Rio : un carnaval de plus

mis en ligne le 11 octobre 2012
En 1972, la réunion de Stockholm, premier sommet de la Terre initié par l’ONU, place pour la première fois les questions écologiques au rang des préoccupations internationales. Elle institue le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE). Les « préoccupations » étaient de basse intensité, car on se contente d’énumérer des principes sans aucune réalisation concrète à l’horizon. Les dirigeants de la planète s’engagent à se rencontrer tous les dix ans (faut qu’on s’voie pour s’faire une bouffe !). Les différents actes de la comédie qui suivront (Nairobi en 1982, Rio en 1992, Johannesburg en 2002) connaîtront le même scénario : pas de calendrier contraignant, pas d’objectifs chiffrés, seulement de vagues recommandations, de pieuses intentions. L’écologie est insidieusement vidée de son contenu subversif.
En juin dernier, se tenait Rio + 20, un sommet « trop important pour échouer » : 130 chefs d’État, 50 000 participants. Un fiasco supplémentaire. Même la presse internationale sombre dans le scepticisme : « Les États sont incapables de coopérer, la planète est en péril. » Comme d’habitude, roulées dans la farine, les ONG jouent la vertueuse indignation devant « l’échec » et « l’absence d’engagement ». Heureusement pour le moral, dans ce concert de lamentations, Hollande considère ce « sommet » comme une « étape », se réjouissant des « avancées réelles », et le New York Times assure que « tout n’est pas complètement perdu » et que « l’optimisme pourrait bien être à l’ordre du jour quand Rio + 30 se présentera » ! Vivement la création d’une organisation mondiale de l’environnement !

Un mode de vie non négociable
Le fond du problème, c’est sans doute l’ex-président Bush qui le résumait le mieux en invitant à mesurer « l’impact économique mortel d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre », et même en soulignant les « bénéfices » possibles du changement climatique. C’est pourquoi le bilan est aujourd’hui des plus sinistres : en vingt ans, au lieu d’une réduction de 60 %, les émissions de CO2 ont connu une hausse de plus de 40 %, et il est désormais hautement improbable que l’humanité puisse empêcher un réchauffement supérieur à 2°C d’ici à la fin du siècle ; depuis son lancement en 2005, le marché des quotas de CO2 n’a en rien favorisé le développement des énergies renouvelables ; 13 % des décès dans les pays pauvres sont dûs à la pollution de l’air et de l’eau…
Comme pour enfoncer un peu plus le couteau dans la plaie, deux analyses globales, tranchant avec les approches fragmentaires habituelles, viennent confirmer l’état lamentable de la planète. Le récent rapport du Club de Rome, utilisant des instruments d’analyse, des méthodes d’observation et de prévision performants, confirme les conclusions de celui de 1972, à savoir un « effondrement économique » aux alentours de 2030, par la diminution des ressources et la dégradation des écosystèmes. De son côté, la revue Nature, un des journaux scientifiques les plus réputés du monde, prévoit un « basculement » du système Terre d’ici à 2100. Aujourd’hui, c’est l’espèce humaine, devenue « puissance géologique », qui est le moteur principal des grandes évolutions de la planète (même si l’on ne peut évidemment pas assimiler un petit paysan qui cultive son lopin de terre à un dirigeant de multinationale qui planifie la destruction d’une forêt). Il va bien falloir regarder en face le principe de précaution tant décrié par les milieux scientifiques et techniques dont l’optimisme béat confine à l’irresponsabilité. Mais les « élites » ne profèrent-elles pas souvent ce que les populations ont envie d’entendre (même si, là encore, ces « élites » s’acharnent à formater les opinions publiques) ?
Les formulations du genre « il nous faut repenser les fondements mêmes de notre conception du développement, du bien-être et de la richesse », « une économie n’a de sens que si elle est accompagnée d’amélioration significative du niveau de vie de la population, et notamment des plus vulnérables » dissimulent mal à la fois le cynisme et le désarroi des dirigeants réduits à rabâcher des discours éculés sur « l’approche intégrée et équilibrée qui englobe les trois piliers du développement durable ».
Notamment parce qu’il est incapable d’intégrer le long terme des processus naturels, il faut rappeler qu’il n’existe aucune solution à la question écologique dans le cadre du capitalisme, et donc aussi de l’État qui lui sert de soutien. Ce système ne peut que promouvoir :
1. L’ « économie verte », c’est-à-dire l’ensemble de l’activité économique générée par toutes les entreprises qui produisent des biens et services contribuant à éviter, réduire ou supprimer des nuisances pour l’environnement (traitement des déchets, des eaux usées, isolation thermique, insonorisation des bâtiments, écomatériaux, énergies renouvelables, transports doux, efficacité énergétique…).
2. L’ « écoblanchiment » (ou greenwashing), c’est-à-dire un procédé marketing utilisé par une organisation (entreprise, gouvernement…) dans le but de se donner une image écologique responsable. Recourant massivement aux publicités mensongères ainsi qu’au jargon technocratique fallacieux (développement durable, puits de carbone, basse consommation, zéro émission, gouvernance…), il n’a pour but que d’anesthésier l’opinion publique.
Il ne s’agit que de restaurer des taux de profit, d’attribuer un prix à la nature pour accélérer le cycle infernal de sa marchandisation.

