Salvador Seguí i Rubinat : révolutionnaire et pragmatique

mis en ligne le 6 mars 2014
1733SeguiFigure incontournable de l’anarcho-syndicalisme espagnol, Salvador Seguí i Rubinat a fortement marqué le mouvement social de son temps, et même au-delà. Peintre en bâtiment de profession, acquis très jeune aux idées libertaires, apôtre de la formation et de l’éducation des masses populaires par le biais des syndicats, il ne cessa de rappeler que les connaissances culturelles, intellectuelles et techniques étaient des armes révolutionnaires au service des travailleurs. Ami de Francesc Layret, fondateur de l’Athénée encyclopédique populaire de Barcelone, Seguí devint président de l’Athénée syndicaliste, également situé à Barcelone, dans lequel il créa, en 1915, la bibliothèque qui faisait office de centre supérieur des études syndicalistes et anarchistes (tout un programme !). Déjà présent à la création de l’organisation Solidarité ouvrière, acteur de sa transformation en Confédération nationale du travail (CNT) en 1910, il en devint secrétaire général pour la région catalane en 1918 (congrès de Sants).
Révolutionnaire et pragmatique, il n’oubliait jamais de lier les acquis immédiats pour les travailleurs à leur émancipation future, au moyen des structures propres à leur classe, c’est-à-dire sans avoir recours aux partis politiques, quels qu’ils soient, rappelant inlassablement que l’organisation syndicale était la préfiguration de l’organisation de la future société débarrassée du capital et de l’État. La mémoire ouvrière retiendra qu’il a laissé son empreinte dans l’évolution de son organisation syndicale, au prix parfois des critiques des éléments les plus extrémistes qui la composaient, comme également des plus modérés. Il participa à la réorganisation de la CNT en syndicats uniques par branche d’industrie, fut partisan d’un front unique des organisations syndicales espagnoles (CNT-UGT) et se prononça pour le retrait de la CNT de la IIIe Internationale – alors sous domination bolchevique – à laquelle elle avait adhéré provisoirement.

Catalaniste ?
Taxé parfois de catalaniste, il dénonça sans relâche la bourgeoisie catalane qui ne s’opposait au centralisme de Madrid que pour renforcer ses intérêts de classe, sans tenir aucun compte des revendications du prolétariat catalan. Pour Seguí, il fallait une organisation de classe puissante pour faire face à la bourgeoisie catalane, espagnole et mondiale (discours au congrès de Barcelone, juin 1918). Il pensait également qu’une Catalogne libérée de l’État espagnol et aux mains des seuls travailleurs serait « une Catalogne amie de tous les autres peuples de la péninsule Ibérique » (discours prononcé à l’Athénée de Madrid en 1919). Orateur infatigable, il effectua, en 1920, une tournée de propagande à travers toute l’Espagne ; il prononça cent dix allocutions pendant cette année-là. Trois ans plus tard, le 10 mars 1923 (soit il y a tout juste quatre-vingt-onze ans), il tombait sous les balles des hommes de mains du patronat catalan. Peu de temps après, il fut « vengé » par Francisco Ascaso, dans le plus pur style « western », comme l’écrivit Carlos Semprún-Maura dans Révolution et contre-révolution en Catalogne.
Le texte qui suit est la traduction d’une biographie sommaire de Salvador Seguí publié en 2003 dans un ouvrage collectif : La Barcelona rebelde (« La Barcelone rebelle »). Cette biographie est due à la plume de Manel Aisa Pampols, qui a été adhérent au syndicat du bâtiment de la CNT de 1976 à 1981, membre de l’association du quartier du Raval, organisateur, en 1993, de l’Exposition anarchiste internationale de Barcelone. Il est l’actuel président de l’Athénée encyclopédique populaire de Barcelone, et exerce accessoirement la profession de libraire. Pour plus de détails, vous pouvez vous reporter au Monde libertaire hors série n° 43 (décembre 2011 à février 2012). Hasard du calendrier ou ironie de l’histoire, Manel Aisa est né en 1953 dans la rue Cadena, cette même rue où, juste trente ans auparavant, Salvador Seguí avait été assassiné.