Le national-catholicisme est de retour

mis en ligne le 9 janvier 2014
1727AntipatriarcatUn projet de loi du gouvernement espagnol fait actuellement couler beaucoup d’encre. Élaboré par le ministre de la Justice, Alberto Ruíz Gallardón, il est destiné à remplacer la précédente loi sur l’interruption volontaire de grossesse en vigueur depuis 2010. Nous en avions déjà parlé dans les colonnes de votre hebdomadaire favori 1 et, cette fois, ça se précise, car le projet a été approuvé en Conseil des ministres le 20 décembre dernier. Ce sont trente ans de combats et de conquêtes féministes qui sont rayés d’un coup ; ce projet sera présenté aux Cortes, où les députés de droite ont la majorité. Le vote définitif sera donc une simple formalité pour le Parti populaire actuellement au pouvoir. Nom de cette loi : loi organique de protection de la vie de l’être conçu et des droits de la femme enceinte. La vie de l’être conçu ? On devine aisément la patte de l’Église catholique, dont Gallardón est un fidèle relais. Les droits de la femme enceinte ? La seule chose que l’on peut constater, c’est la volonté de nous infantiliser comme aux plus beaux jours de la dictature franquiste et du national-catholicisme triomphant.
Concrètement, l’IVG redevient un délit, sauf dans deux cas très précis (et restrictifs) : le viol (douze semaines pour pratiquer l’avortement) et la mise en danger de la vie ou de la santé physique ou psychique de la femme (délai porté à vingt-deux semaines). Danger qui sera évalué par des « spécialistes en médecine », suivant un processus des plus bureaucratiques.
Malformations ou maladies du fœtus ne seront plus des motifs légaux pour avorter. Par contre, les effets psychologiques qu’elles provoqueront sur la femme enceinte le seront (qui déterminera ces effets psychologiques ?).
Pour les mineures de 16-17 ans, retour à la permission obligatoire des parents pour pouvoir avorter. En cas de désaccord entre la mineure et sa famille, une décision de justice devra intervenir dans les quinze jours (quelle justice ?).

Clause de conscience
Avec la précédente loi de 2010, les médecins hostiles à l’avortement pouvaient invoquer la clause de conscience pour refuser de pratiquer cette intervention. Désormais, cette clause de conscience sera étendue à tout le personnel appartenant à la chaîne professionnelle d’un établissement hospitalier pratiquant l’IVG. En plus des médecins, seront donc concernés les auxiliaires, les infirmiers, le personnel administratif et jusqu’aux surveillants. Comme on peut s’en douter, dans ces conditions, il va falloir une sacrée unanimité entre eux pour que personne ne fasse jouer cette clause de conscience et que l’IVG soit possible. À noter une subtilité dans le texte de loi : l’IVG non autorisée constituera un délit pour le médecin qui l’aura pratiquée (jusqu’à trois ans de prison et six ans d’interdiction d’exercer son métier), et non pour la femme avortée qui sera considérée comme victime de l’avortement, car (c’est le sens que donne Gallardón à son projet), devant être protégée puisque incapable de prendre elle-même cette décision – notre corps ne nous appartiendrait donc toujours pas ?

L’Église en action
Ce projet de loi n’arrive pas par hasard. Il figurait dans les promesses du candidat Rajoy aux élections de 2011, et il est le fruit d’un long travail de propagande de la Conférence épiscopale espagnole (CEE), qui a organisé une campagne « pro-vie » pour en finir avec la loi de 2010 qu’elle jugeait trop permissive. Le ministre de la Justice a parfaitement entendu leur message. Il aurait d’ailleurs eu du mal à ne pas l’entendre : notre « pauvre » Église a mis le paquet : 150 000 euros de budget, 1 300 panneaux publicitaires, 15 000 affiches, 100 000 cartes, 12 000 exemplaires d’une lettre épiscopale, vidéos, etc. Sans parler des déclarations officielles de cette même Église, lesquelles sont autant de « perles ». Ainsi l’évêque de Saint-Sébastien y est allé de sa dénonciation de « l’holocauste silencieux de l’avortement ». De même, pour Antonio Cañizares, ministre de la Congrégation pontificale pour le culte et la discipline des sacrements (ouf !), « un avortement volontaire est pire qu’un abus sexuel sur un enfant mineur ». Cette magnifique déclaration fait écho à une autre « perle » de l’archidiocèse de Buenos Aires, sortie de la bouche de Jorge Goméz : « Le viol de la foi est 10 000 fois pire que le viol d’une petite fille. » (On avance, on avance…) La presse conservatrice espagnole (ABC, La Razón…) emboîte le pas à tout ce joli monde solidaire (Église et gouvernement) avec des titres comme : « La grande Espagne se réveille contre l’avortement ». La « grande » Espagne ? Comme un rappel de la devise franquiste : « une, grande, libre » (tu parles !). Et les rappels aux Saintes écritures de se succéder comme, par exemple, ces paroles de saint Paul déterminant le rôle de la femme : « Obéir, servir et se taire. »

