Ni gaz de schiste ni gaz de houille : retour critique sur les manifs des 8 et 9 juin

mis en ligne le 27 juin 2013
1712SchisteÀ l’appel des collectifs citoyens de Dordogne, de Corrèze et du Lot, des groupes de la Fédération anarchiste étaient présents aux deux journées de manifestation organisées à Brive puis à Sarlat, les 8 et 9 juin, contre le permis de recherche d’hydrocarbure, dit permis de Brive. En tout, ce sont près de 3 000 personnes que l’on aura vu défilées, sans heurt et sans drapeau…
Nous ne pouvons que commencer par saluer le travail d’information effectué depuis maintenant près de deux ans par les différents collectifs organisateurs de ces deux journées de manifestation contre le gaz de schiste : leur sérieux, ainsi que l’effort de vulgarisation du problème, aura amener le plus grand nombre, sinon à se déplacer aux rassemblements (près de 3 000 sur deux jours), au moins à être conscient des dangers qu’amèneraient la prospection et l’exploitation des hydrocarbures contenus dans les sous-sols de nos régions (gaz de schiste ou gaz de houille). Nous ne pouvons qu’inviter ceux qui ne seraient pas encore sensibilisés au sujet à se tourner vers leur documentation, laquelle fait toute la lumière de manière aussi pédagogique qu’exhaustive sur l’enjeu écologique d’une telle question.
Pour autant, nous ne saurions être pleinement satisfaits de ce que l’on a pu voir, et surtout entendre, lors de ces deux journées. Au contraire, un certain discours nous a semblé nuisible.
Nous ne nous étendrons pas sur une critique de la forme, bien que celle-ci puisse préfigurer quelque peu celle sur le fond, tant elle fut déjà symptomatique d’un discours et d’une pratique hasardeuse, car au final contre-productive à terme : apolitisme et argumentaire économique incongru.
Ainsi, fut clairement énoncé dès le début que ce mouvement n’était pas politique : « question sociétale », nous dit-on, « question écologique », évidemment. Question économique ? Nous le verrons après. Mais qu’est-ce que cela, sinon de la politique, au sens noble du terme ? Les organisateurs confondent électoralisme politicien et lutte politique. Certes, le clivage parlementaire gauche-droite ne se fait pas sur cette question, ni sur d’autres fort nombreuses d’ailleurs, mais rappelons ici que le Parlement n’est qu’une émanation, et qui plus est une petite partie, de la capacité politique des citoyens : vivre ensemble, décider ensemble, débattre ensemble, telle est la politique. Et c’est exactement ce que nous faisions ici.
Ceci constitue déjà une faute à nos yeux : celle de continuer à infantiliser la population, en lui niant ses réelles capacités à la fois d’action et d’organisation. D’ailleurs, s’il s’était agi d’autre chose, comment expliquer cet appel aux pouvoirs publics, directions régionales et préfectures, État ? Comment expliquer la présence en première ligne des élus locaux arborant leurs écharpes tricolores ?
Et nous allons voir, en abordant la question économique, combien un tel positionnement peut être nuisible.
Voici donc l’argumentaire développé en réponse à l’actuelle propagande progaz, argumentaire tenant en trois points résumés ici :
1. L’exploitation de ces hydrocarbures, si elle est lucrative aux états-Unis, aurait ici un coût 3 à 4 fois plus élevé, du fait de contraintes plus drastiques en matière d’environnement et de pollution, et donc ne serait pas rentable.
2. La création d’emplois ne durerait que le temps des travaux d’installation, pas d’exploitation.
3. L’autonomie énergétique ainsi espérée ne serait qu’un leurre, puisque les sociétés prospectrices sont toutes étrangères, et vendraient au plus offrant.
Ce qui est dit ici est dangereux, car faux.
Dangereux tout d’abord, parce que tel qu’il fut présenté, il se posait en rempart face à la perspective des forages : il n’y en aura pas, car ce n’est pas rentable, pas créateur d’emplois, et pas intéressant en terme d’autonomie énergétique. Ainsi, nous pourrions dormir tranquilles, ils avaient trouvé la faille… Sauf que la faille est justement dans cet argumentaire !
Tout d’abord, notons que les premier et troisième points sont en contradiction flagrante : quelle société investirait dans un produit non rentable, et quel client achèterait ce même produit s’il est hors de prix ? On ne peut à la fois dénoncer l’infaisabilité économique de l’exploitation de ces gaz et leur destination une fois vendus !
Ensuite, il est faux d’affirmer que cette exploitation ne peut être rentable, tout simplement parce que la vérité, c’est qu’elle ne l’est pas actuellement ! En effet, nous ne vivons pas dans un monde figé : le prix du pétrole n’a de cesse d’augmenter, et continuera ainsi exponentiellement à mesure que les réserves s’épuisent ou que les techniques d’extraction deviennent plus complexes et donc plus coûteuses. Dans la logique de ce système, arrivera fatalement un moment où extraire des gaz souterrains sera plus intéressant. Ajoutons à cela que les législations sur l’environnement qui nous préserveraient encore peuvent être amenées à évoluer, les critères à changer, laissant plus de souplesse aux potentiels futurs exploitants.
Question somme toute assez politique… tout comme celle de l’emploi. C’est méconnaître le talent de nos politiciens que de penser que, puisque les emplois crées ainsi ne seraient pas pérennes, ils n’intéresseront pas nos élus ! Tout comme les retombées fiscales, cette perspective en fera retourner sa veste à plus d’un, s’il peut promettre moins de chômage, et gagner ainsi sa réélection ! Pour le reste, ils trouveront bien une solution d’ici la fin de leur mandat…
Enfin, sur l’autonomie énergétique. Il faut bien comprendre que la France n’a jamais été, et ne sera jamais, autonome énergétiquement : pétrole, gaz, charbon, uranium… tout est importé, ou quasiment, et le critère d’autonomie n’est jamais rentré en ligne de compte pour décider des orientations de production. Seul compte le profit potentiel, à la fois pour les sociétés exploitantes dont nos élites sont souvent soit issues, soit recasées, et pour la croissance attendue pas l’État.
Car il ne s’agit, au final, que de ça : produire pour croître, croître à tout prix.
Dès lors, l’exploitation des gaz de schiste et de houille reste une menace, n’attendant qu’une opportunité économique et politique pour devenir réalité. Et c’est pour cela qu’il est important que chacun s’empare de ces sujets.
Nous ne serons donc pleinement rassurés que lorsque le risque sera complètement écarté : celui que font peser sur nous de tout temps le capitalisme et l’État.
No gazaran ! No pasaran !

Groupe Drapeau noir (Périgord) de la Fédération anarchiste