Retour de manivelle

mis en ligne le 26 septembre 2012
Depuis la fin du siècle dernier, nous vivons une époque bien improbable, à nos yeux d’Européens épris de rationalité et de liberté, sur fond de : femmes voilées ; colons israéliens délinquants ; menace réelle de guerre israélienne contre l’Iran malgré l’avis mais avec les armes de l’administration américaine ; campagne américaine colorée par la sottise d’un autre âge d’un Mitt Romney ; printemps arabes confisqués par les intégristes ; théocratie iranienne certes mais aussi théocraties étas-uniennes et théocratie israélienne. Tout se précipite, des salafistes bien encadrés, un film idiot, un ambassadeur tué par des foules folles de Dieu, des caricatures méprisantes dans Charlie hebdo, des manifestations un peu partout exigeant le respect du prophète, etc. Bref, les hystéries religieuses sont en progression géométrique pas seulement dans les pays du Moyen-Orient, mais aussi aux États-Unis, en Israël, en Inde et dans le monde entier. On assiste, navrés, partout, au retour en force du religieux chez les politiques, dans les médias et donc dans les cerveaux, confondant laïcité et lâche tolérance vis-à-vis d’élucubrations insanes, des religions du Livre comme ils disent, mais aussi des Scientologie et autre culte de l’Oignon vénéré.
Le sous-commandant Marcos 1 faisait une hypothèse qu’on peut en gros résumer de la façon suivante.
Au cours de l’histoire les faiseurs de guerres impérialistes, pour justifier les massacres et soumettre non seulement physiquement mais aussi moralement leurs propres peuples et les autres peuples, se sont servis de trois outils de domination.
Le système religieux d’abord : croisades, guerres de religion, évangélisations musclées en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie, etc. Puis, quand ce levier a commencé à s’essouffler, ils utilisèrent les systèmes idéologiques, capitalisme, marxisme, national-socialisme, maoïsme et autres.
Plus récemment, enfin, la « justification médiatique », l’art de l’utiliser à son profit voire de la contrôler, qui maintenant accompagne à tous coups les idéologies dominantes pour s’assurer du concours docile des peuples qu’elles prétendent contrôler.

Des réactions à chaud
Donc, confrontés à l’hystérie religieuse ambiante, les réactions, parmi nos concitoyens et nos sympathisants sont couramment de ce type :
La religion et le fanatisme religieux, c’est de l’intolérance, c’est surtout has been, ringard.
Le sort qu’ils réservent aux femmes, aux homosexuels, est ignoble.
C’est criminel de bannir ou de tuer les non-croyants et les adeptes d’une autre religion que la leur.
D’ailleurs toutes les religions sont fondées sur des idéologies abjectes et sur des principes issus d’un autre temps.
Pas question de subir leur terrorisme et leurs menaces.
Ça a gâché les printemps arabes qui doivent déboucher sur des démocraties comme chez nous et pas sur des théocraties.
Ceux qui dénoncent l’ensemble des religions et les individus qui les utilisent sont dans le vrai.
Bravo à Charlie Hebdo qui les ridiculise.
Il faut reconnaître à chacun le droit d’être athée militant et de critiquer toutes les religions.
Le droit au blasphème fait partie des droits de l’homme, tout comme la liberté d’expression.
Ces forcenés sont des anti-Américains primaires (encore que ça…), des antisémites farouches.
Les excès de ces fanatiques sont pain bénit pour les racistes du FN ou des imbéciles comme Mitt Romney, etc.