« Marie-toi et sois soumise »
Dans cette filiation, l’archevêché de Grenade vient d’éditer – à l’adresse des femmes – la traduction du livre de l’Italienne Costanza Miriano au titre explicite : Marie-toi et sois soumise. Ce qui a provoqué des rassemblements de femmes protestant devant les églises au cri de « Ni sus misas, ni sumisas », jeu de mots que l’on peut traduire par : « [Nous ne voulons] ni vos messes ni [être] soumises. » Et puisque tout est parti du problème de l’avortement, elles ont concocté quelques banderoles du genre : « Ôtez vos rosaires de nos ovaires », ou encore : « Le sexe quand je veux, la maternité quand je le décide ». La Plate-forme pour la sexualité et l’avortement – coordination regroupant, entre autres, l’Action féministe, la CNT, la CGT, le Bloc ouvrier – exige aussi de l’Église une déclaration officielle demandant pardon aux femmes et faisant son autocritique. À mon avis, ça risque quand même de prendre beaucoup plus de temps qu’une béatification !

En France aussi, ça craint
Cette crispation des sociétés patriarcales (et, actuellement, elles le sont toutes à des degrés divers) est sensible depuis plusieurs années. Le ministre espagnol de la Justice en est convaincu : « Je suis persuadé que cette initiative [le projet de loi anti-avortement] aura des prolongements dans d’autres nations d’Europe. » Et, de fait, on ne peut que constater qu’un vent conservateur souffle de plus en plus fort. On a aussi pu le constater récemment en France à l’occasion des manifestations contre le mariage pour tous. Non pas que nous soyons des forcenées du mariage, mais nous avons bien vu qui étaient dans ces cortèges anti-mariage pour tous : toutes les raclures réactionnaires et fascisantes type Civitas et autres groupuscules d’extrême droite qui ne rêvent que d’une chose : en finir avec la moindre conquête de la cause des femmes. Et le combat anti-IVG est parfaitement symbolique : hors de question, pour eux, de considérer la femme autrement que comme un être inférieur. Les quelques avancées obtenues par les luttes féministes leur sont insupportables, et leur souhait le plus cher est la restauration d’un patriarcat tout puissant. Soyons donc vigilantes face à tous ces relents machistes et faisons mentir ce sinistre Gallardón qui déclarait sans rire au journal ABC (journal conservateur, et même monarchiste il est vrai) : « Nous avons rédigé la première loi qui reflète l’opinion majoritaire des citoyens européens [et les citoyennes ?]. » Et d’ajouter : « C’est la loi la plus avancée et progressiste que ce gouvernement a introduite. » (On se demande ce que sont les autres lois « moins » progressistes…)
De son côté, le quotidien El País (pas vraiment révolutionnaire, mais plutôt centre-mou) constatait quand même dans son édito du 21 décembre : « Avec ce projet de loi, l’Espagne revient à des temps que nous croyions dépassés et consacre un mode de régulation autoritaire qui non seulement nie à la mère un quelconque droit de décision sur sa maternité, mais la met dans la même position qu’une mineure, et la subordonne à des tierces personnes qui auront la responsabilité de décider quelque chose qui la conditionnera pour le reste de sa vie. » On ne saurait mieux dire. Reste à nos sœurs d’Espagne et aux compagnons conscients du combat à mener, à empêcher que l’Espagne rejoigne l’Irlande et Malte, les deux seuls pays (parmi les 28 membres de l’Union européenne) à refuser l’IVG. Reste à faire en sorte que ces retours en arrière ne se produisent pas ici non plus, en France. Rappelons qu’avorter n’est pas une obligation, mais un droit, et rappelons aussi que c’est nous, les femmes, qui choisissons d’accoucher ou d’avorter. En bref, notre corps nous appartient, c’est nous, les femmes, qui décidons.

Rosine Pélagie





1. Voir entre autres Le Monde libertaire n° 1710 (« Journées de femmes »).



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


douille

le 11 janvier 2014
Dommage que l'article n'aborde pas les amendes à 30 000 euros... Car en réaction à ce projet de loi le gouvernement (fachiste?) a mis en place tout un arsenal de lois visant à empêcher les manifestations.

http://www.publico.es/politica/485865/que-sanciona-la-nueva-ley-de-seguridad-ciudadana