Saines analyses de la Clac

mis en ligne le 24 janvier 2013
En janvier 2010, des militantes et militants de Montréal on lancé un appel pour refonder la Convergence des luttes anticapitalistes (Clac), en prévision des mobilisations contre le sommet du G20 à Toronto fixé en juin. La Clac avait été créée en 2000 pour organiser des manifestations contre le sommet des Amériques à Québec, en avril 2001. L’altermondialisme était alors en pleine effervescence. Consciente du pluralisme inhérent au « mouvement des mouvements », la Clac avait proposé d’adopter le « respect de la diversité des tactiques ». La Clac s’est dissoute en 2006, ses militantes et militants préférant concentrer leurs efforts sur des fronts de lutte spécifiques, en particulier l’aide solidaire aux immigrantes et aux immigrants et les mobilisations contre la guerre en Afghanistan.
Plusieurs de ces militantes et militants de la « première » Clac étaient d’ailleurs de l’assemblée de refondation, sachant que le G20 à Toronto était une occasion intéressante de mobilisation sur des bases radicales. Malgré un nombre élevé d’arrestations (environ 1 200), la mobilisation est en général considérée comme un succès. Les milliers de policiers, une opération d’infiltration de plusieurs mois et des arrestations « préventives » des « leaders » anarchistes n’ont pas miné la capacité d’action des forces radicales, à la mobilisation desquelles la Clac avait contribué en organisant le transport d’un millier de personnes. Alors qu’une manifestation de grands syndicats et d’organisations non gouvernementales continuait de défiler paisiblement, un Black Bloc d’environ 150 participants, accompagné par près d’un millier de manifestants, s’en détachait, fracassant sur son passage des dizaines de vitrines, de symboles du capitalisme, du patriarcat, des médias de masse et de la police. Le contre-spectacle militant a réussi, une fois de plus, à perturber le spectacle protocolaire de l’élite mondiale, à ridiculiser les forces policières et à exprimer de manière combative une critique radicale du capitalisme.
Mais, avant cet événement lui-même, la nouvelle de la refondation de la Clac a donné l’idée à quelques professeurs de l’Université du Québec à Montréal (Uquam) d’organiser un colloque sur le thème du capitalisme et de l’exploitation, qui s’est tenu la veille du 1er mai 2010. L’objectif était d’exprimer une solidarité avec le mouvement anticapitaliste et d’inviter des militantes et militants à présenter leurs campagnes et leur matériel de mobilisation.
Deux ans plus tard, un livre paraît, qui regroupe quelques textes des communications présentées cette journée-là, ainsi que d’autres chapitres sollicités pour l’occasion.
Pour résumer de manière schématique, l’ouvrage propose deux types de textes. Certains offrent une présentation synthétique de théoriciens ou de thèses qui méritent d’être discutés à nouveau, pour mieux comprendre les enjeux d’aujourd’hui.
L’historien Martin Petitclerc présente Karl Polyani, qui a expliqué les effets de l’émergence du capitalisme sur les sociétés occidentales au XIXe siècle, ce qui lui a permis d’évoquer d’autres « mondes possibles ». La sociologue Anouk Bélanger discute pour sa part de la pensée de Raymond Williams, un théoricien néomarxiste spécialiste de la culture, objet qu’il aborde dans une perspective matérialiste, dépassant ainsi la fausse dichotomie entre la structure et la superstructure qui bloque trop souvent la pensée marxiste quand elle cherche à analyser les phénomènes culturels. Deux doctorantes en sociologie, Mélissa Blais et Isabelle Courcy, mettent en débat Karl Marx et la féministe Christine Delphy, pour bien montrer que l’économie domestique participe réellement à la production de biens et de services et que les femmes constituent une force de travail exploitée par les hommes, individuellement et collectivement. J’essaie pour ma part, même si cette entreprise mériterait un plus long développement, de rappeler les thèses des anarchistes sur l’exploitation et de démontrer que l’État n’est pas seulement une institution qui défend la bourgeoisie, mais qu’il est en soi un système de domination et d’exploitation économique.
D’autres textes offrent des réflexions sur des phénomènes contemporains, à savoir le système financier du capitalisme avancé (par le sociologue Éric Pineault), les dynamiques qui ont permis à l’État russe postsoviétique de s’inscrire contre les oligarques comme un appareil de contrôle et d’exploitation économique (par le politologue David Mandel), les prétentions trop souvent ambiguës des artistes qui se disent anticapitalistes (par Luc Bonenfant, en études littéraires) et les défauts politiques du slogan « Nous sommes les 99 % » qui a fait la gloire du mouvement Occupy, mais qui évacue l’analyse de classe, ainsi que de sexe et de « race » (par le sociologue Marcos Ancelovici).
Par esprit de cohérence politique, et par solidarité, les revenus de la vente de ce livre sont versés à la Clac.

Francis Dupuis-Déri