Mensonges néolibéraux

mis en ligne le 20 septembre 2012
Les théoriciens, les journaleux et les politicards libéraux ont l’habitude de dire que l’État ne sert à rien, sauf dans les fonctions régaliennes (police, justice, armée, affaires étrangères), que les fonctionnaires sont inutiles, que les services publics sont mal gérés et plus coûteux que le privé, que la protection sociale n’est autre que de l’assistanat, que l’intervention publique est néfaste et qu’elle perturbe l’efficience des marchés, etc. Et cela continue malgré la débâcle du libéralisme en 2008, Bérézina qui a montré l’utilité de l’intervention publique (sauvetage des banques, relance économique, rôle stabilisateur de la redistribution sociale). La crise a montré clairement que les marchés n’étaient ni efficients ni autorégulateurs, que les allocations de ressources financières n’allaient pas à l’industrie comme investissement productif, mais à la spéculation, notamment immobilière ou boursière, en vue d’une rentabilité outrée et porteuse de krach. Les dites allocations par le marché des capitaux, des taux d’intérêt et de change n’ont pas été des meilleurs possibles, loin s’en faut. Les marchés ont perdu l’équilibre qui, du reste, n’est jamais à l’optimum, mais à un état chronique de sous-emploi du travail et des installations de production. Fort opportunément, le livre de Christophe Ramaux L’État social vient démentir les balivernes libérales.
Les libéraux assimilent la protection sociale à une « charge », à une dépense à éliminer, qui fait partie des « prélèvements obligatoires » de l’État sur le privé, les entreprises et les individus. C’est de la novlangue construite pour tromper les gens, car ces prétendues dépenses « obligatoires » et nuisibles sont en fait parfaitement utiles et constituent souvent des investissements et non des charges de fonctionnement. Les impôts et cotisations ne servent pas qu’à entretenir les fonctionnaires et les excellences, ils servent largement à redistribuer des revenus, et pas seulement vers la « dépense publique » (56 % du PIB en 2010, 52,5 en 2007, 44 % de prélèvements en 2011 pour cause de crise alors que Tsarko avait dit qu’ils les diminuerait de 4 points pendant son règne). Une distinction s’impose cependant, car ladite dépense a trois composantes. La première est utilisée pour les services publics et les fonctionnaires, mais ce sont les ménages et les entreprises qui consomment ces services qui ne sont donc pas inutiles et réservés auxdits fonctionnaires. La deuxième est constituée de prestations sociales en espèces (retraites, chômage, allocations familiales, aides diverses et variées). Ces prestations, qui ne restent pas dans les caisses de l’État, s’élèvent à 378 milliards, soit 35 % de la dépense publique et surtout 30 % du revenu disponible brut des ménages. La troisième, enfin, est formée de prestations sociales en nature (remboursements médicaux, allocations logement) – soit 181 milliards, ce qui donne en tout 559 milliards, soit la moitié de la dépense publique – qui sont redistribuées aux ménages.
La dépense publique est indispensable au secteur privé : formation des travailleurs, infrastructures collectives à accès général, recherche publique, crèches et écoles maternelles ou aide à domicile (augmente la population active féminine), santé (ce qui maintient le salarié au travail), complément au revenu des ménages (ce qui renforce la demande effective). Les fonctionnaires produisent des valeurs d’utilité, ce qui est pris en compte par la comptabilité nationale pour déterminer le PIB non marchand. En 2010, la valeur ajoutée par les fonctionnaires est montée à 318 milliards, soit le tiers de celle des sociétés non financières (973 milliards). Les libéraux disent que c’est inutile parce que ce n’est ni marchand ni monétaire. Mais il s’agit bel et bien de valeurs d’usage pour la société. Environ 42 % du revenu des ménages est « socialisé », ce qui procure les fameux « stabilisateurs sociaux » qui ont largement diminué les effets de la crise en France en 2009. Les services étatiques régaliens ont apporté 169 milliards en 2010. Tout cela profite aux entreprises – qui payent de moins en moins d’impôts sur les sociétés ou de taxes professionnelles –, et surtout aux multinationales, qui sont imposées réellement à 8 % alors que les PME le sont à 23 % en moyenne. Itou pour les riches, qui payent aussi de moins en moins.
L’impôt et la cotisation sociale qui financent tout cela sont donc indispensables. Le sens de la position des libéraux devient limpide : tout ce qui est public empêche le capital financier de s’en emparer pour en faire des lieux de profit. C’est le cas des cliniques et des assurances santé privées, des salaires remplacés par de l’intéressement et de la participation, qui sont variables, aléatoires, risqués et qui échappent largement aux cotisations sociales. De ce point de vue, Ramaux écrit que la socialisation est anticapitaliste. Je n’en suis pas si sûr : elle est une contribution publique aux fins privées pour le capital, elle l’aide à être profitable, elle obéit en fait à sa logique de socialisation des coûts et des pertes et de privatisation des profits.
