Projet de loi relatif à la santé : quand l’État étend son contrôle via la « démocratie sanitaire »

mis en ligne le 22 janvier 2015
1762HopitalLe projet de loi relatif à la santé présenté par Mme Touraine en Conseil des ministres en octobre 2014 devait être discuté au Parlement début 2015. Mais vu l’ampleur du projet et les grognements de quelques lobbys médicaux, cela se fera plutôt au printemps. Il reste donc un peu de temps pour savoir ce qui se trame à propos de nos corps et sur l’organisation des soins. Il reste un peu de temps pour réagir avec révolte et organisation contre cette énième usine à gaz 1.
Deux cent trente-deux pages de charabia technico-administratif qui développe trois grands axes aussi larges que douteux : « Prévenir avant d’avoir à guérir », « Faciliter la santé au quotidien » et « Innover pour consolider l’excellence de notre système de santé ». En reprenant ainsi ces trois axes, force est de constater que rien ne change sur le fond. C’est la même soupe ultralibérale servie par un État fort qui surveille, veille, gère, contrôle et punit si jamais vous ne prenez pas bien soin de vous. C’est le même pain capitaliste dont l’État favorise la fabrication en quantité industrielle, en changeant un peu la forme, pour introduire encore des technologies dans nos quotidiens et continuer la programmation de nos vies en nous incitant à consommer toutes sortes de marchandises de bien-être (marché plus rentable que celui du luxe), de prévention (vaccination, autodépistage) ou d’informations sélectives et relatives à la sacro-sainte santé. C’est enfin le leurre de la « démocratie sanitaire » qui responsabilise davantage les individus pour masquer l’autoritarisme toujours plus fort des administrations et des technocrates.

Mieux vaut prévenir que guérir ?
Le proverbe « mieux vaut prévenir que guérir » rappelle la médecine traditionnelle chinoise qui rendait le médecin payant uniquement pour la prévention et jamais pour la guérison, qui elle-même était signe d’échec pour le médecin. Mais la prévention occidentale n’a rien à voir avec tout cela. La preuve avec ces quelques exemples que les décideurs veulent imposer :
– L’indication sur une boîte de conserve cancérigène d’une « information nutritionnelle synthétique, simple et accessible par tous », tout en faisant un clin d’œil aux lobbys de l’industrie agroalimentaire et en faisant passer cela comme une mesure de prévention sanitaire.
– La punition des individus (15 000 euros d’amende et un an de prison), qui, déprimés du présent sinistre qu’on leur impose, s’en remettraient, le temps d’une nuit, à une alcoolisation massive (binge drinking).
– La déconsidération abjecte des personnes incarcérées, car, « ensuite, la politique de réduction des risques sera poursuivie, notamment à l’attention des personnes détenues ». Autrement dit, rien à foutre des personnes détenues qui croupissent dans les taules et qui ne méritent pas d’avoir une seringue propre pour se piquer.
D’ailleurs, en parlant de seringue, rien ne semble indiquer une motivation à affronter les forces réactionnaires et débiles qui ne veulent pas de salle de shoot.
Le ministère de la Santé fait dans le facile, comme le fait de s’attaquer au tabagisme en modifiant le packaging des paquets de clopes. Cela ne change strictement rien, comme le montrent les Australiens qui achètent depuis quelque temps des cigarettes dans des paquets dits neutres (?) à 14 flèches les 20 tiges.
Donc la prévention du gouvernement est surtout et encore de la responsabilisation individuelle. En appuyant et démultipliant les quantités d’infos sur le moindre élément de l’environnement ou de nos corps (qualité de l’air, nutrition, bilan sanguin…) ainsi que les effets de forme (packaging, sanction…), l’individu se retrouve envahi par la mesure et la culpabilité. Et penser constamment à mesurer produit des pensées obsessionnelles et paranoïaques. Quant à la culpabilité, elle entraîne désespoir et impuissance. Et cela d’autant plus quand ça commence dès la petite enfance avec le renforcement de la médecine scolaire (mesure du QI, manger sainement, mesure de l’hyperactivité…) et la désignation d’un médecin traitant pour les enfants (pour que soit mesuré le nombre de consultations, si les vaccinations sont bien faites…).

