Les habitants du fleuve

mis en ligne le 18 avril 2013
En Amazonie brésilienne, autour du fleuve Xingu, la construction très controversée du gigantesque barrage hydroélectrique de Belo Monte a commencé. Le projet date de la dictature, a été gelé par Lula, puis autorisé l’an dernier dès l’élection de Dilma Rousseff.
Le film Les Invisibles de Belo Monte est le résultat d’un travail de six mois sur le terrain, mené à terme grâce à l’obstination et au courage des réalisateurs, malgré l’hostilité de Norte Energia, chargée de la construction du barrage, et de la police fédérale. François-Xavier Pelletier est ethnologue et cinéaste, il travaille au Brésil depuis vingt ans, et il revendique le caractère militant de son film. Catherine Lacroix-Pelletier est coordinatrice de projets, et Magnólia de Oliveira, née en Amazonie, est experte en écologie amazonienne.
Les invisibles, ce sont les Ribeirinhos (habitants du fleuve), la plupart pêcheurs ou petits agriculteurs, « indépendants, libres et solidaires comme la nature qui régit leurs liens sociaux », qui vont être chassés de leurs terres, et dont personne ne parle.
Le film est beau et troublant à la fois, alternant des images de rêve et d’autres apocalyptiques, pour reprendre l’expression d’Aldecir, un des Ribeirinhos. Le rêve, c’est la forêt avec ses grappes de fruits généreuses, c’est une pluie de fleurs qui tombent comme de la neige, ce sont des fillettes se baignant dans le fleuve avec un bébé sanglier apprivoisé, c’est tout un peuple heureux de vivre en autosubsistance. L’apocalypse, c’est la vision de l’immense chantier en cours, les familles qui sont chassées et celles qui résistent encore, et les témoignages émouvants, révoltants de ces mêmes habitants.
Pas moins de 40 000 familles vont être contraintes d’abandonner leur territoire, et 800 000 hectares de forêt primaire et de rivière vont être détruits, par inondation ou assèchement. « Belo Monte, le troisième plus grand barrage du monde, est en construction en Amazonie, dans la volta grande do Xingu, l’une des régions les plus riches, sensibles et originelles en biodiversité du Brésil. Le gouvernement l’avait classée parmi les zones de préservation les plus extrêmes, comme l’indique ainsi l’ordonné qui interdit toute modification du biotope. Mais cette loi très stricte a été violée par Ibama, l’organisme fédéral exécutif de l’environnement, lorsqu’il a accordé la licence de construction de ce barrage à Norte Energia », affirme F.-X. Pelletier. Des espèces endémiques, animales et végétales, la plupart encore inconnues, vont disparaître à jamais. Des trésors archéologiques, tels ces rochers polis ou gravés par les premiers habitants de l’Amazonie, prédécesseurs des Indiens, seront enfouis sans même avoir été étudiés.
François-Xavier Pelletier est en colère, et il le dit sans détours. D’abord parce que ce barrage est totalement inutile, que le projet a été offert et garanti financièrement à 80 % par l’État brésilien à des multinationales (dont Alstom et GDF-Suez). Parce qu’il est destructeur pour l’environnement, la connaissance, et criminel pour l’homme. Enfin parce qu’il est un mensonge, une manipulation vis-à-vis des Ribeirinhos, que Norte Energia achète ou menace pour les expulser.
Par ailleurs, même certaines ONG qui prétendent dénoncer ce barrage pratiquent la désinformation, avec force clichés exotiques, en médiatisant des Indiens tels que Raoni, et en taisant leur responsabilité et la corruption de certains caciques (chefs), qui ont accepté des sommes colossales en échange de leur soumission. « Il faut arrêter de dire que l’Amazonie est peuplée uniquement d’Indiens », s’insurge François-Xavier Pelletier. La réalité est que les Ribeirinhos sont des Indiens, des Blancs, des Noirs, des Métis, vivant depuis des générations des ressources du fleuve et de la forêt. Pour Belo Monte il n’y aura aucune discrimination parmi les victimes, hommes, animaux, végétaux.
Les spectateurs demandent souvent : « Que pouvons-nous faire ? »
« Surtout pas signer des pétitions, qui donnent bonne conscience et n’ont aucun effet », répondent les réalisateurs. Au Brésil, ils projettent de diffuser une version longue de leur film, qu’ils sont en train d’achever, pour mobiliser la population, a priori très sensible sur ces sujets. Ils comptent en particulier sur le soutien du Mouvement des sans-terre (MST), confrontés à des problèmes de même nature. Ils ajoutent qu’ici aussi il est important d’informer et de lutter contre la désinformation, et de comprendre que nous sommes tous concernés, qu’il existe aussi chez nous des grands projets inutiles, destructeurs, et uniquement motivés par l’argent. Notre-Dame-des-Landes, les projets de lignes TGV, pour ne citer qu’eux, participent de la même logique, pour le bénéfice des multinationales, sans aucun scrupule pour les répercussions sur l’homme et sur la planète.


Michel Gutel



Le film Les Invisibles de Belo Monte a été projeté le 28 mars à Tours, à la faculté des Tanneurs, et le 29 à Vendôme, en présence de deux des réalisateurs, François-Xavier Pelletier et Catherine Lacroix-Pelletier, et d’un public particulièrement nombreux.
Pour en savoir plus :
http//apocalypsexingua. canalblog.com