Come back to the 19th century : bordel, on a du taf !

mis en ligne le 14 mars 2013
L’ANI, accord national interpro, aussi appelé « accord de sécurisation de l’emploi », a-t-il passé, mardi dernier, l’épreuve de la rue ? Assurément. Mais comment pouvait-il en être autrement ? Alors, certes, la mobilisation n’a pas été absolument ridicule : environ 200 000 personnes selon les syndicats, 30 000 d’après les uniformes (disons, donc, environ 100 000). Mais peut-on réellement espérer faire plier le gouvernement en se contentant de battre le pavé des rues quelques heures durant ? Sans en appeler ici à la grève générale, et encore moins à l’expropriation et à l’autogestion – qui ne sont pas encore à l’ordre du jour, mais qui n’en restent pas moins chers à nos cœurs enragés –, sans doute aurions-nous pu peser davantage sur le pouvoir socialiste en nous montrant quelque peu plus combatifs… Si les appels à la grève avaient été un peu plus nombreux, un peu plus suivis, et – allez, osons le dire – reconduits les jours suivants (au moins un !), alors, là, peut-être le gouvernement aurait-il prêté une oreille attentive à la rumeur de la rue et des piquets.
Mais rien ne sert de blablater davantage sur cette nouvelle sortie préprintanière, au risque de se lasser de répéter à nouveau, comme un automate, les sempiternels couplets sur les « pantoufles », les prétendues « trahisons syndicales » et les slogans incantatoires du style « Plus radical que moi tu fais pas, na ! ». La critique, au demeurant pertinente, de ces journées d’action où on nous balade en nous promenant (sic !) a déjà été exprimée moult fois dans nos colonnes, nos tracts, nos communiqués, nos livres, nos blogs, nos sites et tout aussi lue (ou presque) dans les chaumières, les métros, les trains, les voitures, les chiottes, etc. Et qu’en reste-t-il, le moment venu ? Pas grand-chose. Si ce n’est rien du tout. On continue à suivre, à se promener. On est contents de retrouver les camarades, de renouer avec la liesse de la rue en colère. On reprend un peu d’énergie, un peu d’espoir. Et, franchement, ce n’est pas rien. C’est même pas mal du tout. Mais pour en faire quoi ? Pour regagner le turbin le lendemain, le cœur un peu plus léger ? Prêts à nous mobiliser, non pas contre un accord national, mais contre les exactions quotidiennes de nos patrons, de nos petits chefs, manageurs et autres garde-chiourmes détestables ? Assurément. Et la réalité du terrain de la lutte des classes est bien là, aujourd’hui. On s’épuise encore à souffler sur les cendres du vieux syndicalisme français pour lui redonner, le temps d’une journée ou deux, un peu de son rouge d’antan. On s’efforce de faire vivre l’interprofessionnel, à déconstruire le corporatisme, à chercher une unité encore lointaine. Mais voilà, les manifestations et les grèves ne comptent presque plus que des élus syndicaux, les seuls – ou presque – qui, aujourd’hui, ont encore la rage de se battre, ne serait-ce que pour une augmentation de salaire.
Mais la réalité, triste mais bien palpable, est là : tout est à refaire. Le monde du travail ne cesse de se transformer profondément et le syndicalisme peine à s’adapter à ses nouvelles formes (précarité élevée, auto-entreprenariat, développement tous azimuts du travail à domicile, etc.). À la lumière de son histoire et à travers les lunettes du présent, le syndicalisme est à reconstruire. Nous ne sommes pas à l’heure de la grève générale, mais à celle de la création, de l’animation et de la multiplication des sections syndicales dans toutes les boîtes où nous travaillons. Car ce n’est pas avec moins de deux millions de syndiqués qu’on construit une grève générale… Autrement dit, on en est revenu au début du XIXe siècle, et on a du pain sur la planche. Pour l’heure, la plus grosse partie de notre travail militant est à faire, localement, à la base. Commençons – ou plutôt continuons – par montrer à nos proches, à nos collègues, à nos amis la nécessité de nous organiser sur nos lieux de travail pour défendre nos acquis et conquérir de nouveaux droits face à un patronat et à un État toujours plus avides de flexibilité. Ça peut paraître débile, et c’est bien moins kiffant que de balancer un pavé à la gueule d’un shtar, mais c’est pourtant bien plus essentiel et… productif (un vilain mot) ! Réinvestissons les unions locales et départementales, rendons-les vivantes, sortons-les du seul cadre excluant du monde du travail pour les faire embrasser l’ensemble de la société. Ouvrons-les sans sourciller à tous les salariés, aux chômeurs, aux sans-papiers, aux réfractaires au travail, aux minorités sexuelles ; bref, ouvrons-les à tous ceux qui, d’où que vienne leur conscience de classe, ont intérêt à détruire le présent système. Il n’appartient qu’à nous, aujourd’hui, non pas d’astiquer une vieille relique, mais de bâtir ensemble un nouveau syndicalisme. Alors, peut-être pourrons-nous, dans quelques années, voir et faire émerger un front de classe solide et revendicatif. Qui, à terme, mettra à bas cette société infâme.