Hurlements en faveur d’une libre distribution de la presse

mis en ligne le 9 mai 2013
Avant le monde de la finance, celui de la distribution de la presse a connu une, deux, plusieurs crises dont nous nous sommes fait régulièrement l’écho dans Le Monde libertaire 1. La dernière a généré un conflit assez rude. Il faut dire que le déficit de Presstalis 2 n’en finissait plus de se creuser pour atteindre jusqu’à 240 millions d’euros, à tel point que le mot « faillite » était de plus en plus souvent prononcé. Le système mis en place en 1947 (loi Bichet) avait été conçu pour notamment encadrer et protéger la presse dite d’opinion. À la Libération, on comptait environ trente quotidiens nationaux surfant sur l’euphorie de l’après-guerre ; le panorama aujourd’hui est évidemment beaucoup moins réjouissant : moins d’une dizaine survivent avec, pour eux aussi, un déficit chronique. Précision : la fameuse loi Bichet n’a cessé d’être contournée et détournée de sa raison d’être par les « gros » éditeurs qui ont procédé à des regroupements de titres pour tendre vers une pensée – politique – unique. Le groupe Hersant s’est particulièrement distingué dans cette discipline au cours des années 1970-1980.
Aujourd’hui, les « gratuits » papier ou en ligne n’ont rien arrangé : information basique, aucune analyse, dans des titres ou sur des sites appartenant à des groupes financiers relayant les valeurs du capitalisme.
Hachette, l’opérateur historique qui jusqu’alors avait été choisi pour chapeauter la distribution de la presse (même s’il n’en possède « que » 49 %), est de plus en plus aux abonnés absents. L’héritier Lagardère ne se gêne pas pour répéter à satiété que le papier n’a plus d’avenir. Drôle de discours lorsque l’on est un des principaux protagonistes de la distribution au numéro. Mais Internet ou les gratuits ne sont pas les seuls responsables de la crise que traversent la presse écrite et son principal distributeur. Depuis des années, les subventions publiques destinées à la presse prennent des chemins assez tortueux. Vous pensiez que ces aides concernaient la presse d’opinion ? Sachez qu’en 2011, 35 millions d’aides directes (représentant 7,4 % du total versé) ont été octroyés aux… sept plus gros magazines TV (qui se gavent déjà pas mal avec la publicité). Le but de la loi Bichet était de définir le cadre de la distribution globale de la presse sur tout le territoire national et d’établir un barème fixant une péréquation entre les différents éditeurs (les gros payant pour les petits).
Ce barème tenait compte du prix du titre (dit « prix facial »). Tout journal est ainsi rétribué sur la base de son prix facial et des subventions qu’il touche. Reste un troisième élément, qui n’entre pas en ligne de compte : les ressources publicitaires. Ce qui permet à des titres comme, par exemple, les magazines TV dont nous parlions plus haut de ne payer au réseau de distribution qu’une quote-part basée sur leur prix facial (généralement de 0,50 à 1 euro), et non sur leurs recettes publicitaires. Et, cerise sur le gâteau, ces pauvres magazines TV (pensez donc, un malheureux euro l’exemplaire !) sont donc bénéficiaires d’aides directes assez conséquentes. Bref, le beurre et l’argent du beurre, avec une dépendance de plus en plus forte à la manne publicitaire.
Parallèlement à cela, le cadre déterminant qui est autorisé à diffuser la presse n’a cessé de se fissurer. En région parisienne (et dans Paris même), kiosques et libraires ne sont plus les seuls à pouvoir le faire. Nombre de supermarchés, Monoprix, etc., le font également, mais sur une base de rentabilité : magazines TV, people, etc., se taillent la part du lion. Mais essayez de trouver dans leurs présentoirs une presse plus indépendante, alternative, engagée politiquement du genre par exemple et au hasard : Le Monde libertaire, ou Politis, ou même (soyons fous) Témoignage chrétien, je vous souhaite bien du plaisir (sans doute le manque de place !). Donc exit le principe d’un titre de presse accessible à tout citoyen, sur tout le territoire national, le jour même de sa parution. Le changement opéré par Presstalis pour la rémunération des éditeurs qui lui confient leurs titres n’a fait qu’accélérer les difficultés des « petits tirages », et nous sommes bien placés pour le savoir, Le Monde libertaire hebdo vendu en kiosque ne nous rapporte pratiquement plus rien, alors que ses frais d’impression n’ont pas disparu pour autant 3.
