Piétaille et destin

mis en ligne le 18 octobre 2012
« L’hybridation avec certaines doctrines écologistes fondamentalistes fait de certains pseudo-théoriciens (ou plutôt, propagandistes) actuels des anarchecs latents, en devenir, dont la force collective prend progressivement forme sans avoir encore pris conscience de son caractère profondément conservateur et rétrograde. J’y vois une métavictoire du système dominant sur ce qui pouvait constituer, dans l’anarchisme, un germe de menace pour son hégémonie. Sans le savoir, vous avez changé de destin, et vous servirez de plus en plus de forces d’appoint à des mouvements plus forts que vous. »
(Je poursuis, depuis plusieurs semaines, ma réponse à une lettre de Javali Negro publiée dans le n° 1683. J’ai abordé précédemment le « conservateur et rétrograde ».)
Il y avait dans les manifs écolos des années 1970, un slogan : « État nucléaire, État policier ! » qui, lorsqu’il était développé, précisait que la nécessité de protéger les installations nucléaires entraînerait un flicage accru. Était d’ailleurs déjà abordé le risque terroriste et celui d’avion s’écrasant sur un réacteur. Craintes réunies et réactivées un temps dans les médias après la chute du World Trade Center. A contrario, peu de probabilité qu’un fanatique quelconque vienne se faire exploser sur vos panneaux solaires. Je simplifie, mais était donc posée l’alternative à une énergie centralisée, dangereuse pour la santé et la démocratie.
Lorsque l’on constate à quel point la technologie du flicage s’est répandue partout, à quel point l’idéologie nucléaire a pu contaminer, par exemple, l’ensemble des médias japonais… On peut se dire qu’il s’agissait bien d’un choix de société, et que celui qui a été fait nous éloignait d’un idéal libertaire. Toutes les réflexions, réalisations qui promeuvent habitat, bâtiments, transports économes, autonomes, auto-producteurs en énergie, qui donc permettent une pluralité d’approches et de liens avec un réseau qui n’est plus verticalement à sens unique, sont des opportunités démocratiques. Parce que cela donne à de nombreux individus la liberté de tester, d’expérimenter, d’inventer, de ne plus être dans la posture du simple consommateur, autorisé à choisir la couleur de son papier chiotte, mais privé de tous les choix essentiels. Cette tendance, même si elle est récupérée par les marchands, n’en est pas moins compatible avec l’idée que je me fais d’une société de libertés.
Donc je soutiens. J’ai évidemment en tête la capacité du capitalisme à rebondir, à se métamorphoser. J’ai aussi à l’esprit les craintes exprimées parfois d’un « fascisme écolo ». Et il est vrai qu’au nom de la survie planétaire, nous pourrions nous voir imposer des comportements, des idées, des produits, des pouvoirs, une nouvelle « union sacrée ». Le scénario est envisageable. Mais il n’entre pas dans le top ten de mes craintes économiques ou politiques.
Suis-je en conséquent une force d’appoint à un mouvement plus fort que moi ? On peut l’interpréter ainsi, puisque les Verts réussissent à dénaturer mes combats originels en voix, en postes, en marchandages et en politique politicienne. Et, alors, tous ceux qui sont au cœur des luttes écolo peuvent se sentir pareillement piétaille. Mais pas plus que dans n’importe quelle manif syndicale… Et je ne vois pas en quoi cela affaiblirait « la menace que je suis pour le système dominant », si je ne perds pas de vue l’essentiel, l’essence même de mon combat.
Jamais nous n’avons eu autant de faits, de scandales, qui dévoilent la compromission permanente des pouvoirs politiques et économiques. Pour tous ceux, politiciens de gauche et naïfs militants qui opposent l’État aux capitalistes, à la finance, aux lobbys, voyant en lui un rempart, après les couleuvres, le Mediator, les pesticides, le bisphénol, l’amiante, les fruits sans goût, la bouffe qui tue, la politique de Hollande, le nucléaire sûr et la casquette, c’est le pantalon qu’ils peuvent avaler ! La prise de conscience de catastrophes de santé publique, de drames causés par ces compromissions, fera peut-être plus que toutes nos théories pour dévoiler la nature et le rôle de l’État. Il est là le « germe qui menace leur hégémonie ». À nous de le faire pousser. Tel est notre « destin » !