Travailler c’est trop dur !

mis en ligne le 20 septembre 2012
Santé et travail ou santé au travail : voilà deux termes qui, habituellement, ne font pas bon ménage. Mettre sa santé et sa vie en danger pour la gagner ! Quand la majorité de la population vivait, ou plutôt survivait, grâce à des travaux de force, qui exigeaient du muscle et de l’endurance physique, la question semblait relativement simple : le boulot, ça use et ça tue. Les maladies avaient des noms faciles à reconnaître : silicose et tuberculose prélevaient régulièrement leur lot de travailleurs.
De longs combats, des grèves dures, des morts aussi ont été nécessaires pour obtenir du temps de repos (les huit heures !), des caisses de sécurité sociale, des compensations financières pour des maladies professionnelles et des conditions de retraite à peu près décentes. Tout ce système, capitaliste rappelons-le, de production et de protection sociale a été progressivement saccagé au cours de ces quarante dernières années. Dans le même temps, la configuration du monde du travail a radicalement changé : adieu aux travailleurs de force qui abattaient quotidiennement leurs quintaux de charbon au fond de la mine, place aux cols blancs, agents de régulations, de services ou autres employés du secteur tertiaire. De préférence, pour les patrons, en contrats à durée déterminée (ce terme est doublement abject, car il fait croire à l’égalité des contractants et à leur mutuel accord sur la duré dudit contrat !).

Sur fond de chômage endémique…
La misère physique et psychologique au travail n’en a pas été supprimée ou atténuée pour autant, elle a simplement changé de nature. Elle s’est même retrouvée plus forte qu’avant : la refonte en profondeur des modalités de production s’est accompagnée de la casse des collectifs syndicaux et solidaires sur les lieux de travail qui, en soudant les travailleurs, leur permettaient d’encaisser et de résister, ensemble, physiquement et psychiquement. Alors sont apparues des maladies du travail qu’on ne connaissait pas ou qu’on avait jusque là minimisées. C’est le cas, par exemple, des fameux troubles musculo-squelettiques, alias TMS : ces douleurs lancinantes dans le poignet de la caissière qui déplace plusieurs dizaines de kilos de marchandises devant sa douchette à lecture optique (maudits code-barres !), ou le syndrome du canal carpien du manutentionnaire qui répète inlassablement le même geste devant les têtes de gondole, et d’autres encore. Ce sont aussi les atteintes respiratoires, cutanées, hépatiques (que la médecine moderne diagnostique plus précocement) des préposés à la chimie et des exposés à l’amiante qu’on a sciemment laissé mariner dans leurs bains cancérigènes, ne leur reconnaissant quelques droits à réparation qu’au bout d’un long combat judiciaire. Et les troubles psychiques : burn out, épuisement mental, dépression et suicide, nous avons tous présent à l’esprit les cas dramatiques et révoltants de Renault, de France Télécom ou de la Poste, cas les plus connus, car les plus médiatisés, mais qui ne représentent, hélas, que la partie visible de la violence quotidienne qui est faite à tous les travailleurs, au nom de la rentabilité.
à coup de discours moralisateurs, de lavages de cerveaux publicitaires et de techniques avancées de manipulations mentales, on essaie de faire croire que c’est la marche inéluctable de la société. Il faut faire en sorte que l’employé, qu’on appelle maintenant le collaborateur dans la novlangue managériale, accepte docilement de servir, au nom de l’intérêt supérieur de l’entreprise ! Supérieur à quoi ? Supérieur à sa santé, à sa vie, à son autonomie et à son aspiration au bonheur ?
Dans un univers aussi désorganisé, où les interactions entre individus sont posées en terme de concurrence, où sévit la peur du chômage et de la précarité (encore un sale euphémisme de la novlangue !) et où la maîtrise et la finalité même des tâches accomplies ou à accomplir échappent à ceux qui en ont la charge, c’est une source d’angoisse qui s’exprime au travers du corps et de la pensée. On y pallie à coup de rapports aussi inutiles qu’ils sont rapidement enterrés et d’antidépresseurs produits et consommés en masse. Le travail peut être, pourrait être, une source de satisfaction et d’épanouissement : plaisir de bien faire, de rendre service à autrui, d’être socialement utile. Avoir la maîtrise de son outil, de son but et de son temps : quel travailleur n’en a pas rêvé ?