In Vivo Veritas : ici ou aux confins de l’univers, ni Dieu ni maître !

mis en ligne le 3 octobre 2012
L’air de rien – puisque cette question n’est pas abordée dans les comptes rendus médiatiques (trop pusillanimes et bien-pensants), pas plus que dans les articles scientifiques (dont ce n’est certes pas le rôle) –, nous vivons une époque rare. Une époque fracassante pour la plus vieille et mensongère idéologie de tous les temps : la croyance en un dieu créateur de la Terre et de ses êtres vivants. Le divin créateur et ses sbires ensoutanés s’étaient fait botter le cul par la théorie darwinienne de l’évolution au milieu du XIXe siècle, quand elle a inscrit l’être humain dans une animalité, une immanence et, en un mot, un matérialisme que les religions exècrent et ne cessent depuis lors de traquer. Il se pourrait que les années à venir, en apportant des preuves observationnelles de la présence de vie ailleurs que sur notre planète ou – plus abasourdissant encore – la démonstration que les planètes aptes à abriter la vie sont pléthores, rendent encore plus douloureuse la punition narcissique infligée à la prêtraille : la vie n’est pas un événement unique au sein de l’univers, selon les desseins d’un Créateur qui jeta son dévolu sur une planète ordinaire que l’on nomma Terre. (On comprend ici que je ne reprends pas le récit littéral de la Genèse, mais une version édulcorée de la Création, telle que les catholiques romains notamment la racontent depuis qu’il est devenu totalement absurde pour eux de se présenter comme des créationnistes purs et durs.) Un des messages fondationnels du monothéisme proclame l’unicité de la vie et de l’humain, ici, sur une seule planète, royaume terrestre des créatures d’un dieu céleste. La pluralité des mondes, c’est-à-dire l’affirmation que de nombreux mondes existent au sein de l’immensité cosmique, et l’excentricité du monde, c’est-à-dire le postulat (puis plus tard la démonstration) que la Terre n’est pas le centre de l’univers, furent annoncées par quelques rares aventuriers de la pensée, dans cet élan de témérité intellectuelle ultime qui consistait alors à contredire les prétendues saintes Écritures ; certains le payèrent de leur vie, comme Giordano Bruno, brûlé vif en 1600 à Rome, lui qui affirmait : « Il est donc d’innombrables soleils et un nombre infini de terres tournant autour de ces soleils, à l’instar des sept “terres” que nous voyons tourner autour du Soleil qui nous est proche 1. »

Du monde clos à l’univers infini 2
Sans pouvoir entrer ici dans les détails, indiquons que même des scientifiques athées et évolutionnistes, comme le biologiste Jacques Monod dans les années 1970, ont considéré que l’unique lieu possible d’émergence de la vie était la Terre, et que l’apparition de la vie était un événement unique dans l’histoire de l’univers : « La vie est apparue sur la Terre : quelle était avant l’événement la probabilité qu’il en fût ainsi ? L’hypothèse n’est pas exclue, au contraire, par la structure actuelle de la biosphère, que l’événement décisif ne se soit produit qu’une seule fois. Ce qui signifierait que sa probabilité a priori était quasi nulle » (Le Hasard et la nécessité, 1970.) C’est une partie de ce qu’on a appelé plus tard l’hypothèse de la « Terre rare » (les conditions stellaires, planétaires, chimiques, etc., de l’émergence d’un vivant élaboré relèvent d’une combinatoire hautement improbable). Certains partisans de cette hypothèse sont proches des milieux néocréationnistes ; d’autres se situent à l’opposé de ces considérations sous-jacentes, tout en affirmant que la vie est un processus rarissime, voire unique, alors que les conceptions récentes en font un phénomène contingent 3 et multiple. En quelques décennies, les progrès des connaissances théoriques, des observations, des modélisations ont rendu la première hypothèse de moins en moins crédible et l’option majoritaire s’appelle « l’hypothèse de la médiocrité », signifiant par ce terme que les systèmes planétaires aptes à développer des formes de vie (certes la majorité ne l’est pas) sont très communs dans l’univers. Des études récentes laissent penser que notre seule galaxie (la Voie lactée) abriterait environ 250 milliards de planètes. L’univers contiendrait 1 011 galaxies (10 suivi de onze zéros) ; si la densité moyenne en planètes de chacune de ces galaxies est de 250 milliards, le nombre de planètes dans ces cent milliards de galaxies est… faramineux ! Il est donc véritablement envisageable, statistiquement parlant, qu’y existent des planètes plausiblement vivables pour telles ou telles formes de vie, y compris des organismes ayant suffisamment évolué depuis suffisamment longtemps pour avoir acquis des capacités cognitives de haut niveau.
Les recherches actuelles rendent donc de plus en plus probable l’hypothèse d’une pluralité des vivants dans le cosmos. Les clergés et leurs théologies frauduleuses – pour lesquelles adorer Dieu consiste en la « croyance dans les paradis et la Terre, en tout ce qui abrite la vie et la continuité du Royaume et de la Volonté de l’être suprême, incréé, omnipotent, omniscient, parfait, distinct et indépendant de ce qu’Il a créé » 4 – vont devoir se débattre avec ces futures découvertes. On aimerait qu’ils s’y cassent les dents ; on sait qu’ils frauderont à nouveau au moyen d’échappatoires et de propos dilatoires pour faire entrer à coups de marteau théologique dans leur système dogmatique une réalité qui n’avait pas été prévue par les pères fondateurs. Toujours est-il que le coup sera rude, à condition toutefois – ce qui est douteux – que les médias de masse ne l’occultent pas. Début août, France Inter a consacré une émission au projet Mars Science Laboratory (l’envoi sur Mars du robot Curiosity, collecteur et analyseur de données susceptibles de révéler des conditions biochimiques et des traces biologiques passées) : la question d’un auditeur au sujet de la façon dont les religions vont pouvoir « absorber » cette nouvelle a été lue à l’antenne, pendant le générique de fin, la laissant bien sûr sans réponse. Fin de la discussion embarrassante et prélude probable à la façon dont elle sera traitée le plus souvent…