Faciliter la santé au quotidien
« Faciliter la santé au quotidien », c’est aussi une autre manière d’inciter à la consommation et au repli sur son nombril d’angoissé de la mort. La mesure phare : la suppression du tiers payant (supprimer l’avance des frais de la consultation chez le médecin généraliste).
En réaction, quasiment tous les syndicats de médecins généralistes ont appelé à la grève pendant les vacances de Noël qu’ils doivent tous plus ou moins prendre à l’accoutumée… Ce qui permet de donner des taux de gréviste assez élevés 2.
Même l’Ordre des médecins, pourtant particulièrement proche de l’appareil étatique, se met en rogne en envoyant un courrier exceptionnel à chaque médecin pour dire à quel point ce projet est mauvais pour la profession avec sa tendance à la « fonctionnarisation », mais sans les avantages.
À y regarder de près, un argument du corps médical ne peut laisser indifférent les lecteurs et les lectrices du Monde libertaire : l’étatisation de la médecine. En effet, en supprimant le tiers payant, l’État fout davantage son nez dans les affaires des médecins libéraux via l’Assurance-maladie. Autrement dit, le pouvoir médical en prend un coup au profit du pouvoir étatique. Mais, en contrepartie, que ce soit au niveau de la naissance (et de toutes les joyeusetés technologiques qui vont de plus en plus avec) ou de la mort (avec la thanatocratie, c’est-à-dire ces médecins qui peuvent donner la mort un peu en fonction de leurs envies), le pouvoir médical n’a pas à se plaindre.
Mais les médecins généralistes ne sont pas contents, car en plus d’une surcharge de travail administrative (vérifier que les 500 à 600 mutuelles existantes sur le marché leur remboursent bien les consultations), ils ne pourront plus empocher 23 euros avec des consultations où il y a juste une simple piqûre dans la fesse à faire. En effet, les vaccins pourront être réalisés par des pharmaciens ou des sages-femmes. Au final, les toubibs petits-bourgeois rouspètent, car ils craignent de gagner un peu moins de 6 800 euros par mois et de travailler un peu plus 3. Et les plus insolents d’entre eux osent même foutre tout ça sur la gueule des patients en disant que, s’ils n’ont plus à avancer les frais de la consultation, ils risquent de consulter davantage pour des broutilles ! Mais l’État est confiant, notamment parce que l’Union européenne est derrière lui avec 24 pays sur 28 qui pratiquent déjà le tiers payant.
On retrouve aussi dans ce chapitre des choses particulièrement… novatrices, comme le « GPS Santé ». Cet objet va sans doute permettre de pouvoir enfin se retrouver dans les couloirs des énormes entreprises que sont les CHU ! Et qui n’ont pas fini d’être labyrinthiques (nous allons y revenir…), entre autre parce qu’ils risquent de comporter un « service public d’information en santé ». De la bonne information capitaliste pour dire qu’il faut tous se faire vacciner, que le nucléaire c’est pas dangereux et que fumer c’est pas très bien… Finis les sermons patriarcaux des vieux mandarins, ce seront des hôtesses qui vous expliqueront pourquoi c’est mal de refuser les soins. Cet axe « permet » également l’action de groupe en santé. Merci de cette permission, c’est vrai qu’il faut toujours la demander auprès des services concernés avant de se mettre en colère !
Toujours au chapitre illusion, il y a la « participation des usagers aux décisions dans les établissements de santé ». C’est donc ça la « démocratie sanitaire » qui permet de choisir la couleur des murs des chambres ? Au chapitre inutile, on a la création d’un nouveau « numéro d’appel national pour joindre un médecin aux heures de fermeture des cabinets médicaux ». Et, enfin, certainement pour s’excuser auprès des pauvres « sans-dents » et de leurs comparses fauchés (bigleux et autres bouchés), il y aurait une extension des « tarifs sociaux pour les lunettes, les prothèses auditives et les soins dentaires ».

