Ça se passe comme ça à PSA Aulnay (suite)

mis en ligne le 17 janvier 2013
Je poursuis la narration des événements qui se déroulent à l’usine PSA d’Aulnay.
Cette fois-ci, je vous ramène directement au 12 juillet sur le parking après l’annonce de la fermeture de l’usine. La foule n’est pas si grande que ça. La colère non plus. Avant que la colère arrive, il y a beaucoup de larmes. Des personnes se sont effondrées quand ça a été dit par les chefs. Des ouvriers conscients ont bien compris que les jours qui viennent seront déterminants pour voir si la colère totale arrive.
Pour l’instant elle est mesurée, la colère.
Positif : beaucoup sont rentrés chez eux après avoir été dire leur fait aux chefs dans les briefings d’explication de mon équipe : « Le baratin a assez duré ! Vous licenciez massivement à Poissy, c’est pas pour prendre ceux d’Aulnay à la place ! »
Un ouvrier vide son sac de plus belle : « Vingt-cinq ans d’exploitation, quarante-sept ans d’âge, vous croyez quand même pas me dégager comme ça ! »
Une certitude, la direction va essayer de nous endormir. La clé de ce qui viendra arrivera de la majorité silencieuse.
Un ouvrier se demande si les pleurs feront place à la colère, ajoutant : « Si ont fait pas bloc, on est foutus ! » Son raisonnement est des plus justes selon moi : deux blocs vont se constituer dans l’usine, le bloc des résignés qui voudront s’en sortir avec les mesures de la direction et qui seront passés au lapidaire, et le bloc de ceux qui sont prêts à se battre pour s’en sortir collectivement.
Lutte ouvrière ne tarde pas à proposer un comité de grève pour coordonner la lutte à venir. De drôles de danses arrivent de la part des trotskistes pour trier sur le volet ceux qui en feront parti.
Après l’annonce de la fermeture, à la prise d’équipe, les télés sont présentes tous les jours. Elles viennent filmer le camp retranché d’Aulnay. Voici quelques réflexions de colères : « Les médias parlent de nous ! Ça fait un retour de monnaie pour la direction ! »
Mais il y a des sadiques, des voyeurs chez les journalistes, certains viennent filmer les ouvriers qui pleurent pour faire de la téléréalité à deux balles sur la détresse du monde du travail ! Ils filment aussi le PDG qui verse des larmes de crocodile, demandant l’aide de l’État pour la filière automobile alors qu’il vire 8 000 personnes en France !
Le lundi suivant, dans l’atelier du ferrage, une nouvelle AG organisée par la CGT a lieu pendant la pause du matin.
Après la prise de parole de l’orateur trotskiste, l’autorité du chef est mise à l’épreuve. Beaucoup de présents expriment leur méfiance envers les syndicats et les partis politique. Voilà Lutte ouvrière débordée. Tout ça n’empêche pas la direction d’Aulnay d’entamer sa sinistre comédie, se couvrant de ridicule comme à son habitude.
Cette fois, les sommets sont atteints.
Elle a fait venir, en plus des huissiers habituels en ces circonstances, des caméras pour nous filmer. Nous mettre en boîte ne suffit pas à la direction. Une fois l’AG finie, un de ses larbins vient nous signifier qu’on est considérés comme en grève. Un ouvrier harangue le guignol : « Tu sers à rien ! Tous au paquebot, voir le directeur pour être payés ! »
La foule suit. Des présents de l’AG appellent des potes restés sur ligne. Ils rappliquent vitesse grand V.
à cet instant, tout le monde comprend que les premiers jours d’un mouvement sont les plus importants. Si on est payés pour les AG, ça sera plus facile d’entraîner du monde pour les débrayages à venir. D’importance, la suite va l’être.
En plus des mouchards habituels et des huissiers pour constater, des militants de Lutte ouvrière suivent la foule des ouvriers en marche. Faudrait pas qu’ils perdent la mainmise sur les événements.
Nous voila tous au paquebot – qui est le siège de la direction (pour une usine qui coule, ça ne s’invente pas).
Pas au bout de nos surprises, qu’on est !
Le directeur est absent, le navire serait-il déjà abandonné ? Une collaboratrice se pointe, toute tremblante. Nous signifions à la dame le pourquoi qu’on est là. La collaboratrice prend son portable : le directeur recevra une délégation de syndicalistes pour discuter une fois son rendez-vous achevé ! Après ça, la bourgeoise entend une ouvrière dire ce qu’elle a sur le cœur : « Tu nous regardes de haut ! On est pas de ton monde parce qu’on est des ouvrières ! Ta fille de 8 ans risque pas de te dire : “Maman, t’auras bientôt plus de boulot !” Toi, des beaux quartiers, ça risque pas de t’arriver ! Ils nous ont prévenus avant les vacances de la fermeture de l’usine, pour qu’elles soient bien gâchées ! »
Historique ce qui suit. Les ouvriers élisent les représentants qui seront reçus par le directeur de l’usine. Lutte ouvrière n’arrive à imposer qu’un unique syndicaliste des leurs. Il s’invite dans la délégation. L’ouvrière fait partie de la délégation. Un militant peut pas s’empêcher d’aller lui dire comment causer. Elle envoie le dirigisme trotskiste à la poubelle : « T’es pas mon père ! »
La négociation n’obtient rien, le directeur reste intraitable : « Si je vous paye une demi-heure de réunion par jour, c’est la porte ouverte à tous les débordements ! »
L’argument « Vous payez les briefings bourrage de crâne obligatoire avec le chef » ne convainc pas le directeur.
Personne n’est déçu après les négociations : « C’est pas grave, nous gagnerons la prochaine fois ! Des syndicalistes auraient rien obtenu de plus ! »
Les présents disent aux trotskistes de pas trop parler les prochaines fois aux réunions, pour qu’elles soient plus courtes et que tous puissent causer et qu’il ne soit pas enlevé trop d’argent sur la fiche de paye !
J’arrête ma narration sur ces notes qui éclairent un peu plus le contexte actuel de l’usine. Un prochain article reprendra le fil des événements.

Silien Larios