Une autre analyse
On entend aussi parfois des réactions différentes et des remarques d’un autre genre :
Les caricatures de Charlie Hebdo, si on y regarde à deux fois sont carrément racistes envers la religion d’islam.
Le film incriminé est d’une grande indigence, l’œuvre d’un autre fanatique — copte celui-là — et en d’autres temps il n’aurait pas valu trois lignes dans les journaux.
N’en déplaise aux bobos déçus de l’issue par trop dévote des printemps arabes, force est de constater que tous les tyrans jetés par ces « printemps » étaient pro-Occidentaux.
Ces personnes, pauvres du monde et anciens colonisés, ont trouvé une identité dans l’affirmation de leur foi religieuse, identité qui leur permet de relever la tête devant l’impérialisme européen et américain.
Les « musulmans » ou plutôt les personnes ressortissants de pays catalogués comme musulmans dans le monde sont grosso modo un milliard, on peut difficilement ignorer leurs comportements, quel que soit le bien-fondé ou l’erreur de leur position…
L’islam, qu’on le veuille ou non, représente pour beaucoup d’habitants du tiers-monde et du monde tout court la religion des pauvres. Ces pauvres dont actuellement les néo libéraux mondialistes n’ont aucun besoin et qu’ils s’attachent sournoisement à faire disparaître d’une façon ou d’une autre (épidémies, guerres, famines).
Les puissants de l’Ouest n’ont pas de leçon de morale à donner à ces pauvres. Qu’on pense aux croisades, à la colonisation, à la mise en coupe réglée des pays dits sauvages, puis des pays sous-développés. Qu’on pense récemment, dans notre beau pays des libertés, aux appels indécents à peine dissimulés de la part de Sarkozy et Guéant à une véritable guerre de religion contre les pauvres et les étrangers.
Les pays riches ont bien du toupet de considérer comme universelle leur « civilisation », leur façon de penser, de « merchandiser » toutes choses, correspondant à une cruelle domination économique et religieuse ; et les incantations grotesques d’un prétendu « choc des civilisations » stigmatisant « l’ingratitude » des peuples exploités, n’y changeront rien.
Les « fous de Dieu » se défient de la démocratie représentative à l’européenne justement parce que c’est celle de leurs maîtres et ne s’en servent que de façon opportuniste pour accéder au pouvoir. De la même façon, certains jeunes des cités dont les parents ou les grands- parents avaient des papiers algériens refusent dans leur quartier tout ce qui symbolise un pays qui les a bafoués, trompés, rejetés. Un pays qui osait parler d’intégration alors que ces populations d’Afrique du Nord, qu’il avait fait venir pour ses besoins d’enrichissement, il les traitait, depuis la colonisation, avec le mépris et le racisme impavide du blanc civilisé face au « raton » analphabète.
Les sociétés occidentales récoltent ce qu’elles ont inlassablement semé.
L’impasse
Je ne peux pas m’empêcher d’évoquer ce chauffeur livreur de Gennevilliers entendu ce matin du 19 septembre aux infos de huit heures sur France-Inter qui déclare se sentir humilié par le film et par les caricatures de Charlie hebdo et qui a jeté au micro la haine de « ces gens », journalistes, politiques, voisins, « qui passent leur temps à nous chier dessus ».
Aiguillonnés par le racisme et le mépris des Français depuis la guerre d’Algérie, lassés des barrages à franchir pour trouver du travail et se loger quand ils ont un nom à consonance arabe, ces fils d’émigrés, français eux-mêmes pour la plupart, ont tout naturellement cédé à l’adroite propagande des barbus qui font du social et tendent au calme dans les cités. Les jeunes, pas plus croyants et pratiquants que ça, simplement superstitieux devant la religion de leurs parents sans doute, ont adopté cette identité et s’y réfugient en bloquant toute communication. Tout ce qui symbolise un pays qui ne les admet que du bout des lèvres est diabolisé et haï en un amalgame simpliste : pompiers, facteurs, gaziers, police, etc. De l’autre côté, les franchouillots s’écrasent et ruminent leur haine, votent et pensent FN et se bloquent eux aussi dans une incommunication apeurée… Et je dois me passer de mon bus 235 qui évite de plus en plus souvent la cité du Luth pour caillassages et incivilités.
Alors, quelle issue envisager à cette situation cadenassée ? Faut-il attendre que « ça leur passe », comme disent certains ? Le fanatisme religieux serait un maladie infantile des peuples en décolonisation, un passage obligé dans leur histoire. Il suffirait de s’armer de patience ...
En tout cas, s’ils ont sauté la case idéologie, l’art médiatique est bien maîtrisé par les barbus pour promouvoir – y compris par la violence – leur programme théocratique qui, hélas, ne changera rien à la domination des puissants et des riches. Comme dit Marcos, « la religion a toujours eu un rapport ambigu au pouvoir social et politique », le sabre s’appuie toujours sur le goupillon. Pendant les cérémonies religieuses, le bizness continue à broyer les peuples ; le capital n’a cure des étripages, des génocides, et des conflits. Il engrange quels que soient les guerres et les protagonistes. Il sait depuis belle lurette transformer en affaires juteuses les terreurs, les massacres, les tyrannies. Pour cette raison, le choix du fanatisme religieux est insignifiant même s’il se vautre dans un bain de raisiné. Il est condamné à l’indigence car il se trompe littéralement d’ennemi.
Nous anarchistes, plus que jamais, nous dresserons contre la trique des grands et les opiums des peuples. La lutte plus que jamais est complexe, car l’hydre a plein de têtes.
Si nous ne sommes pas décimés par les tenants autoritaires d’un capitalisme décomplexé, si nous ne sommes pas fusillés par un fascisme vert ou néomarxien, si nous ne sommes pas brûlés vifs pour impiété par une nouvelle Inquisition, alors nous participerons à la révolution sociale et libertaire quelles que soient sa forme et sa date. Enfin, moi, c’que j’en dis, prenez-le comme vous voulez, mais faisons-le 2.

François, groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste







1. Évoqué récemment par Guillaume Goutte dans son article « La dialectique de la pipe », hors-série du Monde libertaire n° 43.
2. Pour parodier Béranger et son Blues parlé du syndicat, une reprise de Talking Union de Pete Seeger, chanteur des IWW.