L’excellence de notre système de santé…
Le troisième axe, au titre excessivement modeste (« Innover pour consolider l’excellence de notre système de santé »), s’attaque notamment au service public hospitalier. En novlangue, « innover » signifie faire des économies. Donc le classique du moment c’est de regrouper tout un tas de choses qui ont bien souvent peu de rapports les unes avec les autres. On regroupe des formations (uniformisation des compétences et des savoirs), des achats (uniformisation des instruments et des pratiques) et évidement du personnel à qui sont fournis des « guides de bonnes pratiques » afin qu’ils suivent bêtement les protocoles.
Pour piloter tout ça, ce sont évidemment les agences régionales de santé (ARS) de chaque région qui sont à la manœuvre. Ces genres de préfectures sanitaires et sociales risquent de n’avoir plus qu’un seul et unique intermédiaire, à savoir le CHU de la région. En créant une nouvelle entité de pouvoir géographique (les groupements hospitaliers de territoire) sur des espaces toujours plus grands, les ARS renforcent leur autoritarisme et se servent des CHU pour décider de la politique de santé et contraindre les petites structures sanitaires des coins moins peuplés.
Concernant l’innovation en tant que telle, on peut dire qu’il y en a tout de même une qui, depuis le temps, risque de voir le jour prochainement. Il s’agit du dossier médical informatisé ou « carnet de santé électronique » pour faire moins peur. Le gouvernement l’appelle désormais « dossier médical partagé » à la place de « dossier médical personnel ». Et c’est plus juste ainsi, car votre vie médicale ne sera plus du tout personnelle, mais bel et bien partagée par tout un tas de « professionnels » dont vous n’aurez probablement jamais vu le blanc des yeux… Quant au lien avec les autres administrations (Pôle emploi, assurances privées…), rassurez-vous, c’est l’Assurance-maladie qui gérera tout ça, avec la bénédiction de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) ! Tout cela semble encore assez confus et il est possible (peut-être dans un premier temps) que l’on vous demande votre accord avant de ficher et de balancer votre histoire de vie médicale à tout le monde.
Bref, ce projet de loi santé, c’est la poursuite de la destruction de ce qui reste comme soins de confiance et de proximité et c’est la continuité de la casse du service public. C’est la suite logique de la loi Hôpital santé patient territoire (HPST) posée par le gouvernement antérieur via Roselyne Bachelot. C’est le prolongement de la soumission à l’autorité technobureaucratique et c’est l’extension de l’asservissement à toujours plus de technologie dans nos rapports aux autres et au monde. Et c’est des faux-semblants, des chausse-trapes et des mirages de la part d’un gouvernement qui se fait passer pour socialiste, mais qui assoit un peu plus la mainmise de la classe dominante sur nos existences en restructurant l’État.
Il va donc falloir se serrer les coudes, s’assurer entre nous de bonnes relations. Garder force, courage et détermination pour continuer à lutter contre toutes ces mesures qui n’agissent que sur les conséquences et jamais sur les causes. Pourquoi il n’y a rien sur les causes des maladies ? Pourquoi pas un mot sur la souffrance au travail ? Pourquoi rien non plus sur les pollutions industrielles, sur la dislocation des liens sociaux ou sur la mort ? Il nous faut pousser les salariés de la santé vers le syndicalisme de combat, acculer les médecins libéraux à prendre position non pas en faveur de leurs petits intérêts corporatistes mais en notre faveur, créer de véritables alternatives de santé dans nos quartiers, dans nos villages et vivre, vivre et vivre libres.

Groupe Sanguin de la Fédération anarchiste




1. Les bouts de phrase ou les mots en italique dans le texte ont tous un rapport direct avec le projet de loi santé du ministère de la Santé (source : le dossier de presse « projet de loi santé », établi par le ministère lui-même).
2. Par exemple, l’Union syndicale des médecins de centres de santé et le Syndicat de médecine générale n’appellent pas à la grève et l’ont clairement fait savoir.
3. Mais les différences sont grandes, car il y a tout de même un quart des médecins généralistes qui gagnent moins de 3 000 euros par mois.