Les dieux ont toujours soif
Tétanisé par la perspective d’une crise énergétique qui se rapproche, le capitalisme se jette à corps perdu dans une course obsessionnelle à la production de mégawatts (dont il ne faut pas oublier la nature militariste, et dont une bonne part ne sert qu’à la gestion de ses « dégâts collatéraux »). Il s’agit d’investir tous les fronts à la fois : charbon, nucléaire, énergies renouvelables ; c’est sa condition de survie. Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la planète devient un chantier permanent, au nom de l’« aménagement du territoire », du « progrès », du « développement ». L’énergie est perçue comme fil conducteur de l’histoire. Autoroutes, tunnels, TGV, aéroports, plate-formes pétrolières, exploitations minières, projets immobiliers : le capitalisme exige des structures gigantesques parce que les autres ne sont pas rentables.
Élaborés dans l’euphorie générale et sous l’influence de la religion du progrès, ces plans pharaoniques se sont toujours accompagnés à la fois de déportations de populations (esclavage d’abord, puis travailleurs immigrés, exode rural), d’élimination de petits paysans et pêcheurs et de destruction des écosystèmes, de dévastation de millions d’hectares de terres ou de forêts.
Aujourd’hui, si les projets gigantesques se multiplient dans le monde (actuellement, 35 barrages de plus de 150 mètres de haut sont en construction), ce n’est même plus pour accroître les profits, ce n’est même plus pour le prestige national, la folie des grandeurs, la volonté de puissance, le désir de paraître, mais pour maintenir sous perfusion un système à l’agonie. Jouant de la concurrence entre métropoles, au travers de « partenariats public-privé » (c’est-à-dire de contrats juteux pour le privé), les nouveaux bâtisseurs de cathédrales s’acharnent à justifier l’inutile, pourvu que ces projets soient « pourvoyeurs d’emplois » (on en connaît les conditions) ; il suffit souvent d’enjoliver le béton et l’acier de « haute qualité environnementale ». Et, si nécessaire, de criminaliser l’opposition et de recourir à la force publique.

Autogestion ou déliquescence
Fondé sur le gigantisme, la démesure, l’économie de pillage, l’exploit technologique, le surrégime énergétique, c’est-à-dire la fuite en avant, l’« Occident civilisateur » a réduit le devenir de l’humanité au seul modèle industriel, véritable entreprise de destruction massive asservissant le monde vivant à celui des machines. Sans aucune possibilité de dialogue. Douter de la science ne pouvait être que vision passéiste, attitude réactionnaire, rigidité archaïque. Aujourd’hui, l’écran de fumée se dissipe : les « sommets de la Terre », les « droits à polluer », le « marché du carbone » ne peuvent que mettre en lumière l’échec définitif de cette sinistre illusion et l’urgence première de la décroissance énergétique. L’hypothèse que le contrôle sur la nature conduit au bonheur n’est plus de mise. La vie ne se réduira jamais à de l’ingénierie.
Qu’il s’agisse d’alimentation, de santé, de culture ou d’urbanisme, l’avenir passe par la reprise en main par les « citoyens » des choix qui les concernent, c’est-à-dire effectués collectivement, horizontalement, à échelle humaine. Il est temps que l’évolution de l’homme devienne celle des idées politiques et non des seules techniques. Le refus de l’autogestion se paiera toujours d’une exploitation, mais qui pourrait se compléter par un désastre écologique si la réaction tardait trop. Dans une « civilisation » (hors sol) où il faut désormais 5 à 10 calories de combustible fossile pour obtenir une calorie de nourriture, on devrait mieux comprendre que la question sociale, c’est-à-dire l’abolition des classes, ne pourra pas être résolue tant que le problème écologique restera sans solution.