Le cœur d’Athènes en révolte

mis en ligne le 16 janvier 2014
Depuis longtemps, je prends la température de la Grèce auprès de mon ami Yannis Youlountas. Franco-Grec, il connaît et comprend mieux que d’autres ce pays et ses luttes au point d’y consacrer, aujourd’hui, un livre et un film qui connaît un grand succès sur les bords de la mer Egée.
Il y a, chez ce gaillard, une conviction qu’il sait partager. C’est que, là-bas, comme ici, plus qu’ici, le fléau du fascisme et de la haine se nourrit de la crise, mais la crise grecque est aussi le lieu de naissance de nouvelles formes d’organisations sociales porteuses d’espoir.
Le long-métrage qu’il a réalisé cette année et qu’il présente depuis quelques semaines partout en France est à ce titre une merveille : de très faibles moyens, mais un cœur gros comme ça et un souffle vivifiant qui emporte tout.
Une grande maitrise cinématographique permet d’alterner les séquences de luttes, de combats, de manifestations, et les entretiens d’anonymes grecs qui, par engagement et don de soi, deviennent les véritables héros du quotidien.
Pourtant, les premières images dressent un constat terrible, la Grèce a changé, personne ne croyait possible une telle catastrophe et pourtant, l’appauvrissement plus vite qu’une tempête a gagné au point qu’Athènes ne ressemble plus à une ville d’Europe.
Mais voilà, il y a cette petite phrase de Guy Debord sur l’image : « Le temps brûlait plus fort qu’ailleurs. On sentait trembler la Terre. »
Alors que la Grèce subit une nouvelle étape du capitalisme, toujours plus loin dans l’horreur, dans les saignées pratiquées par des médecins économistes fous dignes des pièces de Molière, alors que les manifestations viennent se briser une à une sur la place Syntagma où le Parlement a été transformé en camp retranché, partout l’auto-organisation est prônée comme forme de résistance, et le slogan « Ne vivons plus comme des esclaves » fleurit sur les murs, en particulier dans le fameux quartier Exarcheia.
C’est à ce quartier que Yannis Youlountas et sa compagne Maud viennent de consacrer un livre aux éditions libertaires, poursuivant ainsi une sorte de dialogue avec le film. Maud a photographié en noir et blanc, les visages et les murs, les joueurs de cartes et les tags, les affiches. Ses photographies ont une âme, mieux que l’image animée elles permettent de fixer un visage et d’y lire l’émotion, la lutte, la joie ou la tristesse. Plus de soixante-dix photos sont ainsi accompagnées des textes de Yannis.
Exarcheia, pour le commun des mortels, pour celui qui n’entend et ne voit que les médias officiels est le quartier de l’insécurité, de l’immigration clandestine, de la drogue et de la violence, mais à la vérité, c’est ici que bat le cœur d’Athènes, et le cœur d’Athènes chante la révolte, la solidarité, l’accueil des sans-papiers, l’alternance humaniste, libertaire et antifasciste. On a ouvert des dispensaires gratuits, des lieux d’expérimentations sociales, on a moins d’argent, moins de travail, mais plus de temps pour inventer l’avenir, un avenir sans télé, sans radio commerciale, mais avec des livres, des éditeurs, des jardins communautaires, des magasins de gratuité.
C’est dans ce monde à naître, cet exemple grec que nous guident Maud et Yannis. Ils ont trouvé là-bas des clés qui pourraient bien ouvrir demain nos propres serrures.

Thierry Guilabert
Groupe Nous autres de la Fédération anarchiste