Quelques détrousseurs de la police nationale

mis en ligne le 17 octobre 2012
1685Police2Des policiers pourchassent des petits dealers d’herbe illicite. Non pas pour les arrêter et les déférer à la justice, mais pour leur faire les poches. Avec la quasi-certitude que ceux-ci ne les dénonceront pas. Des menaces et des coups ponctuant les exploits de ces cow-boys censés représenter l’ordre public.
Cela se passait dans les quartiers nord de Marseille, depuis sans doute plusieurs années. En toute impunité jusqu’alors, la hiérarchie fermant peut-être les yeux pour « acheter la paix sociale », comme disent parfois les partenaires sociaux. Ce racket, mis en place par des policiers de la République, n’étant à l’évidence que la partie visible d’un iceberg préoccupant pour notre belle démocratie. C’est donc subitement, dans un ciel sans nuage que le scandale a été révélé au grand jour.

3 % de délinquants dans la police nationale
Créées en décembre 1996 par Charles Pasqua les BAC (brigades anticriminalité) avaient pour vocation de remplacer les unités de ces sinistres « voltigeurs », dont une équipe avait assassiné l’étudiant marocain Malik Oussekine, quelques semaines plutôt. Rapidement, ce corps d’élite devait s’étoffer, et compte actuellement 235 brigades et quelque 5 000 fonctionnaires, recrutés sur la base du volontariat – ce qui explique en partie la violence de leur comportement, tout comme leur délicat vocabulaire.
L’affaire des policiers de la BAC nord de Marseille est bien plus grave qu’il y paraît, et la décision prise par Manuel Valls, le 5 octobre, de dissoudre cette unité d’élite ne fait que démontrer l’étendue de l’épidémie qui frappe la police, parmi les éléments les plus efficaces. Les bons esprits voudraient nous faire croire qu’il ne s’agit, en cette circonstance, que d’un épiphénomène. L’ensemble du corps policier étant blanc comme neige. Et l’on nous sert, preuves à l’appui, que « seulement » 3 % de nos anges gardiens passent, annuellement, devant les commissions de discipline de la police nationale. (Qu’en est-il des pandores ?) Ce qui représente pourtant environ 5 000 fonctionnaires d’autorité ayant failli, pour un certain nombre de raisons que les citoyens de ce pays n’ont pas à connaître. Nous ne sommes informés que difficilement de l’échelle des sanctions appliquées aux policiers auteurs des diverses dérives qui les conduisent devant leurs juges et néanmoins collègues. Dans l’unité de la BAC nord de Marseille, une vingtaine de policiers étaient soupçonnés de malversations : douze d’entre eux étant mis en examen et sept écroués rapidement. (À l’heure du bouclage de ce présent Monde libertaire, trente policiers sont poissés sur les quarante que comptait ce service. NDLR.) Sur une quarantaine de policiers constituant l’effectif de cette unité, cela commence à faire désordre, et nous sommes loin des 3 % évoqués.
L’affaire a été révélée le 2 octobre 2012, mais une information – en interne – avait déjà été ouverte en novembre 2011, sur la base de « renseignements convergents parvenus à l’IGPN [Inspection générale de la police nationale] ». Rapidement, l’enquête préliminaire, qui avait traîné en longueur, était confortée grâce notamment à des écoutes téléphoniques – sur les véhicules des défenseurs de l’ordre public – comportant des « éléments suspects et troublants ».
L’instruction judiciaire, ouverte le 21 février 2012, visait déjà des faits de vols (argent liquide, cartouches de cigarettes, stupéfiants et même bijoux) en bande organisée. Certaines de ces qualifications étant passibles de la cour d’assises, avec des peines pouvant aller jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle. Une question essentielle ne peut que se poser : pourquoi a-t-il fallu attendre près d’une année pour que les autorités policières s’alertent de cette situation et se décident, enfin, à intervenir ?

Quelques révélations pleines d’intérêt
Une première réponse nous était fournie par le procureur de la République de Marseille. Lequel exprimait le souci de « ne pas stigmatiser la police mais d’identifier s’il existe des brebis galeuses dans le service ». Il n’en reste pas moins que l’IGPN avait déjà mis à jour « une pratique assez répandue dans ce service, depuis un certain temps ». Ce qui n’a pas empêché, par souci de discrétion, évidemment, la garde à vue initiale des policiers ripoux dans les locaux de la gendarmerie. Parce que la garde à vue chez des « collègues » aurait été « très mal vécue par des policiers, choqués de se retrouver dans cette situation ». Fin de la séquence de sanglots retenus par le procureur. Il n’empêche que, déjà, lors des perquisitions dans les locaux de la BAC nord, les enquêteurs devaient découvrir dans les vestiaires de ces braves gens (les agents sont de braves gens – c’est bien connu) de l’argent et des bijoux ainsi que, caché dans les faux plafonds, du cannabis ne provenant pas des scellés habituels. Tout cela étant pourtant révélé aux enquêteurs dès le mois de septembre 2012, par un ancien de la BAC de Marseille qui, sous couvert de l’anonymat, détaillait une partie des activités du groupe. Ainsi, face aux petits dealers : « On va récupérer les jeunes dans les cités qui ont des sacoches ou de l’argent sur eux. On les laisse repartir et on garde l’argent pour soi. » Bien évidemment, tous les policiers en situation d’interpeller les dealers n’ont pas ce type de comportement, mais il apparaît que trop nombreux sont ceux qui succombent à la tentation de l’argent facile. Il faut bien nourrir sa petite famille et payer les traites de la voiture. Il n’en reste pas moins que le policier débutant dans la carrière bénéficie d’un salaire supérieur à celui d’un jeune professeur des écoles qui, bien entendu, n’est chargé de maintenir l’ordre que dans sa classe, si celle-ci n’est pas surchargée.
Au cours des premières auditions de ces policiers ayant gravement dérapé, un officier de police se lamentait : « On passe pour des guignols. Maintenant, on va nous coller l’étiquette de ripoux ! » Ce qui correspondait, malgré tout, à cette réflexion du procureur de la République de Marseille, qui n’avait pas hésité à invoquer, dans un premier temps, « des raisons professionnelles d’infiltration » et de « services rendus ». D’où la difficulté de faire la différence entre les besoins du service et l’enrichissement personnel. Un policier de la BAC, en poste depuis cinq ans en région parisienne, ne manquait pas de jouer le réaliste : « La situation peut très vite déraper. Si dans une voiture de police vous avez trois fonctionnaires sur quatre qui ont décidé de franchir la ligne jaune, il est difficile de résister. Ensuite, c’est l’engrenage. Vous prenez l’argent des dealers une fois et ça devient normal. Et même de revendre de la drogue, ça ne choque pas parce qu’il y a de l’argent au bout. » Et puis, il y a ceux qui ne confient pas leurs états d’âme mais… se situent dans la même ligne de réflexion.