Le discours sur la dette publique est un autre exemple manifeste des mensonges des libéraux. Rappelons-nous le rapport Pébereau (banquier BNP et libéral acharné) sur le sujet en 2006. La dette publique de 1 170 milliards à l’époque y était présentée comme insoutenable et comme un prélèvement sur les générations futures : un bébé héritait de 8 000 euros de dette ! Ce n’est pas étonnant quand on regarde la toute-puissance des banquiers sur les gouvernants.
La grande puissance de la banque et son emprise sur les gouvernants s’est manifestée récemment sans ambages. La BCE a prêté aux banquiers 1 000 milliards d’euros sur trois ans à 1 % et rien du tout aux États, à la suite des règles imposées à la banque centrale de l’Union européenne (UE) par les dirigeants Allemands. Et les banques ont utilisé ces 1 000 milliards pour les prêter aux États à 6 % minimum !
Lors du krach de 2008, le gouvernement français a prêté massivement aux banques nationales tout en mettant en place un plan de relance tout à fait riquiqui (35 milliards dont 13 déjà engagés ; Hollande vient d’obtenir 120 milliards, eux aussi déjà engagés – fonds structurels inemployés, banque européenne d’investissement – pour toute l’UE). Pébereau, libéral tout miel tout lucre, conseillait le pouvoir et voyait Tsarko nuitamment. Son signal était clair : seule la dette publique est mauvaise, comme, du reste, l’état, la fonction publique, la protection sociale (47 % des dépenses publiques). Le sbire prétendait que chaque nouveau-né héritait d’un passif brut. On estime maintenant ce dernier à 25 000 euros par personne pour nos successeurs, alors que les actifs publics (518 milliards en actifs financiers plus les infrastructures en tout genre) font que la dette fait hériter le nourrisson de 8 000 euros d’actif (chiffres donnés par Ramaux). En fait, les nouvelles générations bénéficient des investissements des précédentes, comme les entreprises disposent, maintenant presque gratis, des infrastructures publiques sous forme « d’externalités positives ».
Si ce monsieur avait noirci le tableau en ne parlant que de la dette publique brute, il omettait aussi la dette privée (ménages et entreprises) : 120 % du PIB en France, mais 175 % aux États-Unis, 200 % en Espagne et en Grande-Bretagne. Or, c’est la dette privée qui est l’origine de la crise américaine en 2008 et des crises irlandaise et espagnole. Le bonhomme confondait un flux (celui des déficits) avec un stock (la dette). Il ne disait donc pas que, ce qui compte, c’est le montant des intérêts (48 milliards en France en 2011, soit 2,5 % du PIB) qui sont liés au stock (lequel est renouvelable par de nouveaux emprunts) et au taux d’intérêt. Si ce dernier monte trop (7 % pour l’Italie ou l’Espagne ; 2,49 % pour la France ; 1,40 % pour l’Allemagne en 2012), le budget est effectivement étranglé et les remboursements mis en question. Il en découle que le discours libéral sur la dette publique a pour seule fonction d’inquiéter les gouvernants, de les mettre sous tutelle au nom des agences de notation, de garantir le service de la dette aux banquiers et de continuer à faire payer aux contribuables les intérêts versés aux banques.
La banque tue la juste démocratie en conférant un pouvoir démesuré à la finance et en faisant des gouvernants élus ses « fondés de pouvoir » (Marx). Gouvernants sans doute incompétents (ou complices) pour gober les balivernes et billevesées d’un banquier ! Lequel est intéressé par les dettes, car son métier est de prêter le plus cher et le plus possible avec, comme base, le fric détenu par les riches grâce aux exonérations d’impôt et les dépôts gratuits des petits clients des banques (un banquier qui a 10 en dépôt peut prêter 90, c’est ce qu’on appelle l’effet de levier du crédit). Et le banquier préfère les créances publiques qui sont bien rémunérées et garanties… Le banquier aime aussi à spéculer (en principe pour compte propre avec son fric ; en fait aussi avec celui des clients ; d’où la nécessité de séparer les banques d’affaires de celles de dépôt).
C’est juteux grâce à la finance fantôme offshore appuyée sur les paradis fiscaux, les différences de législation fiscale et, surtout, la dérégulation de la circulation des capitaux… donnée par les gouvernants. On comprend que les banquiers se refusent à toute rerégulation et qu’ils fassent pression sur les politicards pour qu’elle disparaisse des écrans. Où est la promesse de Tsarko d’en finir avec les paradis fiscaux ? Et que fait Hollande ?