification pour restreindre un bon nombre de libertés. Comment concevoir alors la défense de la liberté par la restriction des libertés ? Quand demain nos libertés seront menacées par cet État sauveur, y aura t-il toujours 4 millions de personnes dans la rue pour les défendre ?
Il y a une phrase qui s’inscrit dans le sens de ce propos et qui le résume à coup sûr. Une phrase qui prend tout son sens aujourd’hui, c’est tout simplement : ni dieu ni maître.

Pascal
émission « Ras les murs » sur Radio libertaire