Se les faire sonner

mis en ligne le 20 septembre 2012
Qu’est-ce qui cloche dans l’anarchisme aujourd’hui ? Je posais la question, en juin dernier. Voici des extraits d’une réponse de lecteur, Javali Negro. Et comme j’espère faire de cette chronique un lieu réflexif, n’hésitez pas à donner votre avis ! (rodkol (arobase) netcourrier.com)
« […] L’anarchisme : 1) Depuis toujours : trop de philo. On peut le comprendre pour les Russes, les Français et les Espagnols du XIXe siècle. La philo a certes joué un grand rôle historique aux XVIIe et XVIIIe siècles dans le combat contre la religion, mais elle n’est plus adaptée pour tenir ce rôle au XXIe siècle. Ce n’est plus au philosophe de dire ce qui est vrai et ce qui est faux, de la magie ou de la science. L’anarchisme théorique est aujourd’hui hermétique à la science et à ses implications. Par conséquent, l’anarchisme théorique ne se situe plus dans la foulée intellectuelle des Lumières, et il n’est toujours pas parti à la conquête des sciences de la liberté humaine. 2) Depuis dix-quinze ans : trop écolo, de plus en plus spiritualiste. L’hybridation avec certaines doctrines écologistes fondamentalistes fait de certains pseudo-théoriciens (ou plutôt, propagandistes) actuels des anarchecs latents, en devenir, dont la force collective prend progressivement forme sans avoir encore pris conscience de son caractère profondément conservateur et rétrograde. J’y vois une métavictoire du système dominant sur ce qui pouvait constituer, dans l’anarchisme, un germe de menace pour son hégémonie. Sans le savoir, vous avez changé de destin, et vous servirez de plus en plus de forces d’appoint à des mouvements plus forts que vous.
» La résultante des deux points ci-dessus : l’anarchisme théorique ne fait plus des militants des personnes émancipées, et donc vous n’êtes plus crédibles comme force d’émancipation de l’espèce humaine, et peut-être même, mais n’y vois pas là une quelconque provocation, comme anarchistes.
» Les militants anarchistes : depuis dix-quinze ans : intellectuellement fainéants. Votre rejet de l’objectivité comme valeur comportementale, lié au sommeil, à l’indifférence, ou au rejet de la connaissance scientifique et de la connaissance technique, vous conduit de défaites en régressions, d’aigreurs en névroses. Ceci est particulièrement vrai des sciences dures, mais aussi de la sociologie, de l’anthropologie, de l’éthologie et de l’économie, domaines dans lesquels vous n’avez pas progressé depuis au moins trente ans.
» Du point de vue de l’action : compte tenu de vos forces militantes modestes, vous êtes trop dispersés et vous agissez sans projet clair. Du coup, comme vos objectifs ne sont pas bien ciblés et assez futuristes, vous n’avez pas de réflexion suivie sur la stratégie à moyen et long termes et, surtout, sur les moyens que vous vous donnez et l’évaluation a posteriori (totalement absente).
» Trop dogmatiques, rigides, avec des slogans absurdes (« sortir du nucléaire », « viande = meurtre », « à bas l’État », etc.) : sur le nucléaire, sur les OGM, sur l’agroalimentaire – d’une façon générale, sur tout ce qui est industriel – sur les transports rapides (TGV, aviation civile, etc.), et j’en passe. à entendre certains, toute structure technologiquement complexe serait incompatible avec un mode de gestion anarchiste.
» Sur la prison, une question naïve qui résume ma critique de vos activités : Garcia-Oliver a-t-il fermé les prisons en 1936-1937 ? Non. Pourquoi ? Il fallait enfermer les opposants politiques (les activistes de la Ceda par exemple), ce qui, soit dit en passant, en a protégé beaucoup de la vindicte populaire…
» Socioculturellement, j’ai le sentiment que vous êtes devenus trop homogènes, tous issus d’une éducation dans un milieu de gauche, politisé, sans oppression religieuse marquante. Dans votre système cognitif actuel, tel qu’il transparaît à la lecture du Monde libertaire et de bien d’autres feuilles et revues anarchistes ou anarcho-syndicalistes, et tel que je le devine de mes discussions avec des militants libertaires de sensibilités différentes, la connaissance politique (et dans une moindre mesure la connaissance philosophique) l’emporte sur toutes les autres connaissances. Je dirais même qu’elle les écrase. De ce point de vue, vous êtes imprégnés de conceptions bourgeoises, ce qui ne serait pas le cas si, comme vos ancêtres, vous étiez encore des paysans et des ouvriers. Parmi les individus qui viennent à vous, il peut arriver que certains n’aient aucune culture politique ni du mouvement ouvrier (c’était mon cas, comme de celui d’un de mes collègues de travail). Pensez au choc culturel si vous voulez qu’ils comprennent vos discussions. »



