Intermittents et précaires : la grève, rien que la grève

mis en ligne le 18 juin 2014
Depuis la conclusion, le 22 mars 2014, de l’accord sur l’assurance chômage (signé par le Medef, la CFDT, la CGT-FO et la CFTC), les intermittents du spectacle et les précaires (intérimaires, travailleurs à activité réduite, seniors) se mobilisent pour qu’il ne soit pas agréé par le gouvernement « socialiste ». Commencé par des manifestations, des assemblées générales régulières et des occupations diverses (principalement d’agences Pôle emploi), le mouvement s’est radicalisé ces dernières semaines en ayant recours à la grève pour intensifier la pression en cette période estivale où les festivals sont légion dans l’Hexagone. Et ces travailleurs, en activité ou au chômage, n’entendent pas baisser les bras de sitôt.

Prendre aux pauvres pour donner aux riches
Il faut dire que ledit accord, conclu en quinze minutes après douze heures d’interruption de séance (autrement dit élaboré dans les couloirs, sans réelle négociation), s’attaque violemment à l’indemnisation des intermittents et des précaires pour financer le prétendu déficit de l’Unedic : plus de 70 % des intérimaires verraient ainsi désormais leurs revenus baisser d’en moyenne 300 euros par mois 1. Une saignée qu’ils devraient accepter sans broncher, quand le patronat, lui, se voit gratifié de plus de 800 millions d’euros d’économies. En souhaitant agréer cet accord, le gouvernement affiche clairement sa volonté de répondre aux moindres caprices du Medef. Parce que ledit déficit de l’Unedic, qui se chiffrerait à 1,5 milliard d’euros, ne peut être attribué au nombre d’indemnisés, le montant des cotisations étant largement supérieur à celui des indemnités versées (pour un solde de 4,5 milliards d’euros). Son origine est à chercher ailleurs, notamment dans les sommes monstrueuses dépensées pour fliquer les chômeurs et réaliser des audits bidon censés les aider à trouver un job. Par exemple, les 112 000 intermittents du spectacle, principales cibles de l’accord – mais pas la seule –, ne représentaient, en 2011, que 3,5 % des chômeurs indemnisés, soit 3,4 % des dépenses de l’Unedic. Mais il a toujours été plus simple pour le capital de prendre dans les poches des pauvres plutôt que dans celles des riches. D’autant que, au-delà des économies cyniquement réalisées, sont visées la destruction et la disparition d’un régime d’indemnisation qui permet de relativiser la précarité liée à des emplois précaires aux durées limitées. Car ce que le Medef craint par-dessus tout, c’est que ce régime particulier puisse un jour servir de modèle aux autres.

La contre-offensive médiatique
Dans cette entreprise de liquidation des derniers acquis sociaux, le patronat peut bien sûr compter sur le gouvernement qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2012, n’a jamais rien fait d’autre que d’ouvrir grand ses bras au Medef. Mais Pierre Gattaz et sa bande trouvent aussi un allié servile dans la grande presse, dont les directions de rédactions savent se faire les hérauts légitimateurs des ambitions patronales à travers un traitement nettement partial de l’actualité. Ainsi, de même que les méchants cheminots prendraient en otage les pauvres petits bacheliers, les intermittents du spectacle auraient l’outrecuidance d’empêcher le libre épanouissement de la culture. Éducation, culture : deux sacro-saints domaines de la République auxquels les travailleurs devraient tout sacrifier sous peine de passer pour de véritables salauds. Un discours qui, malheureusement, semble prendre racine dans bien des têtes, trop paresseuses pour voir dans ces luttes non pas une seule volonté de destruction mais bien l’expression d’un désir de construire un service public de qualité et d’élaborer une « culture » riche, libre et accessible à tous.
Mais les intermittents et les précaires maintiennent, contre vents et marées médiatiques, le cap de la lutte. À Montpellier, le Printemps des comédiens en est aujourd’hui le principal théâtre, et annonce ce qui pourrait advenir du célébrissime Festival d’Avignon (qui s’ouvrira le 4 juillet) si le gouvernement venait à agréer l’accord scélérat. Les annulations de spectacles s’y multiplient en raison des grèves reconduites depuis plusieurs jours. Mais le mouvement concerne aussi d’autres villes, notamment Toulouse où, mardi 10 juin, huit théâtres se sont mis en grève « afin de marquer leur refus de voir agréer par le ministre du Travail l’accord interprofessionnel du 22 mars 2014 sur l’Unedic “négocié” entre les partenaires sociaux » 2. Gageons que la lutte persiste à montrer la même détermination, jusqu’à l’obtention de la suppression de l’accord. En attendant, ces derniers jours ont à nouveau prouvé l’utilité et la puissance de la grève dans la construction d’un rapport de force favorable au prolétariat. Tant que les intermittents et les précaires se contentaient d’occuper des agences Pôle emploi, les médias ne relayaient leur lutte qu’à travers quelques brèves de-ci de-là ; dès lors qu’ils font grève, entraînant la désorganisation des lucratifs festivals estivaux, la grande presse dégaine sa propagande au service de la classe dominante avec la même rhétorique culpabilisatrice ; preuve que la bourgeoisie a peur pour ses intérêts de classe. Qu’elle continue à nous craindre, et qu’elle crève !






1. Pour une explication détaillée de l’accord, se reporter à mon article « Accord sur l’assurance chômage : quand il n’y aura plus rien dans nos poches, alors, ils prendront nos poches… » dans Le Monde libertaire n° 1737 (avril 2014).
2. Extrait d’un communiqué cité par Clarisse Fabre, « Intermittents : la grève s’intensifie au Printemps des comédiens », Le Monde, édition Internet du 10 juin 2014.