Plongée dans un système déshumanisant

mis en ligne le 15 mai 2014
Départ volontaire, c’est une case à cocher entre licenciement et démission, moins avantageux que le premier et moins défoulant que la seconde.
Départ volontaire, c’est un euphémisme cynique qui vire à la tragédie.
Départ volontaire – aux éditions Noir et rouge (2014) – de Jean-Luc Debry, c’est l’histoire du burn-out, vécu de l’intérieur, d’Odile, femme ordinaire mais particulière : la cinquantaine, « assistante » de direction, larguée par son mari et son fils.
Qui est responsable de ce qui lui est arrivé ?
Son entreprise, machine infernale, qui, lancée avec un enthousiasme feint et une réelle férocité dans la compétition économique – baptisée « opération fitness » –, avance comme un char d’assaut sans souci des dommages collatéraux ?
Sa DRH, la « divine », qui repère chez les « moyens moins », place d’Odile dans cette couche instable et donc malléable des ressources humaines, les boulets qui ralentissent la compétitivité et les rares élus qui, bien formatés à « l’esprit d’entreprise », peuvent prétendre à intégrer le rang des « moyens plus », en sursis ?
Ses collègues dont les stratégies reprennent les armes traditionnelles du genre féminin : de la garce arriviste à l’ingénue un peu trop libertine en passant par les alliées de circonstance, intéressées ou terrorisées ? On assiste au repli sur les valeurs sûres : le struggle for life et le chacun pour soi qu’impose le fonctionnement de l’entreprise.
Son mari qui, en lui préférant une plus jeune, plus « battante » a détruit le peu de confiance qu’elle avait en elle ?
Son fils qui, en suivant son père pour les mêmes raisons, l’a reniée en tant que mère ?
Enfin, est-ce sa féminité de jeune quinquagénaire encore séduisante dont le caractère doux lui fait préférer la conciliation au conflit, la paix à l’affrontement et peut la conduire jusqu’à la lâcheté ?
Pour répondre à cette question, il faut lire ce roman où, en une centaine de pages, Jean-Luc Debry reconstitue un naufrage, entremêlant les fils de tout ce qui fait une vie, sans complaisance mais non sans tendresse pour son héroïne.
Dans le combat contre un système déshumanisant, comprendre ce qui se joue pour chacun, remonter à la source du désespoir pour éviter qu’il ne l’emporte, est certainement indispensable. Dans Départ volontaire, Jean-Luc Debry y contribue grandement.

Claire Lartiguet