Mort vivant : témoignage de détenu

mis en ligne le 8 novembre 2012
El Hadj Omar Top est surtout connu pour son évasion à l’explosif de la maison d’arrêt de Moulins-Yseure avec son camarade Christophe Khider, en 2009. Deux ans plus tard, il tente de créer le Syndicat des prisonniers et des familles de prisonniers.
Cette année, il publie un livre coup de poing aux éditions Flammarion, Condamné à vivre *. Il a été aidé dans cette démarche par un avocat, Pierre Lumbroso, et un journaliste, Christian Séranot. Un sous-titre édifiant donne le ton de l’ouvrage : Le cri du cœur d’un détenu qui préférerait la mort à la prison.
El Hadj est tout à fait honnête. Il assume ses responsabilités et ne passe pas sous silence les faits qui l’ont conduit à l’ombre des hauts murs : braquages, trafic de stupéfiants, évasions, tentative d’homicide sur forces de l’ordre, enlèvement, destruction de bâtiments publics avec explosifs et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise mafieuse.
Dès l’avant-propos, il nous lance le message : « Derrière les barreaux, la vie c’est l’enfer ! » Sans doute nous parle-t-il de lui, mais pas seulement. Il décrit un univers carcéral effroyable, avec des indigents, des malades, des psychotiques et des personnes âgées.
Il s’attarde aussi sur les criminels sexuels qu’il assimile pour la plupart à des pervers narcissiques. S’associant aux dix de Clairvaux qui demandent le rétablissement de la peine de mort pour eux-mêmes, plutôt que de crever à petit feu, il écrit à la précédente Garde des Sceaux : « Je demande solennellement à être euthanasié. »
Sous sa plume, nous retrouvons toutes les souffrances inhumaines des détenus que nous énumérons depuis des dizaines d’années. Beaucoup de prisonniers ont ainsi dénoncé la prison. Certains sont ou ont été célèbres. Ce qui est terrible, c’est de constater que, malgré les apparences, rien n’a changé. Les mitards, quartiers d’isolement, promenades « camemberts », prétoires et autres lieux d’arbitraire et d’injustice existent toujours.
La violence y est quotidienne. Et, bien entendu, l’institution totalitaire en est, en grande partie, la cause, que ce soit celle des surveillants ou des détenus.
Ce qui est impressionnant, c’est la pulsion de vie d’El Hadj, qui ne capitule jamais. Il défend sa dignité, se révolte, conteste l’ordre établi de la pénitentiaire, s’évade dès qu’il le peut, fonce dans le tas, se bagarre avec les surveillants et se fait rouer de coups. Nous ne pouvons qu’admirer sa rage et sa colère, tout en étant infiniment triste de le voir parfois tomber dans le piège de la haine. Mais qui, à sa place, n’éprouverait pas de pareils sentiments ?
Son parcours carcéral est lui aussi impressionnant. Il fait partie de ces prisonniers qui ont fait le tour de France des maisons d’arrêt et des centres pénitentiaires. Pour l’administration, il fait partie des détenus particulièrement surveillés (DPS), sans cesse transféré d’un établissement à l’autre, même quand il n’a rien fait.
Les chapitres consacrés à sa cavale de Moulins-Yseure sont vraiment haletants et se lisent comme un polar. Le suspense est extrême. Malheureusement, le lecteur s’aperçoit vite qu’El Hadj et Christophe ne disposent pas de logistique. Ils n’ont pas eu le temps de faire partie du grand banditisme et de pouvoir compter sur des équipes du milieu susceptibles de les cacher ou de les envoyer à l’étranger. En revanche, les médias durant cette journée ont été omniprésents, tenant leurs rôles de vautours assoiffés de sang. Un guet-apens a été mis en place par la police, et, en fin de journée, ils ont été arrêtés sur la rocade 86.
Quelques mois après, il rencontre Clara et change radicalement de comportement. L’espoir et les études le font basculer dans un autre monde. Il retrouve le désir de construire. Il se met à réfléchir sur lui-même, sur ses relations avec les autres et sur le fonctionnement de la société. Il s’interroge sur les causes de la délinquance et sur ce qui pourrait en être le meilleur « traitement ».
À l’aide d’informations très poussées, de statistiques récentes, de réflexions profondes, il finit par démontrer l’absurdité du système punitif, répressif et sécuritaire. Il est allé puiser aux bonnes sources.
Il rappelle que les alternatives à l’incarcération coûtent moins cher que la prison et entraînent une moindre récidive. Nous retrouvons le rapport des députés et sénateurs de 2000 à travers les propos d’El Hadj. Sa démonstration rejoint celle dont le titre était explicite : Prisons, la honte de la République.
Nous y redécouvrons à quel point l’enfermement est inutile et nuisible pour plusieurs catégories pénales : sans-papiers, petits délinquants primaires, usagers de drogues, malades mentaux, criminels sexuels…
El Hadj nous offre un poème d’un Africain célèbre, Tchicaya u Tam’si :

« Ne pleure pas !
Marche debout !
Il est mort le dos au vent :
Retourne-lui le ventre :
S’il a le ventre dur
C’est qu’il est mort debout ! »


Et il termine par un extrait de son journal, où il se voit envoyé en mission humanitaire en Afrique. C’est le magnifique symbole d’une véritable alternative à la prison !



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Esperanza

le 25 juin 2013
Quel dommage qu'une si magnifique énergie ait été si mal orientée!