Qui croire, finalement ?
L’interpellé ou l’interpellateur ? Pour un responsable syndical de la police en tenue, c’est une affaire exceptionnelle, quant au nombre de fonctionnaires impliqués. Si les soupçons sont avérés, la justice sévira. Il est vrai que lorsque les policiers « serrent » un pékin suspect, les faits sont déjà avérés (cela va de soi, on verra à s’excuser plus tard, si nécessaire). Un autre policier regrettait : « Ce qui est terrible, c’est que cette histoire va encore compliquer le travail de nos collègues, dans un territoire qui est déjà très compliqué. » Tel quel, ma bonne dame.
Peu à peu, les informations commencent à filtrer, au-delà de l’enquête officielle. Cette affaire révèle au grand jour un système répandu à Marseille depuis longtemps. Les langues commencent à se délier, toujours sous couvert de l’anonymat, car aucun policier ne voudrait se faire qualifier de « balance » par ses collègues. Ainsi, cette « révélation » d’un enquêteur marseillais : « Évidemment, on savait que la BAC nord fonctionnait mal. Surtout le jour, tout simplement parce qu’il n’y a pas de vente de stups la nuit. On le savait, parce que, régulièrement, quand on entendait un type en procédure, après son arrestation par les saute-dessus, il nous disait : “Je vous jure qu’il y avait 3 000 euros dans ma sacoche, pas 1 000 euros.” Pourtant, il était serré et n’avait rien à gagner à nous dire cela. » Le même enquêteur poursuit : « Pour être franc, il arrivait que je croie plus l’interpellé que l’interpellateur… C’est très gênant de croire le délinquant contre un collègue. C’est trahir sa famille. Quand on pouvait, on endormait, on passait à autre chose, et cela n’apparaissait pas dans la procédure. »

Qu’en est-il du matricule du policier ?
Sans être nécessairement fanatique du hand-ball, il est possible de s’étonner que, ce même 2 octobre 2012, étaient dévoilées les mauvaises manières policières de la BAC de Marseille nord et l’affaire des paris mettant en cause, à grand fracas, des joueurs de Montpellier. Cela avec un grand luxe de détails : interpellations choquantes par la police, sur le stade, révélation des noms des joueurs et de leur compagne, alors que le plus strict anonymat était respecté pour les policiers ripoux de Marseille. Il était ainsi démontré, une fois de plus, que les policiers – même déviants – sont des citoyens différents et même intouchables autant qu’il est possible. C’est ainsi que, depuis quelques décennies, le numéro matricule ornant le col de la vareuse des policiers a été supprimé. Sans doute, pour qu’il ne soit pas possible de retrouver leur nom.
À ce sujet, j’aimerais risquer un souvenir personnel. C’était en novembre 1995, au Salon du livre Brive-la-Gaillarde. Je venais de publier mon livre, La Police de Vichy. Assis à mon stand, derrière une pile des livres, j’avais l’impression d’attirer les policiers comme un papier tue-mouches devient irrésistible les jours de grande chaleur ou lorsque la maison se trouve près d’une étable. Toujours est-il que les bœufs tournaient autour de mes livres, l’air mauvais. Je ne tardais pas à être pris à partie par un policier en civil, qui n’était pas de service. Motif ? La couverture de ce livre représentait des policiers parisiens, réunis en janvier 1942, au Palais de Chaillot, tous les bras levés de façon très significative, pour prêter serment d’allégeance au maréchal Pétain. Mauvaise image pour la police donc, mais la réaction intempestive de mon interlocuteur venait du fait qu’il était facilement possible, en se référant au numéro de matricule, très visible de « l’ancien », de retrouver son nom, et peut-être de le livrer même de façon posthume.
Les régimes changent, mais les policiers n’ont jamais changé de nature…



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Jean-Luc LUMEN

le 12 décembre 2012
...3 %...je dirais 50 % voleurs

mon avis éclairé
80 %de fascistes
10 % intègres
10 % après moi le déluge

Jean-Luc LUMEN
- prisonnier politique
- victime de ripoux
- menacé de mort par des ripoux