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


remy42

le 6 octobre 2012
"philosopher se définit en soi par sa fonction de production de sens" article philosophie de wikipedia)et pour qu'il y est production de sens il faut se "frotter à la vie" or si on regarde l'histoire de l'anarchisme et de ses petites ou grandes figures, l'anarchisme est pour moi un condensé de la vie même avec ses trahisons ses scissions ses drames ses périodes troubles et ses grandes figures, ses héros, les avancées produites, etc.. mais je trouve que "prophétiser" des futurs "anarchecs" n'a rien de révolutionnaire puisqu'il y' en a toujours eu

maintenant je crois aussi que l'anarchisme est profondément ontologique (l'ontologie (de onto-, tiré du grec ὤν, ὄντος « étant », participe présent du verbe εἰμί « être »:wikipedia) qu'on ne peut nier et si on prend l'éthymologie l'être est destiné à l'étant dans son entiereté qui suppose une indivisibilité de l'esprit d'après moi donc comment arriver à l'ontologie (étude de l'être en tant qu'être selon aristote) sans actions alors vous parlez essenssiellement dans votre texte des choses de l'esprit (les sciences, la magie etc) mais c'est le début du chemin et je crois pouvoir dire que l'anarchisme théorique ne peut être dissocié des fonctions principales de l'anarchisme qui sont profondément action. pour que l'être ne devienne plus être tel ou tel (article être de wikipedia autrement dit un autre toujours renouvelé donc magique effectivement mais "être d'une manière absolue" (ibidem) alors être d'une manière absolue nécessite de "déchirer les voiles" à sa mesure et progressivement

pour ce qui est du jugement de la période actuelle il me semble que c'est difficile de "compter les morts" puisque l'histoire n'a pas encore rendu son verdicte quant à prophétiser un avenir sans anarchisme c'est tout simplement impensable IL S'EST TOUJOURS RELEVE

Zarathoustra21

le 12 octobre 2012
l'anarchisme, comme pensée, est issu du concept nietzschéen de sur-homme. Ce concept est à valeur individualiste (ce qui distingue en parti l'anarchisme du communisme).
Or, depuis le XXe siècle, nous vivons dans une société collectiviste, issu des modèles politiques que sont le communisme, le fascisme et le nazisme (cf Mircea ELIADE, je ne retrouve malheureusement pas l'essai dans lequel il traite ce sujet...).
Cet adjectif renvoie au collectivisme définit entre autre par Florence BRAUDSTEIN (dans son livre : à quoi servent les religions (...)) comme suit : "le collectivisme est un élément indispensable à la cohésion sociale dans les société sans histoire. Ce type de société oblige constamment l'individu à se dépasser et à nier dans un but collectiviste son individualité."
J'en déduis donc que c'est ce qui cloche aujourd'hui dans l'anarchisme.
Nous sommes dans une société que nie l'histoire en se tournant principalement vers le futur, faisant table rase du passé, et dans laquelle les individus nient leurs individualités en cherchant une appartenance à un groupe.
L'anarchie est en conséquence anachronique et asociale.

alex

le 13 octobre 2012
Il y a beaucoup de points intéressant dans ce qui est dit chez Rodkol. Et ce n'est pas valable uniquement pour les anarchistes mais de large franges de la gauche. A trop souligner la part nécessaire du rêve. Et l'attitude assez négative envers les sciences à cause de se qu'en font nos adversaires politiques réactionnaires de toutes sortes. Cela dit en passant, les versions du "réalisme" et de la "science" qu'agite sous notre nez ce que j'appelle par fainéantise "la réaction", ou "le capital", ne sont jamais guère que des versions tronquées et mutilés pour les besoins de leur cause. Ce n'est en rien quelque chose qui doit devenir chez nous prétexte à rejeter le réalisme, la science et la tradition des lumières. Sans la raison, on n'est plus grand chose.
Il faudrait effectivement éviter de trop gloser quant aux théories, et plus mettre en avant les "analyses de terrains". A ce niveau, ce que fait votre confrère François Ruffin est exemplaire. Lisez Fakir, et si je puis me permettre, inspirez vous de son mode de journalisme (pas forcement de son style mais de son travail d'enquête et de sensibilisation. Première étape avant le travail d'analyse plus global).
Les idées sont trop souvent présentez comme allant de soit. C'est peut être pénible, mais il faudrait toujours est encore expliquer le pourquoi de vos convictions. Il ne s'agit pas de prêcher des convaincu.
Une importante place devrait être accordé à la réflexion sur les méthodes de diffusion de nos idées. Comme vraiment les popularisées.

Voilà quelques idées en vrac.