Contre-révolution, tout contre…

mis en ligne le 21 mars 2013
Je voudrais sans la nommer vous parler d’elle… C’est ma lectrice préférée. Celle qui envoie au Monde libertaire de longues lettres me concernant. Dans la dernière, elle supplie la rédaction de trouver quelqu’un pour me répondre. « Que l’on ne le laisse pas parler tout seul ! Un débat ! Une dispute ! Par pitié ! Sinon, c’est à désespérer des anarchistes et je vais de ce pas m’abonner à Lutte ouvrière (C’est un vil chantage) » Elle a bien raison ! Paraîtrait que je m’égare du côté d’Onfray, à l’égard duquel je suis trop bienveillant (?), et ma pensée est très confuse. Entre autres, après avoir « sympathisé avec les chouans », j’ai écrit : « Mais la révolution, c’est sacrément autoritaire, non ? » Pour tout vous dire, heureusement qu’elle est là, ma « permanente  », sinon j’en viendrais à penser que l’on peut écrire n’importe quoi dans ce journal sans entraîner de réactions… « Je voudrais, sans la nommer lui rendre hommage » (Sans la nommer, Moustaki), parce que c’est la seule à réagir là-dessus.
Le chantage à LO m’a bien fait rire puisque j’y ai passé dix ans, à LO. Non, il ne faut pas dire les choses ainsi : j’ai milité, défendu les idées trotskystes de Lutte ouvrière pendant dix ans, jusqu’à ce que je comprenne, ou plutôt que l’on me fasse comprendre que je n’étais pas un militant. Je n’avais pas le droit de vote au congrès, parce que pas assez dans le moule, encore trop « petit-bourgeois », etc. J’ai appris énormément de choses à LO, sincèrement. Mais la plus importante, c’est que les trotskystes n’ont pas tiré les leçons du stalinisme et qu’ils ont tout pour reproduire le pire. Pendant plus de dix ans j’ai vanté la révolution à venir, prolétarienne, défendu les révolutions passées principalement la soviétique, qui a mal tourné. Jamais défendu la chinoise ou la cubaine (ouf !) évidemment, puisque « seule la russe avait à sa tête la classe ouvrière  ». J’ai argumenté sans relâche sur le niveau de développement économique trop faible dans ce pays, la taille réduite puis l’épuisement de la classe ouvrière, les armées blanches, le fait que la révolution reste isolée, etc. pour expliquer la faillite stalinienne. Et tenté de comprendre comment la dialectique matérialiste était devenue une arme de tortionnaires… Comment au nom de la Raison, on sombre dans la folie. À LO, on m’a aussi fait lire Kœstler, Orwell, Victor Serge… Et l’on est bien en droit de s’interroger : en voulant mieux, n’a-t-on pas créé pire ? Je sais, ça fait mal. Mais le respect pour les gens qui ont lutté avant nous, anarchistes ou pas, qui voulaient changer le monde, c’est aussi de tenir compte de leurs expériences, erreurs comprises.
Alors, pour ou contre la révolution ? Chez les anarchistes, on peut poser cette question noir sur blanc, la preuve. Est-ce la preuve d’une extrême liberté ou d’une déliquescence, d’une absence de sérieux, d’un flou idéologique ? Est-ce notre faiblesse  ? Mon optimisme récurrent me fait espérer que c’est notre force. En tous les cas, personne n’attend dix ans à la Fédération anarchiste… pour ne pas avoir le droit d’en discuter.
Le qualificatif « contre-révolutionnaire » revient souvent dans mon courrier. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pas grand-chose. Dans une révolution, le contre-révolutionnaire, c’est celui qui s’oppose au pouvoir du moment. Les Girondins, les Montagnards, tous contre-révolutionnaires ! Les Enragés, Graccus Babœuf : contre-révolutionnaires ! Les anarchistes, pour les bolcheviques, étaient contre-révolutionnaires. Les trotskystes ensuite, pour les staliniens. Contre-révolutionnaire, celui qui comprend avant les autres que la révolution ne prend pas le chemin qu’il espérait ? Que les masses qui dans un premier temps semblaient unies dans un espoir commun se divisent, se combattent. Que les intérêts divergents ressurgissent, les haines et les couteaux s’aiguisent, que des cliques accaparent des biens, des commandements, des places. Combien de révolutions échappent à ce schéma ? Quelqu’un peut-il m’en citer une ? Aujourd’hui, en Tunisie, les islamistes d’Ennahda au pouvoir traitent l’opposition de « contre-révolutionnaire » (je n’ai pas dit que la Tunisie avait fait une révolution).
Qu’elles soient bourgeoises ou prol… ? Bon sang ! Et si la révolution était de toute façon bourgeoise ? Si ce n’était qu’un mode d’accession au pouvoir de la classe bourgeoise ? Et si copier ce mode d’accession au pouvoir était l’erreur ? Où l’on retrouve les discussions enflammées sur la nature de l’URSS : et si ce qui avait été dénoncé par les trotskystes dès le début en Chine, à savoir que c’est la bourgeoisie chinoise qui se propulsait à la tête de la révolution, s’était vérifié en URSS aussi ? Et si se cramponner chez les trotskystes à cette étiquette d’« État ouvrier dégénéré » et de refuser absolument celle de « capitalisme d’État » n’était que la forme intellectualisée d’un déni ? Faisons le bilan des révolutions du XXe siècle : ne s’agit-il pas à l’échelle mondiale d’un gigantesque rattrapage politique et économique de bourgeoisies dominées antérieurement par des puissances occidentales ? Avec toujours pour modèle la Grande Révolution française, et les petits, la piétaille, les couillonnés par les bourgeois qui tirent les ficelles. Et si la ruse de l’idéologie dominante, bourgeoise, c’était de nous placer sur son terrain, sa logique, ses méthodes (même si depuis ici la bourgeoisie ne s’y reconnaît plus : elle a la place). Allez, répondez-moi ! Faites-le pour Elle, et pour Le Monde libertaire, que nous ne perdions pas une abonnée…