La retraite des morts (1)

mis en ligne le 30 mai 2013
Hollande nous l’a dit lors de sa dernière conférence de presse : nous vivons plus longtemps, donc nous devrons travailler plus longtemps. Paraît que c’est logiquement évident, imparable et mathématiquement prouvé. Quelqu’un pour lui dire que la vie ce n’est pas seulement aller se faire exploiter ou se faire engueuler par des chefs ? Comprendrait pas. Depuis qu’il a « changé de vie », il ne se souvient plus des vieux slogans du PS… Son discours n’avait rien d’original ? Certes. À tel point que cela ne choque plus personne.
Qu’est-ce que nous réserve 2013 question retraites ? Un nouveau recul, une nouvelle claque ? C’est bien parti pour… Après 1983, 1993, 2003 : 2013, glubs ! Connaissez-vous un seul parti, un seul syndicat qui remette en cause, avant tout début de débat, toute discussion ou négociation sur les retraites le dogme asséné depuis les années 1980 ?
Très vite, il a été admis qu’il y avait un « problème des retraites ». « Problème » qui nécessitait « la réforme des retraites ». Et la discussion tournait sur les moyens de « combler le déficit ». C’est la force des incantations, elles vous rendent croyant. Faut dire aussi que le rouleau compresseur médiatique n’a guère laissé de place à la contestation. Et, fort logiquement, sans argumentation solide, tous les « opposants » se sont opposés sur… le terrain des réformateurs. Intéressant de revenir sur ce passé, puisque c’est notre avenir proche ! Ils vont encore nous entuber de quelques années ! Et que nous pourrions peut-être tenter de rattraper nos bévues, nos erreurs tactiques, nos slogans faux et l’inconsistance généralisée qui nous fit perdre lutte sur lutte. Je ne fais pas mon fier, je ne donne pas de leçons, parce que, moi aussi, à l’époque, j’étais à côté de l’enjeu…
Le bourrage de mou commence dans les années 1980, lentement, puis, en 1991, arrive le Livre blanc sur les retraites : garantir dans l’équité les retraites de demain. Préfacé par Michel Rocard, alors Premier ministre… Déjà, tout est là. Il est dit à quelle sauce nous serons mangés. Les arguments ont été testés, on en fait un concentré, cela sera repris en boucle, et cela continue aujourd’hui.
Résumé : les baby-boomers arrivent à la retraite (c’est un « choc » démographique), les gens vivent plus vieux, il faut donc réformer en profondeur. Pourquoi ? Parce que le système n’est pas en mesure de payer. Ah ? Mais il y est arrivé jusque-là… Nous pourrions augmenter les cotisations sociales. Le taux de cotisation retraite était passé de 8 % à 26 % du salaire entre les années 1940 et le milieu des années 1990. « Au secours ! Vous n’y pensez pas ! » hurle le patronat. « Vous voulez alourdir le coût du travail ! Nous ne serons plus compétitifs ! Assez de prélèvements obligatoires, assez de charges sociales ! » Or, faut-il le rappeler, la retraite, c’est du salaire. La cotisation dite patronale, c’est du salaire. Nous ne le touchons pas directement, mais c’est un salaire « socialisé ». Le diminuer, c’est nous appauvrir, collectivement. Entre 1980 et 2006, le taux de cotisation patronale est passé de 45 % à 20 % du salaire brut au niveau du smic. Pour un salaire au niveau du smic, l’employeur ne paie aucune cotisation vieillesse au régime général. Il ne retrouve un taux normal, très progressivement, qu’à 1,6 smic. Or, 1,6 smic, c’est le salaire médian en France. Donc près de la moitié des salaires sont soit exonérés soit avec une cotisation patronale très faible. Cela suffirait à expliquer le « déficit »… Le jour même de la présentation du livre blanc des retraites au conseil des ministres, la CGT avait rejeté les propositions : « Déjà, le Premier ministre tente d’endormir l’opinion publique. L’argument démographique agité pour justifier ces propositions, et largement controversé par les experts eux-mêmes, ne tient pas. Les vrais problèmes sont d’ordre économique et résident dans les conséquences du chômage, de la précarité, de l’insuffisance des salaires qui privent la Sécurité sociale et les régimes de retraite de ressources nécessaires pour répondre aux besoins. » C’est moins pire que chez les autres (syndicats), mais c’est mou, et ça ne fera que mollir davantage par la suite.
Ne pas augmenter les cotisations patronales, cela signifie ne pas augmenter les salaires. Ce qui signifie que, depuis des dizaines d’années, les profits permis par les gains de productivité ont été accaparés par les patrons. Les diminutions et exonérations de « charges », comme ils disent, c’est autant qui part dans leurs poches.
Tout l’argumentaire du patronat « soucieux de régler un problème » aurait pu s’effondrer si, en face, il avait été soutenu, argumenté, compris, dénoncé que ce discours était un discours de classe. Aucune union nationale ici, aucune cause commune qui justifie de régler ensemble, patrons et salariés unis, une question de société : le vieillissement fatal d’une partie de la population, comme on lutterait contre l’ennemi, ou contre une catastrophe naturelle. Non. La propagande des marchands de prévoyance a les mêmes ressorts que celle des marchands de canon. (À suivre.)