Dernier baroud pour les kiosquiers parisiens

mis en ligne le 14 mars 2013
Jeudi 14 février 2013, le dernier syndicat des kiosquiers (340 sur Paris), le SNLP (Syndicat national de la librairie et de la presse), avait appelé les postes de presse à baisser leurs rideaux. Traditionnellement, ce sont les kiosquiers qui réagissent le plus massivement. Une manif avait été organisée devant le ministère de la Culture (place Colette, au Palais-Royal). Et nous étions un peu plus d’une centaine à protester pour signifier notre désir de survivre. Le Syndicat parisien des diffuseurs de presse (CGT du Livre) n’appelait pas, et pour cause, il a disparu depuis juin 2012 (voir Le Monde libertaire n° 1672), vaincu par le manque de participation de ses adhérents, autodissous : maladie contagieuse qui frappe le syndicalisme européen ! Il y avait presque plus de flics en grande tenue de combat que de manifestants plutôt bon enfant, bardés d’autocollants (« Kiosques en danger de mort ») et avec chiens et enfants ! Des robocops pour intimider une manif des plus pacifique.
Depuis plusieurs mois, le Syndicat du Livre CGT appelle à la grève leurs adhérents de Presstalis (Société Presse Paris Service), les commis qui trient le papier la nuit (quotidiens plus publications) et préparent les livraisons qui doivent être acheminées au petit matin dans les kiosques. Les kiosquiers se trouvent pris entre le marteau et l’enclume ! Quand les employés CGT font grève, ils se retrouvent sans presse et donc n’ont plus rien à vendre et ne gagnent plus rien (ils sont rémunérés à la commission).
Presstalis, en accord avec la ministre de tutelle à la culture, Aurélie Filipetti, a décidé de licencier 1 250 employés sur 2 500 et veut casser la distribution d’esprit coopérativiste inspirée par la fameuse loi Bichet de 1946 (voir Le Monde libertaire n°1650). Déjà une grande partie des publications sont maintenant triées par Géodis, une boîte de sous-traitance, où les employés sont payés avec un lance-pierres, et ce fut la première défaite du Syndicat du Livre CGT d’avoir accepté cet accord. Les éditeurs, toujours friands d’une baisse des coûts, se sont engouffrés dans la brèche ainsi créée. Il ne reste plus aux commis CGT que la distribution des quotidiens et de certaines publications d’expression politique (ce qui explique la non-distribution du Monde libertaire quand ils font grève).
Cependant, malgré la combativité des employés de Presstalis, du dépôt de Bobigny (93), la direction a un métro d’avance, car elle sait ce qu’elle va faire et de plus, elle n’a toujours pas envoyé les lettres de licenciement… La division plane comme une épée de Damoclès. À cela s’ajoute la mévente de la presse écrite (-5 % de baisse chaque année) au profit des supports informatiques. Cette situation grève les trésoreries des journaux, qui essayent de jouer sur les deux tableaux : vente au numéro et abonnements. Les éditeurs se sont lancés depuis déjà fort longtemps dans une course effrénée aux abonnements bradés, à grands coups de tarifs attractifs et de cadeaux, essayant par ce biais de retenir la pub fuyante…, trahissant du même coup le réseau de distribution et affamant les kiosquiers. Presstalis, petit Machiavel en culotte courte, accuse les ouvriers du Livre d’assassiner les quotidiens moribonds et du même coup les kiosquiers, et tente de diviser la profession encore plus, pour, sur les décombres des licenciements et des « faillites », refiler le tout à des boîtes dirigées par des chacals qui n’attendent que ça, vu que leurs employés sous-payés n’ont pas la fibre revendicative…
À la fin de la manif des kiosquiers (leurs représentants avaient été reçus par la sous-directrice de la Direction générale des médias, leur promettant… une autre réunion de concertation !), le bureau de l’ancien syndicat des kiosquiers CGT avait organisé une réunion avec le SNLP et les représentants des ouvriers CGT du Livre. Après une chaleureuse discussion, les deux parties ont décidé de se concerter et de ne pas offrir un front désuni face aux manœuvres des éditeurs et de Presstalis. Ils essaieront d’avoir certaines convergences et actions en commun, et lorsque la grève sera déclarée, de la mener ensemble, avec leurs revendications spécifiques. L’avenir de la liberté de la presse d’opinion en dépend. En attendant la disparition totale du support écrit, deux types de presse sont en train d’émerger : la presse de luxe (le prix des quotidiens augmente de jour en jour) et la presse gratuite au niveau déplorable ! Quant aux kiosques, que va-t-il leur arriver ? Ils sont dans la position des derniers des Mohicans. Tout le monde souhaite leur maintien, mais personne ne donne réellement les moyens pour les maintenir. La ville de Paris, à ce sujet, a versé une larme de crocodile et va octroyer une petite aide ponctuelle aux marchands de journaux. Une goutte d’eau dans la trésorerie…
Asphyxiés par les grèves (qu’ils ne condamnent pas pourtant), inondés par un trop-plein de marchandise, sans compter une désaffection de la clientèle, l’avenir des kiosquiers devient incertain. La lutte semble être la seule porte de sortie, les employés du livre et les diffuseurs de presse doivent continuer à se battre, et ensemble ils pourront peut-être arracher, aux éditeurs et à leur représentant Presstalis, leur survie.