En avril ne te démobilise pas d’un fil

mis en ligne le 10 avril 2013
Nous avons déjà assez largement décortiqué dans ces colonnes l’accord nauséabond signé le 11 janvier dernier entre les différentes composantes du patronat et trois directions syndicales (CFDT, CFTC et CGC), dont il faudra bien un jour qu’elles rendent des comptes aux salariés. Notons au passage que, miraculeusement (ce qui n’a rien d’étonnant pour la CFTC), le gouvernement vient d’annoncer pour les deux dernières qu’elles sont représentatives pour les quatre années à venir. À quelques décimales près, elles auraient dépassé, en compilant toutes les élections professionnelles dans le privé, les seuils fatidiques mis en place par la loi liberticide de 2008 de 8 % pour les branches et 10 % pour les accords interprofessionnels (ANI).
Miraculeusement encore, le poids « relatif » cumulé de ces trois organisations (une fois qu’on a retiré du total l’UNSA et SUD, qui sont loin d’atteindre les seuils) dépasse légèrement les 50 %, ce qui a été l’occasion d’une large opération de propagande médiatique pour expliquer que l’accord du 11 janvier était majoritaire ! Pitoyable, mais instructif.
Il reste que, désormais, la balle est dans le camp du Parlement, sommé par le chef de l’État et le patronat de transposer en loi cet accord de la honte. Accord qui met à bas une partie du code du Travail et s’inscrit totalement dans la politique d’austérité et de baisse du coût du travail que les marchés imposent partout en Europe tant ils sont persuadés que le rapport de force penche en leur faveur, eux qui savent précisément ce que lutte de classes signifie. Nul doute (la CFDT le revendique déjà) qu’une version fonction publique (mobilité forcée, baisse des salaires, etc.) de cette loi sera concoctée dans la foulée.
Tout semble donc, une fois de plus, bien ficelé : un gouvernement soi-disant de gauche qui va tout faire pour mettre en œuvre une loi dont Sarkozy avait rêvé ; trois syndicats pour faire le sale boulot mais qui en tireront de larges bénéfices ; des médias majoritairement aux ordres qui nous expliquent sans rire que plus les patrons peuvent licencier facilement, plus le chômage va baisser ; enfin des patrons qui pensent déjà aux prochaines régressions sociales qu’ils vont exiger au nom de la compétitivité (à propos des retraites par exemple).
Y a juste une petite fausse note, limitée pour l’instant, certes, mais réelle, qui inquiète déjà les observateurs avertis. C’est l’axe CGT- FO qui est en train de se dessiner et qui peut agréger Solidaires et FSU. Avec un axe CFDT-CGT depuis 2008 notamment (position commune sur la représentativité ou plutôt petits arrangements entre amis), le pouvoir était peinard : de défaites en régressions, de journées d’inaction en manifestations répétitives et sans perspective, rien ne nous aura été épargné. La défaite à l’automne 2010 sur les retraites, malgré les foules dans la rue, en aura été d’une certaine manière l’apothéose.
Mais les temps ont changé et la base cégétiste notamment avale moins facilement les couleuvres. La signature par la CFDT de l’accord du 11 janvier a cristallisé cette fronde et le nouveau patron de la CGT, Thierry Lepaon, s’en est aperçu lors du récent congrès confédéral où il a pris la main. Évoquant de possibles manifestations communes avec la CFDT le 1er mai, il a pu constater, même dans un congrès largement sous contrôle, que l’heure n’était plus au grand écart.
C’est cela la bonne nouvelle et le point d’appui pour le mouvement social. Les appareils, par définition, peuvent être recadrés par le pouvoir. Mais si d’aventure, à la base, dans les boîtes, les bureaux, les administrations, entre unions locales voire départementales, l’unité réelle se construit, tout change et le dispositif qui semblait bien ficelé explose. Il va sans dire que nous avons tout à y gagner. À l’heure où ces lignes sont écrites, je ne sais pas ce qu’auront donné les manifestations du 9 avril, mais au-delà du nombre, qui n’est pas une garantie de victoire si le fond revendicatif est vérolé, voilà l’axe de résistance qu’il faut renforcer.
C’est donc bien à cette unité à la base, de classe au sens strict du terme, que les militants anarchistes et anarcho-syndicalistes doivent œuvrer. C’est ce que cherche à faire, modestement, mais réellement, la coordination des militants syndicalistes de la Fédération anarchiste.
À chacun, par ailleurs, de prendre ses responsabilités. L’urgence est moins de s’intéresser aux incantations et leçons de pseudo radicaux que de chercher à convaincre ces millions de salariés, aujourd’hui réformistes, mais demain possiblement révolutionnaires dans les faits, pour peu que nos idées et nos pratiques prennent corps et sens à leurs yeux. Si tel n’est pas notre objectif, parler de révolution est vain. Alors au taf, mes camarades.