Nous ne sommes évidemment pas les seuls à souffrir de ces difficultés et la Filpac-CGT 4 demande une remise à plat du système de distribution pour que le financement du réseau de distribution soit assuré par :
– une contribution des éditeurs basée sur un prélèvement proportionnel à la charge publicitaire des titres empruntant le réseau ;
– des subventions publiques regroupées en une seule aide globale ;
– une contribution des fournisseurs d’accès à Internet et à toute autre société numérique exploitant la valeur des informations créées par les rédactions des titres et des agences de presse, quel que soit le support.
Nous sommes encore loin de tout ça. Et la politique de Presstalis a surtout consisté jusqu’à présent à utiliser les aides publiques pour financer ses plans de restructuration. En clair, à supprimer des postes de travail et donc les salaires correspondants. Tous les fonds publics n’ont servi qu’à financer les coûts sociaux des licenciements (contraints ou non) et les départs en retraite anticipée, etc., mais pas grand-chose n’a été fait en matière de créations ou d’innovations éditoriales. Presstalis s’étant surtout consacrée à vendre ses bureaux et dépôts de Paris intra-muros, pour en racheter d’autres plus loin en banlieue, puis pour revendre ces derniers et se rapprocher de nouveau (comme ce bâtiment flambant neuf porte des Lilas). Ce petit jeu de Monopoly n’ayant en rien freiné la dégringolade du premier distributeur national (75 % des titres environ).
Au fil des ans et des plans de restructuration, la sous-traitance aidant, le nombre de salariés est tombé à 2 500. Trop, beaucoup trop, a estimé la direction de Presstalis qui n’a pas fait dans la dentelle : le dernier plan prévoit la suppression de 1 250 postes (la moitié donc). C’est ce qui nous a valu depuis septembre 2012 une trentaine de journées de grève chez Presstalis. Finalement, après sept mois de conflit, un accord vient d’être signé entre le SGLCE-CGT 5 et la direction de Presstalis. Accord mi-chèvre mi-chou : la direction voulait 1 250 suppressions de postes en 2013 ; il n’y en aura « que » 500 cette année et 600 autres en 2014. Pas de départs contraints et reclassements prévus à la SNCF et à La Poste. À surveiller donc, les promesses n’engageant jamais que ceux les croient.
Et ensuite ? Presstalis, qui perdait chaque mois environ trois millions d’euros, compte sur le plan de réorganisation signé avec éditeurs et État (plan évalué à 250 millions d’euros) pour retrouver l’équilibre économique fin 2015. Dans quelles conditions ? Un réseau exsangue, la sous-traitance devenue la norme, une presse papier quotidienne (moins 6 % en 2012) et une presse magazine (moins 5 % la même année) en recul constant, et ceci sans tenir compte de leur hausse de prix début 2013, également des titres qui quittent Presstalis et choisissent de se faire distribuer par le concurrent, les MPL (Messageries lyonnaises de presse)…
L’avenir ne s’annonce pas radieux pour tout le réseau de distribution, que ce soit les salariés commis ou cadres Presstalis, les porteurs/livreurs et jusqu’aux kiosquiers à l’agonie. Ce dernier accord ressemble évidemment plus à une trêve qu’à un traité de paix et d’autres luttes sont à venir 6.










1. Voir notamment les articles sur la presse dans les numéros 1650, 1662, 1672, 1693 (consultables sur le site du Monde libertaire à la rubrique média).
2. Presstalis : anciennement Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP).
3. D’où l’intérêt de s’abonner.
4. Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication-CGT.
5. Syndicat général du livre et de la communication écrite-CGT.
6. À noter que le groupe Salvador-Seguí animera une soirée-débat sur le thème de la distribution de la presse le vendredi 24 mai à 19 h 30, au local La Rue, 10, rue Robert-Planquette, 75018 Paris.