Avortées clandestines

mis en ligne le 15 janvier 2015
Le 15 janvier 2015, à deux jours des 40 ans de la loi autorisant l’avortement, les éditions du Mauconduit publient un livre de Xavière Gauthier : Avortées clandestines. Xavière, chercheuse au CNRS, a signé de nombreux ouvrages dont Surréalisme et sexualité (Gallimard, 1971), Les Parleuses avec Marguerite Duras (Editions de Minuit, 1974), La Vierge rouge, biographie de Louise Michel, et Je vous écris de ma nuit, correspondance générale de Louise Michel (éditions de Paris, 1999), Naissance d’une liberté – Contraception, avortement : le grand combat des femmes au XXe siècle (Robert Laffont, 2002 et J’ai lu), et aussi Rose saignée, La féline (éditions des Femmes, 1974, et 2004), Le Lit-clos et autres récits d’amour (Belfond, 1988), L’Herbe de guerre (Syros, 1992) ou encore La Hague, ma terre violentée (Mercure de France, 1981), cette terre où elle est née et qui est massacrée.
« Je me demandais comment certains avaient voulu, sciemment voulu, que des êtres humains de sexe féminin souffrent autant, comment certains les avaient torturées à plaisir, abandonnées, écrasées de leur mépris ! Tant de douleur ! Tant de désespoir ! Une nuit, j’ai rêvé que mon sexe saignait, saignait… tandis qu’un couple de mes amis, catholiques fervents, bavardait auprès de moi. Je tentais de leur crier le mot : fausse couche, mais ils ne voulaient pas comprendre. Et je saignais… »
Avortées clandestines, ce sont les paroles de femmes qui parlent aujourd’hui parce que Xavière a su les écouter. Elles avaient 20 ans quand il était illégal d’avorter, dans les années 1960. Elles sont survivantes des avortements clandestins qui tuaient une à dix femmes par jour, en France. Ces témoignages de douleur, de peur, de culpabilité aussi sont essentiels pour que « les jeunes générations mesurent la valeur de la légalisation de l’avortement et se mobilisent contre le retour de cette barbarie ». Cet ouvrage poursuit celui qu’elle avait écrit en 2002, Naissance d’une liberté
« Quels objets les femmes s’introduisaient-elles dans le col de l’utérus ? Les plus utilisés étaient les instruments de travail ou de beauté féminins : l’aiguille à tricoter, la baleine de parapluie ou de corset, l’épingle à cheveux. Tout ce qui passait quotidiennement entre les mains des femmes, dans la première partie du XXe siècle. Puis, lorsque les modes et les travaux ont changé, on trouva aussi des bigoudis, des scoubidous, des tuyaux d’aquarium, des piques (que les vendeuses utilisent pour marquer les prix). Certaines achetaient au noir des tuyaux de perfusion. Et toujours : des ciseaux, des fourchettes, des branches d’arbre, des tiges de lierre ou de persil, des os de poulet, du fil de fer, du fil électrique, un bout de bois. Tout ce qui tombait sous la main et qui pouvait s’enfoncer. De la tricoteuse à la secrétaire, les femmes détournaient leur outil de travail… »
Et pendant ce temps les Beatles et mai 1968. C’était hier. Comment comprendre ? Il fallait raconter cette histoire. Merci Xavière pour ces 50 000 femmes qui meurent chaque année aujourd’hui dans le monde. Merci aussi pour les générations qui ont souffert et craint. Merci encore pour les générations qui n’ont pas connu ces atrocités et qui, si elles défendent avec énergie et combativité les droits des femmes, pourront les étendre à terme sur tous les continents.