Univers ou Grands Boulevards ?
La mission martienne qui vient de débuter n’apportera son lot de résultats significatifs que dans quelques années, car le traitement des données est très long. Encore faudra-t-il probablement d’autres missions de ce type pour corroborer ou infirmer les premiers résultats. Mais comme nous l’avons vu, et hors de cette très médiatique exploration in situ de Mars 5, les indices forts en faveur de la présence du vivant hors la Terre sont nombreux. Des sciences se sont ainsi spécialisées ces dernières décennies pour les étudier : l’exobiologie (la biologie « ailleurs ») et l’astrobiologie, permises notamment par de nouveaux instruments d’analyses embarqués sur des sondes orbitales ou se posant sur les astres. Quant aux indices scientifiques au sujet d’êtres dotés d’une intelligence comparable à celle des humains, s’ils sont encore inexistants, des considérations théoriques (comme l’équation de Drake notamment) et les démonstrations à venir de la présence d’un nombre extrêmement élevé de planètes compatibles avec une biologie pouvant générer de tels êtres rendent crédibles ce qui autrefois relevait de la science-fiction. Dans un de ces mondes, peut-être existe-t-il des sociétés très avancées régies par des principes anarchistes, où la technologie et cette organisation sociale si particulière ont permis l’avènement d’une civilisation apaisée, réconciliée avec elle-même et son environnement, où les idées de Dieu, d’État, d’autoritarisme, de hiérarchie, de religion, sont risibles car à jamais caduques. Peut-être…
Sachez encore que cet épisode exaltant de l’aventure humaine n’est rien pourtant à côté de ce qui se conçoit chez les plus audacieux des cosmologistes : la théorie des multivers. J’en parlerai dans un prochain article.
Terminons avec ironie cette trop brève évocation de nos célestes étonnements en rapportant les élucubrations du leader vénézuélien Hugo Chávez, lequel, en 2011, avait prononcé un discours ahurissant à propos de Mars, connu aussi sous le nom de « planète rouge » (ceci expliquant cela ?) : « J’ai toujours dit, et entendu, qu’il ne serait pas étrange qu’il y ait eu une civilisation sur Mars, mais que peut-être le capitalisme est arrivé, l’impérialisme est arrivé et c’en était fini de cette planète 6. » Comme disait l’autre (Audiard peut-être), quand les cons voleront, il sera chef d’escadrille !








1. L’Infini, l’univers et les mondes, 1584.
2. Titre d’un célèbre livre de l’historien des sciences, Alexandre Koyré.
3. « Contingent » est approximativement synonyme de « hasard ». Mais ce dernier terme étant vague, on peut donc lui préférer, en sciences, le mot plus précis de « contingence ».
4. Robert Flint, Anti-Theistic Theories, Londres, Willian Blackwood and Sons, 1879.
5. Ne soyons pas dupes : cette mission au contenu scientifique incontestable est aussi pour la Nasa une opération de « public relations », visant à conforter ses demandes budgétaires, et pire, à accréditer l’idée de la nécessité de missions habitées vers Mars, délire techno-nationaliste d’une absurdité abyssale…
6. Source : Slate.fr